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EAN : 9782752909985
160 pages
Phébus (03/04/2014)
4.17/5   101 notes
Résumé :
Jeanne et Toussaint, jeune couple d'ouvriers parisiens soudé par l'amour en dépit des aléas de la vie, voit son quotidien déchiré par la déclaration de guerre de 1914. Toussaint part au front tandis que Jeanne, ouvrière fleuriste, élève seule leur petite fille dans un climat de pénurie. L'absence est combattue par des lettres qui ouvrent sur une forme de communication jusque-là inconnue, maladroite parfois, bouleversante souvent. Fin 1916, Toussaint est blessé à Ver... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (47) Voir plus Ajouter une critique
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Attention pépite ! J'avais déjà fortement apprécié le style d'Angélique Villeneuve dans Grand Paradis mais là, je dois dire que je me suis pris une claque magistrale. Vous savez, c'est ce livre que l'on referme en disant "waouh !" ; ce livre qui a fait une telle impression que l'on est obligé de lire un petit roman léger derrière car tout nous paraît fade, sans saveur littéraire.

Avec une écriture ciselée, un ton intimiste, poétique parfois, la romancière nous livre ici un épisode douloureux, conséquence de la Première Guerre Mondiale : le retour au domicile des gueules cassées. Elle ose montrer le quotidien, étaler les ressentis que l'on se gardait bien de montrer car trop honteux. La famille se devait d'être exemplaire envers ces hommes qui avaient combattu pour la Patrie. Pourtant, bien souvent, face à celui qui ne ressemblait plus à l'homme parti quelques années auparavant, qui n'avait plus aucune similitude avec le faciès d'un être humain d'ailleurs, le cercle familial éprouvait de la crainte, du dégoût, allant même jusqu'à préférer la disparition du soldat. Puis venait l'apprivoisement... apprivoisement d'un visage, d'un corps pour l'un, d'un individu pour les proches.

Ce qui me marque d'autant plus, c'est le fait que la beauté des mots met en relief la laideur, la noirceur du vécu des personnages. J'aime beaucoup ce genre et ces auteurs pas suffisamment connus à mon goût. Un grand bravo pour ce petit chef-d'oeuvre !
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Ouvrière fleuriste en chambre, Jeanne est tout affairée à son travail, sa chaise collée au poêle qui, pourtant, ne dégage que très peu de chaleur. Sa fille, Léo, joue seule, dans son coin, chantonnant parfois. Habituées qu'elles sont à n'être plus que deux dans ce petit appartement, elles ne font pas attention, surtout Jeanne, au bruit des pas dans l'escalier. Aussi lorsqu'elle détourne la tête, elle reste assise, ne réalisant pas que c'est Bien Toussaint qui se tient sur le pas de la porte. Elle le trouve grandi, beau dans son uniforme. Étranger aussi. le voilà de retour son homme blessé dans les tranchées puis soigné au Val-de-Grâce. Silencieux et le visage à moitié caché par un morceau de tissu.... Et si la fin de la guerre est toute proche, c'est un nouveau combat qui attend Jeanne et Toussaint...

D'une extrême délicatesse, Angélique Villeneuve fait éclore, avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, ces Fleurs d'hiver... Si la guerre aura épargné la vie de Toussaint, c'est tout de même un autre homme qui revient chez lui, après des mois de convalescence. Un homme meurtri, blessé dans son coeur et dans sa chair. Un homme que Jeanne devra apprendre à approcher, à coups d'effleurements, de tâtonnements fragiles, de regards rassurants et de patience, mais aussi à (ré)apprivoiser et à aimer autrement. D'un amour qui, on l'espère, réussira à panser ses blessures. D'une plume délicate et sensible, ce roman dépeint avec finesse la vie des ces femmes séparées de leur mari ou de leur fils, l'attente d'une lettre, l'absence qui, chaque jour, ronge un peu plus l'espoir.
C'est tout en douceur que l'on referme la porte de cet appartement, espérant de tout coeur que la vie, aussi fragile soit-elle, renaîtra pour ces deux âmes blessées...
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S'il est des sujets dont je ne suis pas fan et que j'évite volontairement ce sont bien ceux qui tournent autour des périodes 1914 - 1918 et 1939 – 1945.
A part le terrible « Cris » de Laurent Gaudé, j'ai toujours esquivé ces récits qui malheureusement ne servent d'aucune leçon à l'homme qui continue au quotidien ses massacres, ses humiliations et autres commémorations de ses horreurs. Pour se souvenir de quoi nous sommes capables, regarder le présent est bien assez éprouvant. Bref…
Pourquoi alors avoir accepté le prêt de Marie mosaïque92 que je remercie vivement?
Tout simplement parce que ce n'est pas un livre sur la guerre. Les gueules cassées, ce n'est plus la guerre, ce sont les conséquences.
Toussaint est l'une d'entre elles qui rentre au foyer après des mois de reconstruction faciale au Val de Grâce. Retrouver une femme et une fille qu'il n'a qu'à peine connu, avec un handicap lourd à porter risque d'être compliqué.
Angélique Villeneuve nous fait entrer dans la peau de Jeanne, cette femme victime elle aussi de la guerre comme l'ont été toutes celles ayant perdu un fils, un mari ou un père. Elle tient tête aux jours mauvais pour et par Léonie, sa fille. Par l'amitié et la solidarité avec ses voisines aussi, toutes plus ou moins dans le même cas. Sauf que Jeanne sait qu'elle va retrouver Toussaint, qu'il est vivant. Blessé mais vivant, ce n'est qu'une question de temps et le temps est venu.
Comment reprendre une relation après une si longue absence ? Comment faire quand les vécus ont apporté des traumatismes différents dont l'autre ne peut appréhender la profondeur ? Comment réagir quand le temps pris à la vie risque de faire d'un couple deux étrangers ?
« Les Fleurs d'Hiver », c'est l'histoire d'une reconstruction. Après le bruit des bombes, c'est une ode au silence. La communication est privée de mots, de bruit, du vacarme des coeurs. Les tourments de l'âme vont se libérer par les gestes, dans un regard. Les peurs et autres inquiétudes n'ont qu'une seule issue, une complicité retrouvée, peu à peu, il faut se ré-apprivoiser.
J'ai beaucoup aimé l'écriture d'Angélique Villeneuve, presque apaisante pour un sujet compliqué.
C'est un magnifique portrait de femme. Un livre sur la guerre ? Non, un livre sur l'Amour.
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On les appelait les gueules cassés, mais ce n'était pas qu'une simple image. Fin 1916, Toussaint Caillet a été atteint à la face par un éclat d'obus à Verdun, sur le Chemin des Dames. La blessure est vilaine. Il est rapatrié au Val-de-Grâce où il y sera soigné durant plusieurs mois, presque jusqu'à la fin de la guerre.
À Paris, sa femme Jeanne est fleuriste, travaille à domicile, ses petites mains ouvrières s'agitent dans des compositions florales inouïes et colorées.
Pendant quatre ans, Jeanne affronte la solitude et l'absence de Toussaint, comme tant d'autres femmes. Il y a les couleurs des fleurs parmi la noirceur de l'attente et de la guerre au loin.
Elle savait depuis peu qu'il était au Val-de-Grâce, mais lui ne voulait pas qu'elle vienne le voir.
Puis un jour Toussaint revient, c'est le bord de l'hiver 1918, ce long hiver qui commence. Il revient avec le silence, sans les mots, sans les gestes. Sa silhouette courbée, trapue enfouie derrière une capucine, silhouette mutique qui fait peur, impressionne autant Jeanne que sa fille. Il est là de nouveau mais il tient ses êtres chers à distance.
Toussaint a encore le bruit des bombes dans sa tête, la boue des tranchées, le froid, la peur, quelque chose qui glisse sur sa peau longtemps après.
Quel gâchis la guerre ! Pour les hommes qui la font... Pour les femmes qui les attendent... Plus rien ne sera comme avant...
C'est un héros triste, silencieux, taiseux, un homme avec un trou dans ce visage dissimulé.
Sa fille Léonie dit qu'elle a deux papas, celui sur la photo accrochée au mur du salon et l'autre revenu de la guerre dont elle ne voit pas le visage.
Jeanne voudrait dénouer le bandeau du visage de Toussaint, mais il ne veut pas, non c'est trop tôt...
Après quatre ans de guerre et de séparation, il faut s'apprivoiser désormais. La guerre n'est plus l'ennemi, c'est autre chose, c'est le silence d'un visage vissé derrière un masque, un bandeau, un mur entre deux êtres qui s'aiment. Se réapprivoiser, reconstruire l'édifice de l'amour, peu à peu, pas à pas.
Les fleurs d'hiver est un roman court d'Angélique Villeneuve, ma première incursion dans l'univers de cette auteure, que je trouve sensible et délicat. Ce texte est aussi pour moi une rencontre touchée par la grâce, une écriture ciselée, intimiste, des mots poétiques à peine chuchotés. C'est une écriture qui penche vers le vivant, vers la vie, vers les fleurs, vers l'amour tout simplement. Ces fleurs d'hiver couturent les pages de ce livre comme un chemin, pansent les blessures, tandis que les gestes de tous les jours, de petites mains ouvrières leur redonnent forme et vie...
Ce roman est pour moi une rencontre avec une auteure, un véritable coup de coeur.
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ET POURTANT, ELLE EST REVENUE...

«Je veux que tu viennes pas»

La phrase sonne sec et définitif comme la ritournelle terrible d'une chanson réaliste d'une Fréhel ou d'une Berthe Sylva de ces années si lointaines. Pourtant, cette phrase sans appel, ce n'est pas pour faire musique que Jeanne se la remémore sans cesse, depuis ce jour terrible, l'un de ces jours froids et tristes de l'hiver 1917. Elle ne s'y fait pas, Jeanne. Elle l'a tant attendu, le retour de son Toussaint. Presque autant que la fin de cette guerre qui n'en finit pas d'en finir, depuis ces premiers jours de 14 où les généraux qui savent si bien ces choses-là l'ont assurée courte et rapide, la fameuse revanche. Blessé fin 1916 sur le front, Il est pourtant là, à quelques encablures de son logement de misère. Il est au Val de Grâce. Au «Vème Blessés» pour être précis : même les régiments de foutus pour le service ont un nom qui en jette, dans l'armée. C'est la guerre, faut bien voir les choses en grand.

«Je veux que tu viennes pas»

C'est pourtant ce que son homme lui a affirmée, sans réponse possible. Son Toussaint - le père d'un souvenir douloureux, Bella, que des poumons fragiles trahiront trop vite - papa de Léonie - Léo - par intermittence. Par parenthèse, plutôt. Celles que l'armée accorde, de loin en très loin, parce que le Fritz, lui, n'attend pas. Léonie ne sait guère à quoi ressemble son père, elle est trop jeune, l'a trop peu vu. L'armée, si :

«Caillet, Toussaint, classe 1907.
Cheveux : blond foncé. Yeux : bleus. Front : inclinaison verticale, hauteur moyenne, largeur moyenne. Nez : rectiligne, base relevée, hauteur moyenne, saillie moyenne, largeur moyenne. Visage : ovale. Taille : 1,79 mètre.
À renseignements physionomiques complémentaires, on avait noté, bouche : pleine. Menton : saillant.»

Un bel homme, ce Toussaint. Pas la beauté absolue sans doute, mais de celle qui plait tout de même à bien des femmes. Sauf que Léonie ne saura jamais la beauté de son père. Toussaint n'est plus que, est une de ces inmontrables "gueules cassées" et tout, de l'existence, en est désormais bouleversé. Déjà, à la dernière permission en Avril 1916, Jeanne avait ressenti comme la guerre l'avait abîmé, son homme. de l'intérieur. Mais elle se disait qu'une fois cette horreur tellement difficile à nommer, à qualifier, à se représenter, serait passée, il lui reviendrait, son homme. Mais là... Là ! Avec ce masque qu'il porte sans cesse, sa manière à lui de manger sans qu'on puisse rien voir de ce que sa bouche est devenue, avec ce mystère sombre qui l'environne. Avec ces mots QUI NE VIENNENT PLUS. le silence. le silence total dans lequel il s'est enfermé, son Toussaint.

«Je veux que tu viennes pas»

Une bonne partie du - disons le tout net : superbe et émouvant - roman d'Angélique Villeneuve tourne autour de cette phrase abrupte, sans concession et, malgré son apparence d'une brutalité terrible, d'une poésie à l'économie de moyen aussi troublante et efficace que l'ensemble de ce texte assez court mais percutant. À partir de cet instant où la vie de Jeanne bascule : parce que l'amour qu'elle éprouve inconditionnellement pour lui, parce que les marques modestes mais absolues de leur tendresse réciproque, parce que le respect constant de ces deux êtres l'un pour l'autre, parce que le regard que l'un peut offrir à l'autre semblent être remis en question par ces mots tellement évidents. Elle bascule dans des ailleurs inconnus, une géographie du couple qui la dépassent et qui l'effraient, et ce ne sont pas les malheurs que sa voisine et meilleure amie éprouve qui vont y changer grand chose, si ce n'est qu'elle est obligée, bien malgré elle et ses ressentis premiers, à relativiser la force universelle de ce qui l'afflige : après tout, contrairement à Sidonie qui a perdu, tout perdu, peu à peu, les uns après les autres, les sept hommes de sa vie - deux maris, cinq fils, même si seul le dernier, encore un gosse, est mort à la guerre -, elle l'a toujours, son homme à elle. Alors il va falloir tout reconstruire, tout reprendre d'une histoire qui débutait pourtant pas si mal, fors la relative pauvreté. Fors cette invitée surprise et fatale : la guerre. Sa cohorte d'horreurs.

À l'occasion d'un entretien avec la blogueuse Skriban*, Angélique Villeneuve explique «que, pour finir, Les Fleurs d'hiver n'est pas un roman historique, ni même un texte sur la guerre de 14. Il parle de la volonté qu'on peut avoir d'affronter le silence.» Sans aucun doute, le silence est-il une part essentielle de ce texte profond mais, par ses recherches (on songe à ces brefs chapitres intercalés au récits, résumant, avec une feinte froideur distante, certaines des pires évocations de cette machinerie à déshumaniser), par l'exactitude et l'immense empathie qu'elle éprouve pour et à travers sa Jeanne à l'endroit de ces femmes pauvres, en l'occurrence une ouvrière travaillant à la tâche et à domicile - elle confectionne des fleurs en tissu pour les belles dames de son temps. Des fleurs. Dans ce long hiver -, qui survécurent à ces années de folie et de faim ainsi qu'elles le purent ; pour cette sensibilité immense et cette capacité à éprouver la souffrance de ces femmes, de ces enfants, lorsque revint le père défiguré - et souvent rejeté de ses contemporains, comme des plaies que l'on cache -, Angélique Villeneuve fait oeuvre d'histoire, bien plus qu'elle ne l'affirme. Bien évidemment, il n'est pas question de la comparer ici aux oeuvres aussi terrifiantes que fabuleuses d'un Heinrich Maria Remarque, d'un Henri Barbusse et autres Roland Dorgelès, qui en furent les témoins directs et épouvantés. Nous ne sommes pas plus là Chez Sébastien Japrisot, Alice Ferney ni Marc Dugain, qui tentèrent, plus proche de nous, de comprendre cette "grande" guerre - Immense Boucherie -. Pour autant, avec une sensibilité incroyable, une capacité stylistique et émotionnelle impressionnantes, elle parvient à nous dire, à creuser l'intime de ceux qui vécurent cette monstruosité silencieuse - une fois à l'arrière - dans leur chair ou par leurs proches immédiats. Par ces qualités, l'autrice fait oeuvre de littérature historique au moins autant que ceux cités plus haut, quoi que par des voies détournées.

Mais c'est vrai, il ne s'agit pas ici que de CETTE guerre. Il s'agit, en définitive de toutes les guerres et de leurs cortèges de monstruosités et de monstres. Il s'agit aussi de toutes celles que les humbles, les mis de côté, les oubliés, les "sans grade" ont à mener, jour après jour, pour ne pas crever de faim, pour grandir dignement, pour être respectés et se respecter eux-mêmes. Pour vivre et même, souvent, seulement survivre. Pour aimer et pour s'aimer. En cela Les Fleurs d'hiver sont un magnifique roman d'Amour, sans concession, sans facilité, sans leçon trop évidente ni complaisance. de cette plume dense et légère à la fois, Angélique Villeneuve nous force à vivre, intimement, ce genre d'impossible. Et de nous demander si cet autre que nous aimons tant - avec la plus sincère des vérités - le serait encore après que le masque de sa peau fut à ce point brutalement déformé qu'on puisse en éprouver une certaine abjection...
Laissons encore un instant la parole à ces deux amants défaits - mais pas détruits -, et nous laisser envahir la pureté immédiate et vivifiante de cette langue, les ultimes mots, quand tout semble espoir à renaître :

«Jeanne offrira sa chair et toute la foi qu'elle a gardées, pour que cet homme sache revenir, elle, Jeanne, elle, sa chambre d'écho. Ils seront deux grands oiseaux d'eau aux gorges tressées.
Elle inventera. Il l'aidera. Ils sauront comment faire. Les sons, les mots viendront peut-être. Pour commencer, ils iront se dire par la peau.»

... Et de laisser le long soupir intérieur des dernières pages qu'on vit si fortes ne jamais tout à fait s'éteindre, une fois la dernière ligne lue, les mots, les craintes, les espoirs, le vécu, l'amour immense de Jeanne imprégnant tout à fait l'âme du lecteur. Plusieurs semaines après, ce soupir court encore...

* À retrouver ici : https://skriban.wordpress.com/2014/04/09/les-fleurs-dhiver-par-angelique-villeneuve/
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Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
Tout lui revient.
C'est sa peur à lui qui est différente. Et pourtant.
Pourtant.
La peur.
Ici, rue de la Lune, ou avant, à Belleville, il n'a jamais eu peur. Pas peur d'elle, pas comme ça.

Il pense soudain au fromage. Là, dans sa musette, le gros morceau sec et d'un bel orangé qu'il garde depuis des jours. Le fromage, il se dit, le fromage pourrait être un laissez-passer, un cadeau de roi mage. sous sa paume, le renflement du havresac l'aide à se mettre en mouvement.
Il pose la main à plat sur le bois, et puis s'appuie, d'abord faiblement puis, prenant sa respiration, avec une belle ampleur.
C'est fait.
Il a poussé le battant mais reste sur le palier , bien droit, dans l'obscurité. Alors Jeanne, subitement, lève la tête, les yeux encore trempés du rouge des dahlias.

Si on leur demandait, maintenant, à l'un et à l'autre, il est probable qu'ils ne sauraient pas. Ce qui s'est passé. Ce qu'ils ont pensé, ressenti, à ce moment-là.
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Au début de la guerre, on disait qu'on tiendrait facilement six semaines, mais qu'on ne savait pas ce qu'on deviendrait si ça durait six mois.

On disait que dans le Nord, c'était une vraie tuerie.

On disait qu'à Reims on mourait de faim.

On disait que leurs canons tiraient à huit cents kilomètres.

On disait que dans un village, les réfugiés mangeaient du pain mêlé de paille.

On disait que Joffre allait faire sauter toute une ville.

On disait que dans les tranchées c'était presque un palais, qu'on y prenait des douches tièdes et s'installait comme au spectacle.

On disait que des rangs entiers d'Allemands s'effondraient les uns sur les autres.

On disait qu'ils coupaient les mains des enfants, qu'ils mettaient le feu aux vêtements des adultes.

On disait que leurs obus ne faisaient que des bleus, que leurs shrapnels éclataient mollement, que leurs balles traversaient la chair sans rien déchirer.

On disait que malgré les efforts du pape Benoît XV, on n'aurait pas de trêve à Noël.

On disait que dans nos rangs les pertes étaient minimes.

On disait qu'il existait en Indre-et-Loire un hôpital pour enfants mutilés.

On disait qu'à partir du quinze, ils enverraient une bombe toutes les cinq minutes sur Paris.

On disait que le printemps, un matin, allait revenir.
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La mobilisation.
Elle y réfléchissait encore.
La guerre.
Qu'est-ce que c'était, la guerre ? Une masse énorme, grise, impalpable, impossible. Incompréhensible. Ces mots-là, ceux de l'affiche et ceux des autres, n'étaient pas des mots pour eux.
Et pourtant, malgré son obstination et l'énergie qu'elle mettait à faire tournoyer dans sa tête mille arguments irréfutables qui prouvait qu'il s'agissait là d'une lubie, d'une trop grande précipitation du gouvernement ou d'une obscure affaire de militaires, sa certitude d'y échapper avec Toussaint se fissurait au fil des heures.
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Le premier soir, il leur faut rouvrir le lit-cage qui, depuis la dernière et si lointaine permission, gît contre le mur du fond.
Dans ce lit dont les montants de fer ne servaient plus qu'à faire sécher le linge derrière la table de travail, Léo s'endort mal, décollée de sa mère, et leurs chairs pareillement douces, leurs tiédeurs par le passé si souvent confondues s'appellent sans fracas, en un imperceptible grésillement qui persiste au- delà de la nuit. Elles se manquent.
Dans le grand lit partagé, malgré l'ampleur du corps qui prend une place immense et lourde, Jeanne a plus froid, se sent plus seule qu'avant le retour du soldat.
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Fermer les yeux.
Dormir.
elle va devoir se lever tôt. La nuit, dehors, sera la même nuit. À cause de ce qui s'est passé avec Sidonie, elle aura une demi-grosse de renoncules en plus de son programme quotidien à faire le lendemain.
Il faudrait laisser fondre. Au creux de son chignon, les pensées viendraient se mettre en rond et, petit à petit, dociles, suinteraient comme une huile chaude au travers des cheveux, des plumes et de la vielle laine du matelas. Les pensées tournoyantes feraient enfin place au sommeil.
Mais les pensées ne sont pas dociles. Elles tournoient.
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Angélique Villeneuve, La Belle Lumière, éditions Le Passage
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