On les appelait les gueules cassés, mais ce n'était pas qu'une simple image. Fin 1916, Toussaint Caillet a été atteint à la face par un éclat d'obus à Verdun, sur le Chemin des Dames. La blessure est vilaine. Il est rapatrié au Val-de-Grâce où il y sera soigné durant plusieurs mois, presque jusqu'à la fin de la guerre.
À Paris, sa femme Jeanne est fleuriste, travaille à domicile, ses petites mains ouvrières s'agitent dans des compositions florales inouïes et colorées.
Pendant quatre ans, Jeanne affronte la solitude et l'absence de Toussaint, comme tant d'autres femmes. Il y a les couleurs des fleurs parmi la noirceur de l'attente et de la guerre au loin.
Elle savait depuis peu qu'il était au Val-de-Grâce, mais lui ne voulait pas qu'elle vienne le voir.
Puis un jour Toussaint revient, c'est le bord de l'hiver 1918, ce long hiver qui commence. Il revient avec le silence, sans les mots, sans les gestes. Sa silhouette courbée, trapue enfouie derrière une capucine, silhouette mutique qui fait peur, impressionne autant Jeanne que sa fille. Il est là de nouveau mais il tient ses êtres chers à distance.
Toussaint a encore le bruit des bombes dans sa tête, la boue des tranchées, le froid, la peur, quelque chose qui glisse sur sa peau longtemps après.
Quel gâchis la guerre ! Pour les hommes qui la font... Pour les femmes qui les attendent... Plus rien ne sera comme avant...
C'est un héros triste, silencieux, taiseux, un homme avec un trou dans ce visage dissimulé.
Sa fille Léonie dit qu'elle a deux papas, celui sur la photo accrochée au mur du salon et l'autre revenu de la guerre dont elle ne voit pas le visage.
Jeanne voudrait dénouer le bandeau du visage de Toussaint, mais il ne veut pas, non c'est trop tôt...
Après quatre ans de guerre et de séparation, il faut s'apprivoiser désormais. La guerre n'est plus l'ennemi, c'est autre chose, c'est le silence d'un visage vissé derrière un masque, un bandeau, un mur entre deux êtres qui s'aiment. Se réapprivoiser, reconstruire l'édifice de l'amour, peu à peu, pas à pas.
Les fleurs d'hiver est un roman court d'
Angélique Villeneuve, ma première incursion dans l'univers de cette auteure, que je trouve sensible et délicat. Ce texte est aussi pour moi une rencontre touchée par la grâce, une écriture ciselée, intimiste, des mots poétiques à peine chuchotés. C'est une écriture qui penche vers le vivant, vers la vie, vers les fleurs, vers l'amour tout simplement. Ces fleurs d'hiver couturent les pages de ce livre comme un chemin, pansent les blessures, tandis que les gestes de tous les jours, de petites mains ouvrières leur redonnent forme et vie...
Ce roman est pour moi une rencontre avec une auteure, un véritable coup de coeur.