Ce roman, qui traverse plusieurs générations de nobles, débute au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour s'achever à l'orée du XXI ème siècle. le lecteur découvre la famille d'Argentières lors des funérailles du marquis du même nom, mort des suites d'une chute de cheval. le château familial servira de toile de fond à cette saga foisonnante qui se terminera au même endroit, cinquante ans plus tard quand Antoinette d'Argentières, l'artiste reniée par la famille, est exposée par son neveu dans le château devenu propriété de la Région.
Entre ces deux épisodes, la romancière tisse son récit des amours heureux ou contrariés, des naissances, des mariages et des fêtes mais aussi des destins tragiques, des trahisons, des mensonges et de la folie. Ignorant les bouleversements de l'histoire et l'évolution du monde, cette famille d'aristocrates poursuit son destin, figée dans ses valeurs désuètes. Mais leur fortune, leurs certitudes et leur arrogance ne les mettent pas à l'abri des vicissitudes de la vie. Alors que certains d'entre eux, sûrs de leurs prérogatives, avancent dans le siècle avec le poids des traditions, d'autres tentent de secouer le joug, pesant, de l'héritage familial. Derrière un détachement hautain qui nie la réalité, on cache l'artiste aux moeurs trop libres, l'officier sombrant dans l'alcoolisme et la violence, la fille communiste, la cousine tombée sous l'influence de moines dissidents et celle qui cache son homosexualité. La folie fait irruption, niée jusqu'à l'absurde. Leur condition ne les a pas préparés au changement. Certains y parviendront, comme Tancrède, l'héritier au nom de héros qui réhabilitera la mémoire de sa tante artiste. D'autres, comme Odile, sombreront dans l'aigreur et la médiocrité.
Camille de Villeneuve nous brosse un tableau de cette aristocratie sur le déclin à petites touches. L'air de rien, elle sait acérer son trait pour décrire tel personnage ou évoquer telle anecdote. Mais elle sait aussi nous attendrir sans nous apitoyer avec le destin tragique de l'un ou l'autre des d'Argentières. Jamais elle ne prend parti, laissant le lecteur libre face à sa narration empreinte d'humanisme et de distanciation.
Ce pavé de 600 pages traitant d'une multitude de destins aurait pu être indigeste. Il n'en est rien, tant la romancière, par son talent, a su capter l'intérêt du lecteur pour des vies traversées par les tragédies de l'histoire, l'évolution des moeurs et les prises de position de l'église. Et, à travers une écriture littéraire et maîtrisée, elle nous conduit avec finesse jusqu'au dénouement.