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Critique de Bdotaku


Wally Danzig n'a que six mois quand sa famille juive polonaise quitte l'Allemagne pour venir s'installer en France en 1926. Son père a paradoxalement appris à aimer ce pays quand en 1914, alors qu'il venait y faire du tourisme juste avant la déclaration de guerre, il a été emprisonné durant 4 ans parce qu'il était de nationalité austro-hongroise et considéré comme un ennemi. Les débuts dans ce pays tant rêvé sont difficiles pour les Danzig qui travaillent dans la confection mais à force de travail et d'abnégation ils acquièrent une certaine aisance employant même une vingtaine d'ouvrières dans leur atelier. Leurs cinq enfants mènent une vie heureuse mais leur insouciance prend fin avec la déclaration de guerre et surtout la défaite. Avec le régime de Vichy, tout bascule. Ils connaissent la peur, l'humiliation, l'exclusion. Après l'arrestation du fils aîné Beno, puis la rafle du Vel d'Hiv en 1942, les parents décident, la mort dans l'âme, d'envoyer leurs filles en zone libre. Elles vont se réfugier durant « deux hivers, un été » à Corenc dans la région grenobloise …
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Cet album a bénéficié du soutien de la fondation pour la Mémoire de la Shoah et été supervisé par Annette Wievorka (spécialiste de la Shoah dont les grands-parents maternels sont morts à Auschwitz) qui en signe également la préface. Il est fondé sur le témoignage de Wally Danzig recueilli par Valérie Villedieu. La vieille dame n'avait jamais réellement raconté sa vie et pensait que sa mémoire lui ferait défaut mais les souvenirs sont revenus, intacts, douloureux, bouleversant et heureux quelques fois… Il n'y a aucune bulle : tout le récit est fait à l'aide de récitatifs qui retranscrivent sa parole.
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Comme le souligne l'historienne dans sa préface, l'histoire de Wally est « singulière et pourtant si semblable à celle de nombreux Juifs de France nés, comme elle, au début des années 20 ». le mérite de ce récit est de «personnaliser » des événements racontés dans les livres d'Histoire, d'ailleurs des astérisques dans la première partie du récit renvoient aux repères historiques placés en fin de volume. On navigue ainsi sans cesse de l'histoire à L Histoire et l'album acquiert une visée didactique un peu lourde parfois. La deuxième partie est plus personnelle cependant et me semble la plus intéressante parce que moins rebattue. On apprend ce qu'a vécu Wally, 16 ans seulement, lorsqu'elle a dû fuir le Paris occupé. On ne peut éprouver que de l'empathie pour cette adolescente qui y reviendra transformée grandie beaucoup trop tôt et orpheline. On apprend aussi comment la vie « en zone libre » était néanmoins dangereuse : parfois des rafles y étaient organisées pour combler les quotas imposés par les Allemands ; les Italiens qui occupèrent la région fin 1942 les laissèrent au contraire tranquilles, mais cela ne dura pas puisqu'elle passa sous contrôle allemand moins d'un an plus tard. On perçoit très bien l'étau qui se resserre, l'Eden qui devient une prison. A travers son récit , toutes les privations, la débrouille au quotidien nous sont racontés ainsi que la solidarité (un policier très humain et des voisins, les Flandrin veillent sur elles) comme l'amour naissant qu'elle éprouve pour celui qui deviendra son mari.
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Les dessins au pinceau d'Antoine Houcke sont de toute beauté ; il lui a fallu six années pour illustrer ce témoignage. Il a porté une attention particulière à l'utilisation de la couleur et varié les techniques : les planches sont réalisées au fusain en sépia tirant sur le noir dans les moments de guerre ou de danger et se transforment en aquarelles aux couleurs vives une fois que la jeune fille est au contact de la nature iséroise. de nombreux dessins de la première partie s'inspirent de photos d'époque pour ancrer l'histoire des Danzig dans la réalité mais développent également une forme de symbolisme quand elles évoquent l'étau qui se resserre autour des familles juives dans une pleine page dans laquelle des hommes et des femmes sont enserrés par des barbelés en forme d'étoile de David ou quand s'effacent progressivement les visages des voisins de Wally comme pour annoncer leur disparition prochaine. Chaque retour aux cases « noires » en deuxième partie permet, quant à lui, de bien matérialiser le danger qui n'est jamais loin. Comme il n'y a pas de phylactères les pages alpines ressemblent souvent à de vrais tableaux surtout lorsqu'elles se déploient sur des doubles pages.
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Le livre s'achève avec des photos familiales et des extraits de lettres donnant encore davantage de force au récit, un peu comme ces photos placées au mémorial d'Izieu ou à Oradour. « Deux hivers, un été » est une oeuvre simple mais pas simpliste. Plus témoignage illustré que véritable bande dessinée, elle rend néanmoins abordable pour tous cette réalité que d'aucuns voudraient occulter et a le mérite de transcrire le récit d'un des survivants quand leur nombre va sans cesse décroissant. Alors certes c'est un énième album sur la Shoah mais y en aura-t-il jamais assez ?
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