On est des étincelles perdues, de la poussière d’étoile et de boue, l’espace entre deux doigts qui claquent, la distance entre le rien et le rien, éperdus et patraques, des dieux sans mode d’emploi, moins que des bêtes, un rire perdu dans la grande soupe cosmique, une allumette qui ne sait pas quand elle s’éteint.
Repousser ce moment où l’instant capitule. Pousser des pieds la nuit. S’étirer tranquillement et prendre de la place. Se donner de la place. Là. Ici et maintenant. Entre chien et loup. Au mitan de la défaite et des rêves. Quel drôle de pli on prend à attendre de vivre. Quelle drôle de manière de courir ainsi après la fatigue et de laisser demain prendre la place d’aujourd’hui.
Puisque nous sommes pratiquement que de l’eau, il semble cohérent d’affirmer que chaque être humain porte en lui une dose considérable de buée. Vivre consisterait à s’évaporer.
Quand on s'intéresse un peu objectivement à la question, le champ des possibles donne le vertige. Des castors qui arrêtent des fleuves. L'eau qui peut fragmenter la roche. Gandhi qui libère un continent sans prendre les armes. La transplantation d'un cœur humain. Ça, ç'a de la gueule. Mais pour ce qui est parfois d'atteindre le soir, ou le lendemain. Ou trouver une raison de sourire. Ou un moyen de s'endormir un peu. Juste s'endormir un peu. Tranquillement. Paisiblement. Là, y a plus personne.
Nous tenons chacun notre rôle dans l'histoire.
Le mien, ce sont les nuages.
Richard Brautigan
J’ai eu peur. J’avais peur de grandir. Peur de devenir comme tout le monde. Peur d’accepter cette drôle de farce. Peur de passer à côté. Peur de la médiocrité. Et puis j’ai un peu voyagé. J’ai eu deux trois amis. J’ai lu deux trois livres. J’ai rencontré deux trois femmes. Je me suis dis que ça valait la peine. De jouer le jeu. D’accepter la farce. Alors je m’y suis mis. J’ai trouvé une place. J’y ai fait mon trou. J’ai aimé quelqu’un. J’ai eu un fils. Alors j’ai eu peur pour lui. Peur de demain. Peur de la mort.
Nous sommes la consistance des nuages. Et nos fragiles petites brumes deviennent du givre qui fond.
Les choses arrivent sans qu’on les voie. Si les mauvais coups avaient des clochettes aux pieds on le saurait.
Ce jour-là ne fut le jour de rien. Justement. Pourtant il n'était pas pire que les autres. Pas de changement notable. Pas d'évènement. Aucune surprise naissante. Aucun début. Aucune fin. Aucun rebondissement. Rien de flagrant, si ce n'était sa concordance avec hier et demain. Lui, ne s'est pas levé transformé en cafard. Personne ne venait de mourir. Il n'a pas décidé de changer quelque-chose. Ni de faire comme avant. Ni de regarder autrement. Ni de regarder autre chose. Il s'est levé avec le jour. Il a suivi l'ascension graduée de la lumière. Il a couru derrière. Il a fait ce qu'il avait à faire. Conservé ce qui pouvait être conservé. Protégé les siens. Fait les courses. Ravalé ses insultes. Mis un pied devant l'autre. Il a été un homme. Un peu pénible. Un peu bon. Il ne fut ni honteux ni fier. Fatigué. Comme chaque soir. A l'abri comme chaque soir. Plutôt content que les choses se passent normalement.
Certains matins sont conquérants. D’autres, gémissements d’esclaves. Ce qui au final ne change presque rien mais, c’est quand même mieux de se réveiller avec l’envie de bouffer quelque chose, du pain, du ciel, un livre, des kilomètres, un mur, une femme. Quelque chose.