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Citations sur La chair et le diable (69)

Annexe I
LE DIABLE : QUELQUES REPÈRES
Le diable est donné comme incarnation du mal ; on ne doit pas le confondre avec un principe ou avec une catégorie métaphysique. Unique ou partagée entre plusieurs personnages secondaires, sa présence s'inscrit dans les limites d'une histoire et d'un territoire.
L'histoire du diable est celle de l'homme confronté au négatif. Le (ou les) diable(s) est en général la représentation inversée du (ou des) dieu(x) positif(s). Inséparable, le problème de l'origine du mal est mêlé à celui de la création et du devenir de l'être après la mort.
À un créateur unique et bienfaisant s'oppose un adversaire qui intervient quand l'être suprême a achevé ou presque la création ; il tente de gâter l’œuvre divine ou de s'approprier quelque chose. Dans de nombreux mythes, c'est lui qui introduit dans le monde la mort qui n'avait pas été voulue par le créateur. On retrouve ce prototype diabolique parmi les Indiens du nord de l'Amérique. Chez les Algonquins, il est identifié au chien des prairies (coyote, Carvis Lyciscus latrans). Le mythe raconte comment le Grand Esprit* créa la terre et le ciel avec le soleil, la lune et les étoiles, puis les hommes et les animaux. Mais survint en secret un magicien puissant qui ne fit que des êtres mauvais comme les mouches et les moustiques. Il apporta l'injustice, le péché, le malheur avec la tempête, la maladie et la mort. Dans la suite, le mythe parle d'un grand serpent qui haïssait les hommes, les chassa de leur patrie et causa une grande inondation au cours de laquelle une partie des hommes furent dévorés par des monstres marins ; d'autres furent sauvés par leur ancêtre Nanaboush sur une tortue. On trouvera des exemples comparables dans l'article « L'adversaire du Dieu bon chez les primitifs » (Henninger J., 1948, In Satan. Études carmélitaines. Paris, Desclée de Brouwer, p.107-121). On relève d'étonnantes similitudes avec notre diable, notamment l'insinuation d'une certaine familiarité existant aux temps primitifs entre l'être suprême et son adversaire. Selon le mythe des Maïdous, tribu de Californie centrale, le corps du Créateur était lumineux, mais sa face était toujours cachée, personne ne l'avait jamais vue ; seul Coyote y serait parvenu, raison possible de sa chute (?). On retrouve ici la complicité de Dieu et de Satan décrite dans le livre de Job ou, plus près de nous, dans le prologue du Faust de Goethe.
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* Wakan Tanka et aux Auxiliaires (voir : « La religion des Sioux Oglala » - http://www.babelio.com/livres/Powers-La-religion-des-Sioux-oglala/129890)
p. 277-78
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LE DIABLE AMOUREUX
Les hormones du sexe
Une fois réglé le problème génétique, XX ou XY, avec les confusions que l'on a vues, la fabrique du sexe est l'affaire des hormones. Bien au chaud dans la matrice, les petits grandissent, femelle ou mâle, selon les sécrétions de leurs propres glandes génitales : pour les ovaires, l’œstradiol, et pour les testicules, les androgènes. Le pénis, les bourses et les canaux déférents sont l’œuvre de ces derniers. En leur absence, l'embryon acquiert spontanément des organes sexuels femelles : utérus, vagin, lèvres et clitoris. Encore une fois : seule la fabrique du sexe mâle nécessite l'intervention des hormones, celui de la femelle se construit librement. Sexe féminin, sexe spontané, sexe de base, sexe primordial, sexe neutre, sexe fort : l'idéologie n'a qu'à faire son choix !
Les choses sont évidemment loin d'être aussi tranchées, mais il est vrai que la sexualité de l'adulte peut se jouer dans l'utérus de la mère. C'est pendant cette période, suivie d'un temps plus ou moins long après la naissance, que se construisent non seulement l'appareil génital et les caractères morphologiques du corps, mais aussi l'organisation du cerveau qui gouverne les fonctions de reproduction et les comportements qui leur sont associés. Les glandes de l'embryon ne sont pas seules en cause dans sa sexualisation, qui dépend aussi de l'environnement : c'est-à-dire du corps de la mère, avec ses humeurs fluctuantes, et des petits frères et sœurs compagnons d'utérus et de terrain de jeu. Pendant la grossesse, les hormones de la mère baignent le fœtus, exposant parfois sa sexualité naissante à des taux d'androgènes ou à d'autres excès hormonaux qui retentissent sur ses propres sécrétions et sur sa différenciation sexuelle.
p. 223 et 24
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Notes :
De 1580 à 1620, la plupart des assemblées synodales protestants eurent à s'occuper de la sorcellerie. En France, les synodes s'occupèrent spécialement du « nouement de l'aiguillette », signe de la complicité du Démon et du sexe. Pendant plus de cinquante ans, le ciel des principautés protestantes et des États libéraux du Nord de l'Europe fut illuminé des flammes des bûchers.
Lorsque les Dominicains Sprenger et Kramer publièrent leur fameux Marteau des Sorcières (1485) à la demande du Pape Innocent VIII, ils rangèrent le crime de sorcellerie parmi les hérésies et devant comme tel être jugé en cour ecclésiastique. La diffusion de l'ouvrage grâce à l'imprimerie et le zèle justicier de Sprenger firent beaucoup pour sa célébrité et pour l'usage généralisé du marteau à écraser l'infâme.
Charles Quint se préoccupe de rendre à la justice civile le crime de sorcellerie. La “Nemesis Carolina”, monument de justice criminelle promulgué par Charles Quint en 1532, comprend trois passages relatifs à la sorcellerie. Le premier concerne ceux qui usent d'enchantements, qui se servent de livres, d'amulettes, de formules et d'objets divers, étranges et inusités, qui ont des attitudes inaccoutumées. On pourra les arrêter et les soumettre à la torture. Le deuxième passage se rapporte à l'enquête à laquelle on se livrera à leur propos. Arrêtés, ils seront interrogés pour savoir quand et de quelles manière ils procèdent. Il faudra savoir s'ils se servent de poussière empoisonnée ou de sachets magiques. On enquêtera aussi sur leur fréquentation du sabbat et s'ils sont liés au diable par un pacte. Le troisième passage est relatif à leur punition. Il rappelle que déjà le droit romain vouait au feu des magiciens et ordonne de punir tous ceux qui s'adonnent à ces pratiques, même s'ils ne nuisent pas à autrui.
p. 312 - 13

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« La Chair et le Diable », Jean-Didier VINCENT, éd. Odile Jacob © - 1995
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MORALITÉ
Quand Ivan Karamazov s'écrie : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis », il se trompe. Le diable est présent, qui impose à l'homme les contraintes du corps et du monde et le jeu tragique de la vie : la joie contre la peine, l'amour contre la haine, l'exaltation de la gloire contre le déshonneur et, à la fin de la partie, la mort. Dans ce face à face avec le démon, l'homme dispose de trois stratégies : la soumission, l'affrontement et le compromis. Dans la première, l'individu cède à la tentation. Il est entraîné dans le cercle infernal des processus opposants ; avec lui, ceux qui allument les bûchers et ceux qui se précipitent dans les flammes, tous les maudits de l'univers temporel sur lesquels pèse l'Ennui, les pauvres Tantale de banlieue livrés aux marchands d'illusion, tous les affamés du sexe, de la drogue et de la violence, les misérables victimes d'un marché de dupes qui « gagnent la mort avec tous leurs appétits, leur égoïsme et tous les péchés capitaux ».
La seconde voie est celle du combat avec le démon, de ceux qui vivent dans le feu comme la salamandre, ceux qui n'acceptent que la seule compagnie d'eux-mêmes parce qu'il y est permis d'être tout à fait vrai, ceux qui ont choisi de danser au-dessus de l'abîme et d'étouffer d'un « non » chaque « oui » doucereux.
Il reste enfin la voie très ordinaire, la plus difficile peut-être : la santé. Celle-ci ne transcende pas l'homme. Elle « présuppose même une défense égoïste de l'individu qui se trouve contraint pour la sauvegarder sinon de se dresser contre son entourage, du moins de composer et de transiger continuellement avec les infinis nécessités, croyance et idéologies de la vie en société ». Il est illusoire et dangereux de fonder une éthique sur autre chose que le soi. Il me faut savoir que le diable n'est pas l'autre et encore moins les autres : le diable, c'est moi. Mais ce qui est valable pour l'individu l'est aussi pour la société.
p. 274
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Moralité
… j'ai affirmé à mon tour la présence vivante du diable, non certes comme une vérité révélée et un acte de foi, ce qui ne conviendrait guère à ma condition de biologiste féru de choses matérielles, mais comme une observation que chacun peut faire s'il veut bien renoncer à la représentation traditionnelle du diable qui continue d'encombrer les imaginations. Sous le prétexte que le port des cornes et de la queue est depuis longtemps passé de mode, on fait mine de le prendre pour un personnage de carnaval. Il est vrai, selon la fameuse observation de Baudelaire, que « la plus belle ruse du diable serait de nous persuader qu'il n'existe pas ».
La remarque est trompeuse, car elle fait de Satan un “esprit malin” animé par l'intention de faire le mal, utilisant au besoin la ruse pour parvenir à ses fins. C'est lui ôter la vie que de le faire passer pour un esprit. Il n'est plus alors qu'une construction de l'imagination : un ensemble de formalisations que la raison utilise pour combattre le Mal. Cet esprit-là n'est qu'une vue de l'esprit.
La position inverse, qui identifie le diable à la chair, ne vaut pas mieux. Le vivant n'y retrouve ses droits que dans une animalité repoussante et si le diable et la chair ne font qu'un, c'est parce que cette dernière a été corrompue jusqu'à la moelle par le péché originel. Il me faut le dire encore une fois, le diable n'est pas plus la bête immonde qui rampe dans le cerveau de l'homme qu'il n'est l'esprit désincarné du Mal.
En attribuant métaphoriquement au diable la triade vie, sexe et mort, je n'ai pas simplement fait appel à une figure de rhétorique pour désigner les caractères fondamentaux du vivant ; j'ai essayé de ramener l'impensable à l'obsédante et immanente présence de l'opposant.
p. 271- 72
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La doctrine augustinienne affirme la non-substantialité du Mal que j'appelle ici sa non-existence. Il ne s'agit pas de nier la réalité du Mal. « Le Mal ne relève pas de l'ordre de l'être : c'est du non-être, ce qui n'est pas la même chose que le néant » (Marrou H.-I. In Satan. Études carmélitaines). Dieu ne peut se concevoir dans ce monde que pour autant qu'il aurait partie liée avec le Mal. Autrement dit, affirmer la présence divine ici-bas reviendrait à donner au Mal un statut ontologique inacceptable. Le Christ ne dit rien d'autre lorsqu'il s'écrit : « Mon royaume n'est pas de ce monde. » Dire que le diable existe, ce n'est pas succomber à la tentation, c'est accepter la vie avec sa part de négatif et reconnaître à Satan sa prétention au principat d'ici-bas.
p. 284
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Lucifer, créature de Dieu, était-il libre de ne pas pécher. La solution dialectique proposée par Anselme dans le “De Casu diaboli” anticipe les réponses apportées par Hegel et, plus près de nous, par Lacan, dont l'inspiration anselmienne semble avoir été négligée par les exégètes. Tenant la chute du diable pour un fait révélé, Anselme cherche à déterminer sa réponse à priori à partir des seules exigences de la raison. Tout venant de Dieu, est-ce également le cas du Mal ? Le vouloir du Mal est un non-vouloir du Bien. “Mais ce n'est pas Dieu qui a donné à Satan le non-vouloir.” Mais ce n'est pas Dieu qui a donné à Satan le non-vouloir. Le Mal est-il quelque, chose ? Il n'est rien ; c'est du non-être qui ne se révèle que par l'absence.
p. 283
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Dans les Évangiles, les démons tiennent une place de choix et Jésus les poursuit, délivrant les possédés et enseignant ses fidèles à prier : « Délivre-nous du malin » (Mathieu 6.13). Les relations du Christ et de Satan ne se résument pas à un combat sans surprise entre le Bien et le Mal. Les deux adversaires se connaissent et Papini va jus-qu'à dire que « Jésus est à tu et à toi avec le diable ». Pendant quarante jours, ce dernier a tenté le fils de Dieu. Mathieu et Luc donnent des récits concordants. La rencontre se déroula dans le désert, sans autres témoins que le sable et les bêtes sauvages. Pourquoi le fils de Dieu s'est-il commis avec son ennemi ? Pourquoi s'est-il soumis à des tentations auxquelles il est par nature incapable de succomber ? La réponse pourrait être d'ordre biologique. Le fils de l'Homme qui s'est incarné au point d'accepter la mort (la vie c'est la mort) ne pouvait éviter le jeu diabolique des processus opposants. Toujours selon Papini : « Le diable est considéré comme un des acteurs nécessaires, bien qu'antagoniste, de la tragédie de la Passion. Ses tentations sont le préambule inéluctable des supplices à venir. Le diable, sous cet aspect, apparaît comme un collaborateur du Christ. »
p. 282
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Henri-Charles Puech (Satan : Études carmélitaines) a parfaitement résumé l'essentiel du message manichéen dont on ne soulignera jamais assez la survivance jusqu'à nos jours dans l'Occident chrétien. Le Prince des ténèbres est la traduction mythique d'une même réalité, à la fois physique et psychologique, qui s'exprime sur le plan physique sous les espèces de la Matière et sur le plan psychologique sous celles du Désir. Matière ou Désir, le fond de cette réalité est un mouvement désordonné et furieux, ici et là éprouvé comme un mal et conçu comme constituant le Mal en soi. Mal parce qu'il est infini et irrationnel, sans commencement ni achèvement, sans cause ni but, sans raison aucune. Mal parce qu'il est, du même coup, « stupide », contingence nue, l'essence de tout ce qui — pur chaos ou instinct brut —, absurdement et perpétuellement, apparaît, disparaît, reparaît dans l'instant. Hypostase ou fils de la Matière et du Désir, le Satan du manichéisme incarne, en dernière analyse, la condition charnelle de l'homme réduite à soi seule, l'existence dans le temps saisie sous son jour le plus dépouillé, la « vie » insensée, illusoire et contradictoire, à laquelle la créature, si elle est privée de tout recours à la paix de l'Esprit, aux lumières salvatrices de la révélation et de l'Intelligence, est, aux yeux de la secte, présentement et ici-bas, condamnée, et qui, abandonnée à soi, n'est que perte, destruction, péché, enfer, mort — une nuit désespérée.
p. 280
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Dans les cultures qui entretiennent une pluralité de dieux, la séparation entre les bons et les mauvais génies n'est plus aussi évidente ; la gestion du négatif donne prétexte à une organisation à la fois plus complexe et plus superficielle. Une société anonyme ou à responsabilité limitée est préférée au pouvoir maléfique d'un seul.
Le diable acquiert toute son autonomie dans les grandes religions monothéistes. Il surgit en Perse, au vie siècle avant J.-C., dans l'émergence de la religion mazdéenne préchée par Zoroastre. Le Dieu des ténèbres Ahriman, soutenu par ses dévots maléfiques ou daevas, est confronté à l'absolu de la lumière, Mazdah. La force de cette croyance en un Dieu méchant adversaire du bon Dieu tient à ce qu'elle apparaît comme la seule explication rationnelle de la présence universelle et omnipotente du mal. Ce dualisme se retrouve confondu avec le message chrétien au IIIe siècle après J.-C. chez les Manichéens.
p. 278-79
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