Son vieil ami, le curé Papillon, dit un jour ceci à Reine : « Vous semez dans les larmes. Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant… »
Cette petite vendéenne lumineuse de vie et d'amour, empêchée de devenir religieuse pour ensuite enseigner, mariée finalement à un tyran ordinaire qui décidera de l'exiler, elle et ses treize enfants, en Charente, et l'isoler définitivement de sa famille, en versera des larmes durant cette vie de labeur et de peu de joies, sinon celle d'aimer malgré le poids d'un destin contraire.
Avec des mots évidents, qui ne s'envolent pas dans le lyrisme facile,
Yves Viollier raconte un chemin de Croix ; celui d'une sainte anonyme dont le miracle sera de répandre cet amour dont elle est pleine et qu'elle reçoit si peu en retour de la part d'un mari vaniteux, cruel et égoïste, qui, malgré les soins déployés par sa femme, la rudoie jusqu'au bout, jouissant du spectacle de son humiliation.
Pauvre Reine, « qui ne demandait [à ce mari] qu'un peu plus de délicatesse et de tendresse pour s'abandonner davantage. Elle frissonnait de voir ses prunelles zébrées d'éclairs qui ressemblaient à de la haine. » Et pourtant : « Elle ne désespérait pas de l'amadouer, avec l'aide de l'amour de Dieu. »
Un mari qui se croit souverain chez lui au point d'agenouiller physiquement ses enfants en signe de soumission à sa personne, lorsque Reine leur demande de le faire seulement pour prier et jamais sur le ton de l'injonction mais celui de l'invitation humble à demander le secours de plus haut que soi.
Roman de la terre et du Ciel, pourrait-on dire à propos de
la Mère. Parce que si l'ici-bas est dur, la promesse de l'au-delà n'en est que plus grande. Et n'y voyons là aucune bigoterie, car l'auteur n'est pas un juge austère mais bel et bien un vivant qui sait le poids de la vie.
La Mère d'
Yves Viollier est un récit de l'adversité, certes, mais il est aussi un hymne à l'abnégation maternelle ; abnégation qui sera récompensée par le souvenir intergénérationnel, cette immortalité terrestre…
Certains y verraient un récit de la servitude ; ce qui serait une erreur, car l'espérance habite l'âme de cette mère dévouée, résumée tout entière dans cette phrase : « Reine s'est toujours voulu une servante. Elle n'a jamais pris le chemin des grandeurs. Elle n'a vécu que pour le bonheur des autres, entièrement donnée à sa famille, à ses voisins, à ce petit monde qui était le sien et le nôtre ? »
Reine aurait sûrement aimé ces vers de
Louis Aragon, si merveilleusement chantés par
Jean Ferrat : « La souffrance enfante les songes / Comme la ruche les abeilles / L'homme crie où son fer le ronge / Et sa plaie engendre un soleil / Plus beau que les anciens mensonges. »