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Critique de Plumefil


C'est avec curiosité que j'ai commencé cette biographie ne connaissant ni Séraphine Louis ni ses toiles. Je me souvenais vaguement avoir entendu parler d'un film retraçant la vie peu commune d'une femme inculte, illuminée par la peinture interprétée par Yolande Moreau, mais qui n'avait pas vraiment éveillé mon intérêt.

La première cinquantaine de pages m'a paru lourde, longue, pesante tant le personnage de Séraphine est triste, morne, solitaire avec une vie difficile. Cette difficulté à rentrer dans le sujet n'a rien à voir avec le talent de l'auteur mais tout à voir avec la monotonie d'un début de vie incolore. Pauvre, rapidement placée comme "bête de somme" pour assumer les travaux de ferme et le ménage des maisons, elle voue sa vie à Dieu et la Vierge Marie. N'ayant aucune dote à offrir, elle ne peut prendre le voile pour devenir nonne; malgré tout elle entre au couvent pour contribuer aux travaux d'entretien des Soeurs pendant une vingtaine d'années. Il est difficile d'établir une biographie exacte de cette époque comme pour tous les "invisibles", les nécessiteux qui ne laissent aucune trace derrière eux. Mais ce départ laborieux est un passage obligé car connaître le parcours et les racines des personnages est important pour saisir l'empreinte qu'ils ont laissée sur le comportement et le déroulé de leur vie future.

Mon intérêt s'est éveillé dès que Séraphine a saisi un pinceau pour coucher ses premières couleurs sur des bouts de bois de récupération. Impossible d'avancer dans ma lecture avant de visionner les quelques toiles restantes disséminées dans les musées qui veulent bien les exposer. À partir de cet instant, je me suis totalement laissée emporter par les délires picturaux de l'artiste méconnue. Son oeuvre est classée dans l'Art Naïf mais ses tableaux ne peuvent rester enfermés dans une case bien délimitée, tout comme la femme. Ses fleurs sont tourmentées, sans cesse en mouvement tout comme son esprit en proie à la folie naissante qui finira par l'anéantir. Ses couleurs incandescentes, dont elle ne dévoilera jamais le secret de fabrication, expriment une rage de peindre comme si elle n'avait pas de temps à perdre. Les deux ne sont pas sans rappeler la fureur créatrice et dévastatrice de van Gogh. Est-ce sa vocation religieuse contrariée, sa solitude ou le rejet que lui fait subir la société qui la tourne vers la peinture? Elle attribue ses tableaux à l'inspiration divine, sa façon d'établir un dialogue avec Marie et tous les Saints. On peut constater que les tailles des toiles, leur construction et leur beauté s'accroissent avec le temps. Peut-être un peu par la maîtrise qu'elle acquiert mais surtout en parallèle de son délabrement psychique. La cacophonie de ses voix intérieures la plonge dans une transe mystique que seule la pratique de la peinture semble apaiser.

Le hasard a mis sur son chemin Wilhem Uhde, collectionneur, marchand d'Art et mécène, ami du célèbre Ambroise Vollard et "découvreur" de Picasso et d'Henri Rousseau entre autres. C'est grâce à lui que Séraphine de Senlis n'est pas restée dans l'ombre car il lui a acheté toute sa production, tant il a été bouleversé par ses représentations végétales illuminées et tourbillonnantes. Malheureusement, beaucoup de ces tableaux ont disparu, victimes de la destruction aveugle de "l'art dégénéré" orchestrée par le nazisme. Uhde étant notoirement pacifiste et homosexuel, il s'est caché de la Gestapo avec quelques toiles, celles que nous pouvons admirer aujourd'hui.

Même si l'auteur n'y faisait pas référence à plusieurs reprises, il est impossible de ne pas penser à Camille Claudel (1864-1943), son exacte contemporaine. Ces deux femmes artistes, restées longtemps dans l'ombre ont connu la même fin tragique, terrassées par la folie, refusant de pratiquer leur art pendant tout le temps de leur internement. Ce sont leurs seuls points communs car leurs origines n'ont rien en commun, Séraphine étant née dans un milieu pauvre dont elle ne sortira jamais et Camille de famille bourgeoise aisée pourra suivre une instruction liée à son art. La première totalement autodidacte est animée d'une force mystique alors que la seconde cherche à modeler la palpitation de la vie et sa force destructrice.

Mille mercis à mon amie Gouggy pour m'avoir fait découvrir ce livre et surtout l'artiste "sans rivâle" comme elle aimait à se définir, la mystique qui peignait le mouvement, les pigments de la vie et de sa folie. Inculte, sans formation d'aucune sorte, elle puisait son inspiration dans la nature, répondait en images aux voix qui la guidaient et l'habitaient et qui ont fini par la noyer dans un délire métaschizophrénique.

Pour compléter cette découverte aussi fascinante que troublante, je vais m'empresser de visionner le film Séraphine de Martin Provost (2008), récompensé de pas moins de 7 Césars ne sachant pas s'il va faire vibrer les mêmes cordes sensibles touchées par le livre.
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