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Michel Arnaud (Traducteur)
EAN : 9782070718894
222 pages
Gallimard (11/04/1990)
4.11/5   44 notes
Résumé :
Conversation en Sicile, publié en 1938, en plein fascisme, et interdit peu. après, est devenu un classique de la littérature italienne. Bien plus, il a renouvelé toute une sensibilité.
C'est le récit d'un retour dans la vieille ville méditerranéenne et l'on y voit comment les exigences, même essentielles, de la vie humaine, pâtissent d'un climat de tyrannie. Se réfugier en la « mère », se restreindre aux besoins et aux satisfactions les plus élémentaires, ne ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Syracuse
En ce mois de mai déjà avancé, Paris avait gardé sa mine hivernale lorsque nous décollâmes vers la Sicile. Longtemps l'horizon aperçu du hublot de l'avion fut bouché mais notre coeur avait raison d'envisager le meilleur en cette île lointaine et familière. de Catane, nous roulâmes vers Syracuse dans une voiture aussi improbable que la banlieue abîmée et chaotique de cette « siculaire* » Venise (Sicules et Sicanes furent les peuples autochtones de la région avant l'arrivée des grecs).
La chaleur et la lumière nous avaient accueillis comme prévu et notre corps bouillait doucement dans les vêtements d'un autre climat. le paysage évidemment n'avait rien de mon ancestral bocage: ici tout était ras, sec, caillouteux ; seules, sur les côtés de l'autoroute, des guirlandes de fleurs nous souriaient. A la vue de quelques palmiers, d'arbustes typiques aux airs d'eucalyptus ou de papyrus, de domaines agricoles silencieusement recroquevillés, quelque chose en moi frémit : je respirais ici la mémoire d'une atmosphère nord-africaine semblable à l'Algérie de mon enfance. Mais cela est une autre histoire, bien enfouie.
Revenons à Syracuse…De la chambre que nous avions prise chez l'habitant et du balcon qui plongeait à pic sur les flots emmêlés et furieux, nous apercevions la fameuse presqu'île d'Ortigia, lieu des arrivages réguliers de conquérants aussi prédateurs que civilisateurs. Cinq mille ans d'histoire pointe là son nez et ne pas avoir feuilleté au préalable les pages d'Histoire fait passer le visiteur à côté de la subtile combinaison esthétique de son architecture comme de sa cuisine. Dans ce port naturel, le plus grand de la Méditerranée, phéniciens, carthaginois, grecs, byzantins, romains, musulmans, normands, allemands, espagnols laissèrent des traces sous formes de pierres et de mythes. Ce «melting-pot» maritime exportait les produits du grenier à blé sicilien et importait tout ce qui pouvait enrichir les arts, le savoir et l'art de vivre. L'extrême courtoisie de ce peuple résulte-elle de tant de douceurs et de douleurs accumulées ?
Tandis que nous déambulions le premier soir dans la rue même où nous logions et posions des regards étonnés et interrogateurs sur l'enfilade de maisons toutes de belle construction ou de noble allure mais tantôt décrépites et laissées à l'abandon, tantôt restaurées avec goût et maîtrise, j'aperçus une plaque sur le mur une villa que la couleur soleil de sa peinture et son patio orné de pierre et de plantes rendaient gracieuse. Je lus une inscription rendant hommage à un certain Elio Vittorini ayant vécu ici avec sa famille de jusqu'en 1957. Qui était-il ? Je ne le savais pas. Je me promettais de chercher. Cependant, des panneaux sont apposés mais parfois les célébrités n'ont aucun intérêt et Elio Vittorini pouvait aussi être une minuscule sommité locale. A vérifier donc.
Nous passâmes toute la journée du lendemain à contempler ruelles, places, églises, forteresses, lorsque, dans une rue réputée pour ses palais baroques récemment rafraîchis, je découvris sur une façade modeste une plaque indiquant la maison natale d'Elio Vittorini.
J'aurais pu aller sur le site internet Wikipédia pour découvrir qui était cette personnalité syracusaine. Mais mon forfait de téléphone mobile aurait explosé. La solution, devenue archaïque mais fiable, était de chercher à me renseigner dans une vraie librairie puisque notre logeuse m'apprit qu'il s'agissait d'un écrivain. Je trouvais celle qui fait référence dans le guide du Routard. Je me réjouissais d'avance de cette découverte exotique : Syracuse, la librairie Biblios Café, Via del Consiglio Regionale II. Côté dépaysement, je fus servie. Après les grands magasins FNAC de Paris, celle-là niche dans une voie sinueuse son espace minuscule, sombre, presque troglodyte, avec un salon de thé plus grand que le coin librairie : de grands fauteuils en toile dont le moelleux était promesse de repos et de méditation, où je me serais bien enfoncée un moment sans compter pour « lizoter » tout mon saoul. A défaut, je humais avec gourmandise le plein de livres de bons auteurs, en italien et même en français, que je trouvais sur les étagères. La toute jeune vendeuse, joliment coiffée et maquillée, à l'air spirituel et rieur, ne parlait qu'italien mais je me fis comprendre et elle me tendit «Conversation en Sicile» d'Elio Vittorini : un grand classique, facile à lire, me dit-elle. Je partis le livre sous le bras, ravie.
« Pour Italo Calvino, « Conversation en Sicile » fait pendant au « Guernica » de Picasso : jaillie du plus sombre de l'histoire européenne, cette polyphonie dense chante fraternité et liberté — valeurs pour lesquelles Elio Vittorini s'est battu jusqu'à la fin de la guerre au sein de la résistance antifasciste » (Réf : bibliothèque insulaire virtuelle - http://jacbayle.perso.neuf.fr/livres/Medit/Vittorini_1.html)
« Né en 1908 à Syracuse, mort en 1966, Elio Vittorini, bien qu'autodidacte, possède une belle carte de visite : il fut romancier, essayiste, traducteur de D. H. Lawrence, Powys, Faulkner, Hemingway, Saroyan, directeur de collection chez plusieurs éditeurs, premier rédacteur en chef de L'Unita, codirecteur de la revue littéraire Menabo avec Calvino, et il est tenu pour l'un des fondateurs du néo-réalisme littéraire italien. Ce fils de cheminot, qui allait devenir, après 1945, un ardent militant communiste, publia d'abord quelques articles dans La Stampa, offrit au public son premier livre en 1931 (un recueil de nouvelles), mais ce fut en 1941 qu'il connut la célébrité avec Conversation en Sicile.
Alors que Silvestro se trouve dans " la non-espérance ", rongé par des " fureurs abstraites ", manifestement abattu par la perte du genre humain, une lettre lui apprend que son père vient de quitter sa mère pour une autre femme, et que ce dernier l'encourage à lui rendre visite plutôt que de lui adresser sa carte postale annuelle. Et c'est précisément en partant poster cette carte à la gare qu'il tombe sur une annonce promotionnelle qui va le propulser vers sa mère, le jetant presque malgré lui dans un train qui l'emmène vers Syracuse et la Sicile de son enfance.
Pendant toute la durée de ce premier voyage (le récit en comporte quatre, qui valent autant de dérives), il reste obsédé par l'abstraction des foules massacrées (s'il est question de la guerre, ce n'est jamais qu'en filigrane). C'est dans ce train qui l'entraîne vers le détroit de Messine que cette Conversation en Sicile commence, avec des ouvriers rentrant laborieusement au pays. Ponctués comme chez Duras de " dit-il ", les premiers échanges restent sans grand intérêt même si, dans ces quelques paroles, le lecteur sent la douleur de vivre qui encombre les voix aussi bien que les mots. Cinquante pages plus loin, après être arrivé à Syracuse et avoir décidé de prolonger son périple, il débarque à l'improviste chez sa mère, après quinze ans d'absence. Ils échangent aussitôt des souvenirs, évoquent les repas du passé (les harengs grillés, les fèves aux cardons, les lentilles à l'oignon, les escargots bouillis, et les melons que la mère dissimulait dans le poulailler), avant d'évoquer la figure paternelle. La discussion s'anime enfin, dérape soudain pour aborder, avec une indiscrétion qui surprend, la vie extraconjugale de la mère. On voit alors un fils poser de drôles de questions à sa mère, et celle-ci répondre de déroutantes banalités.
S'étant persuadée qu'elle ne doit rien attendre de son mari, elle a pris sa vie en main : devenue infirmière, elle administre désormais des piqûres aux Siciliens souffrant de phtisie ou de malaria. Elle propose à Silvestro de l'accompagner dans sa tournée quotidienne. À chaque nouveau malade, c'est la même scène qui se répète, ce sont exactement les mêmes propos que le fils et la mère trouvent à partager (heureusement pour le lecteur, d'une maison à une autre, la mère trouve malgré tout à se contredire). Sans doute lassé par la misère des maisons de malades, il poursuit seul son errance dans le village. Il y rencontre un rémouleur, un drapier, en compagnie desquels il entame un nouveau vagabondage, qui se perd dans une soirée de grand vin et d'abondants bavardages. Lorsqu'il prend congé de sa mère, il aperçoit son père pleurant un de ses fils morts à la guerre.
Cette conversation en Sicile, qui se trouve étirée sur trois jours et trois nuits, est faite de plusieurs échanges. Dans chacune de ces conversations, il est surtout question de la misère, de la pauvreté, de la difficulté à exister dans ce monde en guerre (même si les mots " guerre " et " fascisme " ne viennent jamais sous la plume de Vittorini), voire plus simplement de la difficulté à être quelqu'un quelque part (qu'il s'agisse de la Sicile ou du reste du monde). Si l'on souffre, ce n'est pas tant à cause de malheurs personnels (la faim, la maladie, la rudesse de la vie) que de " la douleur du monde offensé ", la douleur universelle du genre humain.
L'écriture d'Elio Vittorini n'a rien d'apprêté ; ses phrases se montrent souvent rudimentaires : " nous arrivâmes à une porte et nous frappâmes. La porte s'ouvrit ", comme si, en temps de guerre, l'écrivain devait s'interdire toute ornementation. Mais cette écriture aime quand même à traîner, ressasser, s'enrouler autour de motifs obsédants, comme ces souliers qui prennent l'eau dans les premières pages. C'est donc par un subtil mélange de légèreté et de pesanteur que Vittorini parvient à condamner sans jamais dénoncer qui que ce soit, dans un réquisitoire où le coupable n'a pas de nom. Ce qui le rend d'une formidable actualité. Cette manière de récit parut par fragments entre 1937 et 1938 dans une revue florentine qui ne tirait qu'à quelques centaines d'exemplaires, mais comme il ne fallait pas d'autorisation pour publier les livres ayant préalablement paru en revue, ce tirage très modeste lui permit néanmoins d'échapper à la censure fasciste. En 1942, l'organe officiel du Vatican dénonça Conversation en Sicile comme livre immoral et antirationnel, mais le volume en était déjà à sa troisième réédition. » Article paru dans la revue le Matricule des Anges, n° 056, Septembre 2004, par Didier Garcia.

Une fois ce livre d'Elio Vittorini refermé, je pensais à la Bretagne des paysans et des pêcheurs de mes parents et grands parents, à l'histoire de cette autre région aux confins de notre européanité, avec une misère ancienne similaire, le soleil en moins.
Ainsi un voyage s'aborde aussi par la littérature. Ecouter les voix des écrivains : pas de meilleurs guides que ces témoins essentiels qui retranscrivent leur expérience charnelle et spirituelle de ces pays que nous visitons. Leurs textes mémorables nourrissent nos promenades d'intuitions émouvantes et éclairent les racines de l'atmosphère qui règne dans les décors dont nous sommes les passants récréatifs et méditatifs.
©Patricia JARNIER – 15 juin 2013 – Syracuse 1
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Silvestro décide sur un coup de tête de se rendre en Sicile dans le village de son enfance pour voir sa mère. Il en était parti 15 ans plus tôt, à l'âge de 15 ans et n'y était jamais revenu.
Le voyage commence donc dans le premier train, où l'on partage avec ce jeune homme son envie de départ, son retour vers le pays natal avec toutes les émotions qui y sont liées. Il rencontre des siciliens, se demande qui il est, lui. Est-il toujours un sicilien, est-il un étranger ? Comment les autres gens le voient-ils ?
Puis, ce sont les retrouvailles avec la mère, quittée par son mari pour une femme plus jeune.
On assiste aux retrouvailles où silvestro pose à sa mère les questions qui le taraudent et qui étaient restées en suspens depuis son enfance.
Les dialogues qui constituent les conversations avec la mère puis avec d'autres personnes du village, voisins, famille, amis, sont plutôt répétitifs et finalement assez ennuyeux. Ils parlent pourtant de l'identité et de l'histoire d'une région du monde avec beaucoup d'émotion. Ils évoquent les souvenirs d'enfance, mais aussi la misère, la guerre et l'injustice du monde.
On n'a pas la clé des questions posées, et s'il y a des métaphores, je ne les ai pas comprises. D'où mon appréciation réservée pour ce texte qui a paraît-il rendu célèbre Elio Vittorini. le style,et peut-être aussi la traduction ne m'ont pas aidée.
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Journaliste, traducteur, écrivain et chroniqueur, Elio Vittorini (1908-1966) a été rendu célèbre par ce texte, publié d'abord par fragments vers 1938 et en livre deux ans plus tard, censuré par le Vatican puis par le régime fasciste.
Un employé trentenaire, qui vit à Turin, veut envoyer des voeux d'anniversaire à sa mère , mais rongé par le manque d'espoir et peut-être la nostalgie, décide de lui rendre plutôt visite et prend le train pour la Sicile, sur un coup de tête. Après la traversée du détroit de Messine, il échange avec des voyageurs siciliens dans le train de Syracuse, mais c'est surtout avec sa mère encore jeune, qui vit seule dans un village reculé de montagne, que va se dérouler cette conversation étrange, faite de souvenirs et de réminiscences, de questions parfois crues, d'interrogations sur les hommes de la famille, père, grand-père, pour s'achever dans une visite des malades auxquels sa mère va faire des piqûres, dans une plongée au coeur de la population fruste de ce hameau perdu...
La soirée le voit se lier d'amitié avec des personnages hauts en couleurs, un rémouleur, un sellier et un drapier, avec qui il partage la même tristesse devant "les souffrances du monde offensé", expression codée pour évoquer leur antifascisme commun. Tout va s'achever dans une cuite mémorable où des situations surréelles sont évoquées avec un lyrisme splendide et incantatoire.
Un texte surprenant, écrit dans un style lent et parfois répétitif, mais alors que la plus grande partie du roman est construite autour d'une riche confrontation mère-fils, la conclusion revêt une dimension poétique magique et s'envole dans des scènes rêvées, qui révèlent les aspects cachés du monde, souffrance des pauvres et du genre humain, vanité de la guerre où est mort son jeune frère, profonde injustice contre laquelle certains cherchent un remède dans le vin et l'ivresse, vieille évasion des hommes.

Au total une belle surprise que ce final surréaliste et cet envol lyrique mémorable. La traduction est honnête sans plus et on aimerait avoir pu lire ce livre en V.O.
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Silvestro est un curieux personnage, homme trentenaire vivant dans le Nord de l'Italie et recevant un jour une lettre de son père qui l'encourage à aller rendre visite à sa mère, de qui il est séparée, pour sa fête deux jours plus tard. Sur un coup de tête il achète le premier billet de train d'une longue liste qui l'emmènera aux confins de la Sicile à la rencontre de sa mère qu'il n'a plus vue depuis quinze ans.

Parfois pièce de théâtre, parfois récit poétique, parfois roman. Cette oeuvre mélange définitivement les genres et offre à nous faire découvrir une Italie ravagée de pauvreté, noyée sous le travail asservissant qui ne rapporte rien si ce n'est à peine de quoi nourrir sa famille.

Pour être franche, l'ennui a prévalu au cours de cette lecture très rapide pourtant. Je n'ai pas été touché ni par le personnage ni par le style d'écriture. Dommage.
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Silvestro,le protagoniste, trentenaire,est en proie à un sombre pessimisme à cause des malheurs qui accablent son pays: pauvreté,crise du moment,maladies:malaria et tuberculose.
A l'enfoncer encore un peu plus,dans la dépression, arrive une lettre de son père qui lui annonce qu'il a quitté sa femme pour une autre.
Il ne demande pas à son fils de le pardonner,mais seulement d'aller voir sa mère le 8 décembre,pour son anniversaire ,en lieu et place de l'habituelle lettre.
Durant son long voyage jusqu'en Sicile, Silvestro rencontre de nombreuses personnes.
Arrivé dans le village où il a grandi,au milieu des montagnes,il retrouve sa mère avec laquelle il a de longues conversations. C'est l'évocation des souvenirs d'enfance.
Un soir,Silvestro et trois hommes se rendent à l'auberge. Les trois s'endorment après avoir bu beaucoup de vin.
"Ce vin,refusé par le protagoniste,représente l'idéologie bourgeoise contre révolutionnaire,l'élément qui sert à révéler l'inefficacité des autres:s'endormir sans opposer de résistance." (sic)
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
C’est une chance que d’avoir lu quand on était enfant. Et c’est double chance d’avoir lu des livres sur les anciens temps et sur les anciens pays, des livres de voyage et les Mille et une nuits.

On peut même se souvenir de ce que l’on a lu comme si on l’avait en quelque sorte vécu, et l’on a en soi, outre sa propre enfance, l’histoire des hommes et le monde entier, la Perse et les sept ans qu’on a eus, l’Australie et les huit ans, le Canada et les neuf ans, le Mexique et les dix ans qu’on a eus, et les Hébreux de la Bible, avec la tour de Babylone et David, appartiennent à l’hiver de vos six ans, les califes et les sultanes à un mois de février ou de septembre, et, à l’été, les grandes guerres en compagnie de Gustave Adolphe et des autres, les grandes guerres pour la Sicile-Europe, à l’été d’une Terranova, d’une Syracuse, cependant que,chaque nuit, le train emporte des soldats parce qu’il y a une grande guerre qui est toutes les guerres.
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Moi, je connaissais cela et plus que cela, je pouvais comprendre quelle est la misère d'un malade et des gens qui sont autour de lui, dans le genre humain ouvrier. Et chaque homme ne la connaît-il pas cette misère ? Chaque homme ne peut-il la comprendre ? Chaque homme est malade une fois au moins, au milieu de sa vie, et il fait la connaissance de cet étranger qu'est au-dedans de lui, le mal, et il connaît quelle impuissance est la sienne devant cet étranger ; il peut comprendre son semblable...
Mais peut-être chaque homme n'est-il pas homme ; et peut-être le genre humain n'est-il pas tout entier genre humain. C'est là un doute qui vous vient, sous la pluie, quand on a des souliers troués, et que l'on n'a plus personne en particulier qui vous occupe le coeur, que l'on n'a plus sa vie à soi, plus rien de fait et plus rien à faire, plus rien même à garder, plus rien à perdre, et quand on se voit, par-delà soi-même, les massacres du monde. Un homme rit et un autre pleure. Tous les deux sont des hommes ; celui qui rit a, lui aussi, été malade ; et pourtant il rit parce que l'autre pleure. Il peut, lui, massacrer, persécuter, et quelqu'un qui, dans sa non-espérance, le voit qui rit dans ses journaux et sur les manchettes de ses journaux, ce quelqu'un ne va pas avec lui qui rit mais, plutôt, il pleure, dans le calme plat, avec cet autre qui pleure. Donc, tous les hommes ne sont pas des hommes. L'un persécute et l'autre est persécuté ; et le genre humain tout entier n'est pas genre humain, mais l'est seulement celui des persécutés. Tuez un homme, et celui-ci sera plus homme. Et, de la sorte, est plus homme un malade, un affamé ; et le genre humain des meurt-de-faim est plus genre humain.
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"Ça alors, je suis chez ma mère !" me dis-je quand je descendis du car au pied du long escalier qui menait aux quartiers hauts du village de ma mère.
Le nom du village était écrit sur un mur comme sur les cartes postales que j'envoyais tous les ans à ma mère, et le reste, cet escalier entre de vieilles maisons, les montagnes alentour, les taches de neige sur les toits, était devant mes yeux, tel qu'il avait été, je me le rappelai soudain, une fois ou deux dans mon enfance.
Et il me parut qu'être là ne m'était pas indifférent, et je fus content d'y être venu, content de ne pas être resté à Syracuse, de ne pas avoir repris le train pour l'Italie du Nord, de n'avoir pas encore terminé mon voyage.
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J'eus cette chance de lire beaucoup dans mon enfance, et, à Terranova, la Sicile signifie aussi pour moi Bagdad et Palais des Larmes et jardin de palmiers. J'y lus les Mille et une nuits et autre chose, dans une maison qui était pleine de divans et des filles d'un ami de mon père, et je dois à ces lectures le souvenir de la nudité de la femme, une nudité de sultanes et d'odalisques, concrète, certaine, cœur et raison du monde.
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Enfant, on ne demande que du papier et du vent, on a seulement besoin de lancer un cerf-volant. On sort et on le lance, et c'est un cri qui s'élève de vous, et l'enfant le fait planer dans l'atmosphère avec un long fil qu'on ne voit pas, et de la sorte, il consume sa foi, célèbre sa certitude. Mais après, que ferait-il de la certitude ? Après on connaît les offenses faites au monde, on connaît l'impiété, et la servitude, l'injustice qui règne parmi les hommes, et la profanation de la vie terrestre, tout ce qui est contre le genre humain et contre le monde. Que ferait-on alors si on avait toujours sa certitude ? Que ferait-on ? se demande-t-on. Que ferais-je, que ferais-je ? me demandai-je.
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Vidéo de Elio Vittorini
Elio Vittorini : Les hommes et les autres (1956 / France Culture). Photographie : Elio Vittorini. Diffusion sur France Culture en 1956. Réalisé par Alain Trutat. Écrit en 1945, “Les hommes et les autres” est un des plus grands textes de Elio Vittorini, récit poétique de la résistance antifasciste et le récit d’un amour. « Je pourrais découvrir comment il y a, dans les plus délicats rapports entre les hommes, une continuelle pratique de fascisme, où celui qui impose croit seulement aimer et celui qui subit croit, en subissant, faire tout juste le minimum, pour ne pas offenser. Je pourrais peut-être montrer comment il y a, dans cela, la plus subtile, mais aussi la plus cruelle, des tyrannies, et la plus inextricable des servitudes ; lesquelles, toutes les deux, tant qu'on les admettra, pousseront à admettre toutes les autres tyrannies et toutes les autres servitudes des hommes pris séparément, des classes et des peuples entre eux. » « “Uomini e no”, le titre italien de ce roman, signifie que nous, les hommes, pouvons aussi être des « non-hommes ». Il vise à rappeler qu'il y a, en l'homme, de nombreuses possibilités inhumaines. Récit de résistance où les communistes s'opposent aux nazis et aux fascistes, “Les hommes et les autres” est à la fois un roman engagé et un texte expérimental et poétique. Il pose la question de l'humaine inhumanité et de la barbarie, mais aussi et surtout celle, incertaine, de l'engagement littéraire. » 4 ème de couverture
Avec :
Bernard Bimont, Roger Blin, Blanchette Brunoy, Maria Casarès, Régine Chantal, François Chaumette, Bernard Cotteret, Henri Crémieux, Gérard Darrieu, Charles Deschamps, Louis de Funès, Jérôme Juliette, Pierre Leproux, Yves-Marie Maurin, Jean-Claude Michel, Lucien Nat, Pierre Olivier, Yves Peneau, Serge Reggiani, Monique Rollin, Françoise Rosay, Jean-Marie Serreau, Pierre Vaneck, Claude Vernier, François Vibert, Yvonne Villeroy.
Vous entendrez également la voix de Maria Casarès au micro d’Alain Trutat et de Blandine Masson, Maria Casarès nous parle de l’intimité au théâtre, où il est question de salles pleines, de salles vides, de moments de grâce et de radio.
“Les hommes et les autres” est paru la première fois en 1947 chez Gallimard
Source : France Culture
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