L’Eternelle Vengeance
Dalila, courtisane au front mystérieux,
Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux
Où luttaient le soleil, l'orage et la nuée,
Rêvait: "Je suis l'esclave et la prostituée,
La fleur que l'on effeuille au festin du désir,
La musique d'une heure et le chant d'un loisir,
Ce qui charme, ce qu'on enlace et qu'on oublie.
Mon corps sans volupté se pâme et ploie et plie
Au signe impérieux des passagers amants.
Parmi ces inconnus qui, repus et dormants,
Après la laide nuit dont l'ombre pleure encore,
De leur souffle lascif souillent l'air de l'aurore,
C'est toi le plus haï, Samson, fils d'Israël !
Mon sourire passif répond à ton appel,
Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,
A rempli de parfums ta détestable étreinte:
Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,
Ne crois pas que ma haine ait moins d'âpres mépris,
Car, dans le lit léger des feintes allégresses,
Dans l'amère moiteur des cruelles caresses,
J'ai préparé le piège où tu succomberas,
Moi, le contentement bestial de tes bras !"
Parle-moi, de ta voix pareille à l’eau courante,
Lorsque s’est ralenti le souffle des aveux.
Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux,
Mais berce-moi de ta mélopée enivrante.
De ce timbre voilé qui m’attriste et m’enchante,
Lorsque mon front s’égare en tes vagues cheveux,
Exprime tes espoirs, tes regrets et tes vœux,
O mon harmonieuse et musicale amante !
Et moi, j’écouterai ta voix et son doux chant.
Je ne comprendrai plus, j’écouterai, cherchant,
Sinon l’entier oubli, du moins la somnolence.
Car si tu t’arrêtais, ne fût-ce qu’un moment,
J’entendrais… j’entendrais au profond du silence
Quelque chose d’affreux qui pleure horriblement.
FLEURS DE SÉLÉNÉ
Elles ont des cheveux pâles comme la lune,
Et leurs yeux sans amour s’ouvrent pâles et bleus,
Leurs yeux que la couleur de l’aurore importune.
Elles ont des regards pâles comme la lune,
Qui semblent refléter les astres nébuleux.
Leurs paupières d’argent, qu’un baiser importune,
Recèlent des rayons langoureusement bleus.
Elles viennent charmer leur âme solitaire
De l’ensorcellement des sombres chastetés,
De l’haleine des cieux, des souffles de la terre.
Nul parfum n’a troublé leur âme solitaire.
L’ivoire des hivers, la pourpre de l’été
Ne les effleurent point des reflets de la terre :
Elles gardent l’amour des sombres chastetés.
Leur robe a la lourdeur du linceul qu’on déploie,
Grise sous le regard nocturne des hiboux,
Et leur sourire éteint la caresse et la joie.
Leur robe a la lourdeur du linceul qu’on déploie.
Elles penchent leurs fronts et leurs gestes sont doux
Vers les agonisants du songe et de la joie
Qui râlent sous les yeux nocturnes des hiboux.
Elles aiment la mort et la blancheur des larmes...
Ces vierges d’azur sont les fleurs de Séléné.
Possédant le secret des philtres et des charmes,
Elles aiment la mort et la lenteur des larmes,
Et la fleur vénéneuse au calice fané.
Leurs mains ont distillé les philtres et les charmes,
Et leurs yeux pâles sont les fleurs de Séléné.
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l’instant que l’on ne peut saisir…
Tu fuis, lorsque l’appel de mes lèvres avides
T’implore, ô mon Désir !
Plus froide que l’Espoir, ta caresse cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah ! l’éternelle faim et la soif éternelle
Et l’éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les vœux inapaisés…
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l'airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l'écume.
Le soir d'été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s'échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s'exhalaient tour à tour
L'agonie et l'amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l'effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j'entendis des lyres se briser
En criant vers le ciel l'ennui fier des poètes.
Parmi les flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m'apparus.
Et l'esprit assoiffé d'éternel, d'impossible,
D'infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d'émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
« Une anthologie de femmes-poètes ! - Eh oui, pourquoi pas ?
[…]
On a dit du XIXe siècle que ce fut le siècle de la vapeur. le XXe siècle sera le siècle de la femme. - Dans les sciences, dans les arts, dans les affaires et jusque dans la politique, la femme jouera un rôle de plus en plus important. Mais c'est dans les lettres surtout, - et particulièrement dans la poésie, - qu'elle est appelée à tenir une place considérable. En nos temps d'émancipation féminine, alors que, pour conquérir sa liberté, la femme accepte résolument de travailler, - quel travail saurait mieux lui convenir que le travail littéraire ?! […] Poète par essence, elle s'exprimera aussi facilement en vers qu'en prose. Plus facilement même, car elle n'aura point à se préoccuper d'inventer des intrigues, de se créer un genre, de se faire le champion d'une idée quelconque ; - non, il lui suffira d'aimer, de souffrir, de vivre. Sa sensibilité, voilà le meilleur de son imagination. Elle chantera ses joies et ses peines, elle écoutera battre son coeur, et tout ce qu'elle sentira, elle saura le dire avec facilité qui est bien une des caractéristiques du talent féminin.
[…]
Et puis, au moment où la femme va devenir, dans les lettres comme dans la vie sociale, la rivale de l'homme, ne convient-il pas de dresser le bilan, d'inventorier - si l'on peut dire, - son trésor poétique. Les temps sont arrivés où chacun va réclamer le bénéfice de son apport personnel. […] » (Alphonse Séché [1876-1964])
« Il n'y a pas de poésie féminine. Il y a la poésie. Certains et certaines y excellent, d'autres non. On ne peut donc parler d'un avenir spécial de telle poésie, masculine ou féminine. La poésie a toujours tout l'avenir. Il naîtra toujours de grands poètes, hommes ou femmes […]. Où ? Quand ? Cela gît sur les genoux des dieux, et nul ne peut prophétiser là-dessus.
[…]. » (Fernand Gregh [1873-1960])
0:00 - Jeanne Perdriel-Vaissière
1:17 - Marguerite Burnat-Provins
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6:11 - Anna de Noailles
8:25 - Renée Vivien
9:41 - Générique
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Référence bibliographique :
Alphonse Séché, Les muses françaises : anthologie des femmes-poètes (1200 à 1891), Paris, Louis-Michaud, 1908.
Images d'illustration :
Alphonse Séché, Les muses françaises : anthologie des femmes-poètes (1200 à 1891), Paris, Louis-Michaud, 1908.
Marguerite Burnat-Provins : https://christianberst.com/en/artists/marguerite-burnat-provins
Bande sonore originale : Arthur Vyncke - Uncertainty
Uncertainty by Arthur Vyncke is licensed under a CC BY-SA 3.0 Attribution-ShareAlike 3.0 license.
Site :
https://www.free-stock-music.com/arthur-vyncke-uncertainty.html
#PoétessesFrançaises #PoèmesDeFemmes #LittératureFrançaise
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