le «
Maupassant grec » a-t-on dit de
Georges Vizyïnos, prosateur né en 1849 dans la région de Thrace, mort en 1896 à Athènes.
Le genre de comparaison pratique qui permet de classer un peu rapidement un auteur méconnu, mais qui présente l'avantage de susciter l'envie de le découvrir. Il est vrai que le conteur hellénique possède bien des points communs avec l'écrivain normand : outre l'art de la nouvelle et le fait qu'ils soient de la même génération (un an les sépare), il est surtout troublant de relever leur mort prématurée, précipitée par la folie.
Le Péché de ma mère, nouvelle écrite à Paris où Vizyïnos a étudié la philosophie, peut être perçue comme un récit autobiographique car l'auteur se distingue peu du narrateur. Par la voix de Yorghis, est-ce Georges qui se souvient ? Tous les deux ont quitté leur campagne de Thrace pour rejoindre la grande ville, Constantinople. Similitude des prénoms, similitude des destins.
L'action se situe donc dans la région hellénique de Thrace, incluse dans l'Empire ottoman, dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais cela pourrait se dérouler ailleurs à n'importe quelle autre époque. La Thrace du XIXe ne transparaît que par petites touches légères, dans une « bande d'étoffe » ou bien une lampe vacillant « devant une icône ». L'auteur ne s'encombre pas de descriptions naturalistes de paysages, d'objets ; les sentiments des personnages, mère et fils narrateur, prennent toute la place.
Vizyïnos raconte les affres morales d'une femme qui estime avoir commis l'irréparable – le fameux « péché » -, et l'amour désordonné d'une mère pour ses enfants. S'entremêlent les souffrances psychologiques de la mère et les sentiments du narrateur, souvent empathique et attendri, rarement amer malgré le souvenir de l'abandon ressenti durant son enfance.
C'est par le parcours intérieur de la mère que Vizyïnos met en lumière les moeurs de la Grèce du XIXe, dévote et superstitieuse. On y comprend le rôle de l'Église orthodoxe aussi bien que la place des filles dans la famille. Mais l'on en revient tout de même à une "faute" individuelle qui génère un parcours mental, des résolutions et des actions incompris par l'entourage de la mère, que ce soient les habitants du village ou ses propres enfants. J'ai d'ailleurs eu l'impression d'un détachement général vis-à-vis d'elle plus que d'une réprobation collective. Difficile de savoir si Vizyïnos décrit une femme de son temps, accablée par des normes sociales forgées par la religion et la tradition, ou par une femme unique (inspirée par sa mère) qui se fabrique son propre malheur.., Quelles sont les parts du poids social et du désordre mental du personnage ? Cette nouvelle est également le récit du cheminement du narrateur qui finit par apprendre et comprendre ce qu'il s'est passé. Lui non plus ne juge pas.
La gravité de la situation (misère sociale et instabilité psychologique), est évoquée dans un style léger et coulant, d'apparence simple, qui pourrait presque rassurer tant le narrateur apparaît doux et mesuré. Mais ce décalage ne dissimule ni n'atténue les douleurs du personnage central, il fait même ressurgir d'autant plus les fractures de la mère.
Un texte à relire pour y mesurer le poids de la religion, mais surtout de l'amour, sur le sentiment de culpabilité et les comportements qui en découlent.
Enfin, une ultime constatation : l'impuissance de l'écriture face à un drame humain si profondément ancré dans un être. Peut-être cela explique-t-il la légèreté de ton de Vizyïnos, teintée d'une frêle ironie. Ce drame, la littérature a su l'évoquer sur une quarantaine de pages et même compatir, et après ? « Ses yeux se remplirent de larmes, et je me tus. »