Un jour, Mme de Staël était dans une barque sur le lac Léman avec Mme Récamier et Benjamin Constant, quand un des rameurs : " ce nuage à l'horizon nous annonce un gros temps."
" Dites, Benjamin, fit Mme de Staël, si nous faisions naufrage qui de nous deux sauveriez-vous ?" Et Benjamin Constant à Mme de Staël : "vous, vous savez nager."
– Je me rappelle surtout un fait que nous a rapporté mon père, comme il rentrait à la maison un des jours d’émeutes. Des gens tiraient sur la troupe. Un passant s’approche d’un homme qui n’arrivait pas à toucher son but ; et lui prend le fusil des mains, vise un soldat qui tombe et comme il rendait l’arme à son propriétaire, celui-ci eut un geste comme pour lui dire : “Continuez, vous vous en servez si bien.” Et l’autre : “Non, ce n’est pas dans mes opinions.”
Degas se plaisait à ces récits du passé.
Les yeux de Degas s'étaient portés sur une toile de Gauguin.
— Pauvre Gauguin! Sur son île, là-bas, il doit penser tout le temps à la rue Laffitte. Je lui avais conseillé d'aller à la Nouvelle- Orléans, mais il trouvait que c'était trop civilisé. Il lui faut des gens avec des fleurs sur la tête et un anneau dans le nez... Moi, quand j'ai seulement quitté mon atelier depuis deux jours...
Un jour que j'y étais allé prendre un tableau — il faisait un temps exceptionnellement favorable à peindre — voilà qu'on entend sonner; c'était quelqu'un qui venait présenter ses souhaits de bonne année, et demandait s'il ne pourrait pas faire monter un ami resté en bas dans la
voiture...
— Pas à cette heure, répond Degas, mais à une heure et demie de l'après-midi, avant que je ne commence à travailler, ou quand il fait nuit!
Une fois l'autre parti :
— Moi aussi, monsieur Degas, je pourrai vous amener des personnes à ces heures-là ?
— Si vous voulez, Vollard.
C'est que personne plus que Degas ne croyait à la nécessité d'une espèce de discipline dans tous les actes de la vie, besoin qui semble ridicule aujourd'hui... Mais Degas se flattait d'être d'une autre époque, une époque où il y avait de l'ordre dans le monde, une époque où chacun se tenait à sa place. C'est ainsi qu'il se jugeait légitimement offensé si quelqu'un, sans y être invité, lui tendait la main avec un «Bonjour Maître!' Et on s'étonnait quand il sortait ses griffes !
J'expliquai à Degas que l'on en était venu à dîner de plus en plus tard, parce que chaque dame croyait qu'elle manquerait son entrée si elle n'arrivait pas la dernière. Et je hasardai quelques considérations sur les femmes et sur la mode. Degas me prit le bras: «Je vous en prie, Vollard, ne dites pas de mal de la mode. Vous êtes vous jamais demandé ce qui arriverait s'il n'y avait pas la mode? A quoi les femmes passeraient leur temps? De quoi parleraient- elles? Ce que la vie deviendrait impossible pour les hommes!