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Critique de MarianneL


Ce roman de Volodine paru en 2004 aux éditions du Seuil est sans doute un de ceux où l'humour du désastre est le plus omniprésent, depuis le premier chapitre complètement burlesque où le malheureux Kominform, égalitariste radical en bout de course, est abattu par des tueurs au milieu des volatiles d'un poulailler attenant à un monastère lamaïque. Une femme au corps d'ange assiste à la scène et commente les événements comme si elle était en direct à l'antenne d'une radio, Drumbog, un des moines est partagé entre ses problèmes intestinaux du moment et sa volonté de lire le Bardo Thödol à l'oreille de Kominform pour l'accompagner dans son avancée dans le Bardo, et enfin Strohbuch le tueur, qui est chargé par le moine d'aller chercher le livre des morts tibétains, revient, par ignorance de la langue, avec deux livres inattendus : un manuel de cuisine «L'art d'accommoder les animaux morts» et une anthologie surréaliste «Cadavres exquis».

Le Bardo est cet espace noir où selon les bouddhistes le mort erre pendant 49 jours après son décès en allant soit vers sa réincarnation, ce qui pour les bouddhistes est la voie de l'échec, soit vers la claire lumière rompant ainsi le cycle des réincarnations et entraînant la destruction de l'individualité. Pendant cette période, un lama dit au défunt le Bardo Thödol, le livre des morts tibétains, pour le guider, si possible, vers la lumière ou du moins vers une meilleure réincarnation.
Mais les morts de Volodine sont mécontents d'être prisonniers de cet espace noir, ils sont stupides, rarement clairvoyants, têtus et dans tous les cas désobéissants, absolument pas prêts à renoncer à leur individualité, à leur capacité de résister, de penser et de dire, même s'ils ne sont que des Untermensch ou des écrivains sans public.

« -Cet homme est comme sourd à ce qu'on lui serine avec patience et compassion, commente Mario Schmunck. Cet homme mort, au lieu de se préparer à rencontrer la Claire Lumière, il est en quête d'un compteur d'électricité !... Il promène ses mains sur le mur, il ne rêve que de descendre à la cave. Il s'appelle Glouchenko, il a trente-cinq ans, il a mené une vie normale… »

Il est difficile de ne pas s'égarer dans les chemins de ce «Bardo or not Bardo», car, à chaque chapitre, la narration prend un nouveau départ et que les voix des personnages, narrateurs, qui ont aussi souvent le statut d'écrivains, semblent se démultiplier et se superposer au cours du récit.

Mais pour peu qu'on accepte de cheminer dans cet espace fictionnel noir, dans ces histoires tragiques où le burlesque et le détournement de la parole sont constamment présents (il suffit de lire les titres du roman et les titres des chapitres 1, 4 et 7 pour s'en convaincre : Baroud d'honneur avant le Bardo, le Bardo de la méduse, Au bar du Bardo), on ressort (toujours plus) amoureux de la littérature post-exotique et ébahi de voir ainsi cohabiter dans un unique livre la puissance et les limites de ce que peuvent la parole et l'écriture.

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