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Critique de Glaneurdelivres


« Des anges mineurs » est un roman très singulier pour plusieurs raisons.
Singulier par sa forme, car il est constitué de quarante-neuf nouvelles très courtes, que l'auteur, Antoine Volodine appelle « narrats ». C'est lui-même qui a inventé ce terme. C'est sa façon de désigner des textes brefs de quelques pages seulement, qui mis bout à bout, forment un ensemble d'instants surréalistes.

Dans cet étrange roman, tout, des personnages aux lieux, a une consonnance russo-asiatique.
On nage dans un monde qui touche à sa fin, avec une galerie de personnages perdus, mais attachants, désespérément humains. Il semblerait qu'une quelconque révolution ait entraîné la chute du monde... La compétition financière et l'exploitation de l'homme ont été remplacées par l'oisiveté et l'immobilisme, et les hommes, recevant l'argent nécessaire pour vivre, s'enfoncent dans le néant de l'inactivité.
On est dans une vision post-apocalyptique. Des survivants vivent tant bien que mal dans des bâtiments délabrés aux appartements insalubres. Les gens sont en haillons, vivent dans la crasse et la poussière. Certains y engraissent leur mère pour de simples raisons cannibales ! On n'a que quelques bribes de repères du temps et de l'espace. L'atmosphère est lourde, les situations effrayantes, les personnages semblent vivre des cauchemars…
Un savant mélange y rend irréelle la réalité… C'est noir, profondément noir, mais pourtant poétique ! C'est un ovni littéraire, ce roman !

A la lecture de ce livre tout à fait étonnant, je n'ai pu m'empêcher de trouver quelques similitudes avec l'atmosphère du roman de Cormac McCarthy « La route », avec ses derniers survivants d'un monde dévasté, et aussi avec le film d'Andreï Tarkovski, « Stalker », avec son no man's land mystérieux et angoissant, et encore avec l'univers des bandes dessinées d'Enki Bilal.

Singulier, ce livre l'est aussi par son temps historique défiguré, ses lieux inidentifiables, ses transgressions du réel, son onirisme, mais aussi par le fait qu'il se situe hors des courants littéraires. Avec ce roman, on navigue dans une histoire avec des personnages, des paysages, une intrigue, mais en même temps on entre en contact avec un univers étranger, des obsessions, un imaginaire, et un tel tissu d'images, que se dégage de ce livre une très grande force.

Il y a aussi dans ce roman, en dehors des scènes très violentes, des moments de contemplation, de sensualité, de tendresse, qui l'ouvrent à des sensibilités plus diverses. On plonge dans un roman post-exotique. Il s'agit d'une littérature située ailleurs, en quelque sorte venue d'ailleurs.
C'est Antoine Volodine qui a inventé le terme « post-exotique », qui sonne très bien, qui sonne scientifique...
Le « Robert » le définit ainsi : « ce qui n'appartient pas à nos civilisations de l'occident ».

Dans ces lieux de désolation vivent de vieilles femmes recluses. Elles sont pluri centenaires.
Elles ont donné vie à un être fait de chiffons (jolie touche chamanique et fantastique !).
Ces vieilles génitrices ont délibéré sur le sort à réserver à ce fils, Will Scheidmann. Il les a déçues en rétablissant le capitalisme, qui pour elles est l'ennemi direct de l'humanité, cause des maux de l'homme. Lui qui voulait remettre sur pied une société capitaliste pour sortir les hommes du néant, s'est posé ainsi à l'encontre de tous les enseignements de ses « grands-mères », qui s'érigent en ultimes protectrices de la société. Jugé et condamné à mort, Will Scheidmann est attaché à un poteau en attendant son exécution. Pendant son supplice, il se met à divaguer en créant de courts textes qui racontent le monde comme jamais. Scheidmann souffre, et pour l'exprimer et combattre, il s'échappe par les histoires et par les rêves. Une sorte d'ultime espoir au coeur du désespoir.
Et la fin des hommes peut enfin advenir…

Antoine Volodine dit qu'il y a un ange dans chacun de ses quarante-neuf narrats… ce qui n'est pas évident, tant la désolation règne dans ce livre, mais croyons-le !
Il arrive à mélanger l'horreur la plus absolue et une poésie totalement inattendue.

Son écriture est superbe.
C'est très agréable à lire, addictif même !
Une lecture qui aura été pour moi extrêmement marquante !
Une lecture originale et envoutante, je vous l'assure !
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