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Un mauvais choix de lecture pour les transports en commun. En effet, le livre est constitué d'une multitude d'intervenants qui s'expriment sur très peu de pages et dont les liens et l'histoire se tissent de façon souvent obscure et désorganisée. J'ai même failli abandonner car en commençant à lire j'ai cru qu'il s'agissait de courtes nouvelles indépendantes et je n'y trouvai aucun intérêt. Un livre à nul autre pareil, canevas étrange aux multiples thématiques, qui nous entraîne on ne sait vers quoi, évoque un monde au bord du gouffre, fantasmagorique et à la poésie omniprésente ( une poésie sombre et tourmentée). Un livre qu'il va falloir que je relise parce que le bus n'était clairement pas l'endroit pour lire ce type d'ouvrage. Un livre que certains adoreront, d'autres détesteront , mais que je conseille car l'écriture est très belle et qu'il s'agit d'une expérience de lecture très particulière, qui oblige le lecteur à entrer dans le monde et l'esprit de l'auteur et qui n'est pas construit pour plaire ou lecteur ( j'ai souvent l'impression dans les romans qui marchent de nos jours, que les auteurs ont tenté de répondre à un cahier des charges, l'écriture n'étant plus une forme d'art, mais un produit bien construit et interchangeable).
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— La curiosité est un bien beau défaut —

« L'étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance. »

Curieux livre. Tous propos sur les livres d'Antoine Volodine (et de ses avatars) pourraient, devraient débuter par cet avertissement circonspect qui invite à l'étonnement. J'ai eu du mal à entrer dans celui-ci, séquencé en 49 courts chapitres qui le rendent plus digeste — et en ce sens plus accessible — que des oeuvres de plus grande ampleur (Terminus radieux pour ma part), mais aussi moins immersif.

Qui sont les personnages dont nous sont donnés des instantanés, dont les rappels à d'autres chapitres exigent une sacrée mémoire ou de revenir en arrière pour repérer la trace, chercher des liens ?
De quel(s) monde(s) est-il question(s) ? Tantôt l'univers post-exotique cher à Volodine, son ambiance russo-asiate, avec ses patronymes, ses rites chamaniques, la nostalgie des camps, d'un paradigme concentrationnaire popote sous la surveillance bienveillante des miradors… Et tantôt la plongée, l'exploration, l'immersion pour quelques minutes des personnages dans un monde plus proche du nôtre…

On s'y perd, c'est sûr. Puis une présence centrale, une entité, un personnage se dessine dans une position rayonnante et ordonne confusément l'ensemble, rappelle au lecteur le texte ouvrant le roman, précédant les 49 « narrats », 49 instantanés romanesques titrés du nom des anges mineurs qui ont traversé la mémoire du locuteur, locuteur qui peut-être aussi bien l'auteur nommé Volodine que l'entité centrale évoquée, et qui appelle narrat « une séquence poétique à partir de quoi toute rêverie est possible, pour les interprètes de l'action comme pour les lecteurs. »

Confusément, et précisément parce que rien n'est clair, tranché : on erre entre onirisme et réalisme, entre les mondes, ni vivant ni mort ou les deux à la fois. le personnage (l'entité centrale) est vieux de 48 d'existence et de cent milliards d'années de mort.

[A ce sujet, je digresse — un peu ou pas du tout — pour dire mon impression de lecture, proche de celle des Détectives sauvages de Bolano, l'impression d'être en visite, bienvenu dans un monde qui existe indépendamment du livre, qui a commencé bien avant et se finira, s'il se doit finir, bien après ma lecture. Serait-ce cela le post-exotisme, un tourisme étrange dans un ailleurs qui n'est nulle part, si ce n'est où nous mène la prodigalité de l'auteur ?]

« Car il s'agit aussi [les narrats] de minuscules territoires d'exil sur quoi continuent d'exister vaille que vaille ceux dont je me souviens et ceux que j'aime. »

Qui est donc le locuteur ? Il « pétrit » sa prose pour lui-même, pour nous et pour la bande de vieilles révolutionnaires et chamanes tricentenaires, ex-pensionnaires de la maison de retraite du Blé-Moucheté où des « vétérinaires avaient parqué des vieilles femmes qui ne mourraient pas, qui ne se modifiaient pas et qu'on ne pouvait pas manger. »

D'une boule de chiffons et d'incantations elles ont donné vie à un petit-fils pour sauver l'humanité raréfiée et comme en léthargie : Will Scheidmann.
Pas de bol, maladresse, impuissance, il a rétabli le capitalisme, l'exploitation de l'homme par l'homme et ses mafias.
Depuis elles n'ont de cesse de le fusiller, avant de céder au pouvoir émollient de ses narrats.

« Il avait été établi que les narrats étranges qui s'échappaient de la bouche de Scheidmann colmataient les brèches dans les mémoires ; même si, plutôt que des souvenirs concrets, ils remuaient des rêves ou des cauchemars qu'elles avaient faits. »

Le temps entropique mue Will Scheidmann en une boule, une meule de goémon sur laquelle sèche un crâne, sorte de mascotte Cetelem organique dont à défaut de narrat on mordille les lambeaux de chair. Beurk.

Will Scheidmann c'est aussi Yasar Dondog ; Fred Zenfl probablement, le dernier écrivain et ses murmurats dont les livres sont « construits sur ce qui reste quand il ne reste rien. » Fred Zenfl, référence intermédiaire entre Volodine et Scheidmann qui sont plus ou moins, plus et moins l'un l'autre.

Je est un autre — et vice versa. À moi seul bien des personnages ! (je paraphrase un titre de John Irving.)

« J'ai dit ce nom pour qu'on ne pense pas que je parle toujours de moi, et jamais des autres. Mais c'était moi. »
Va-t'en savoir ! « Et toi, dit-il soudain avec violence, de nous deux tu es lequel ? »

Dans une humanité, un monde en voie d'extinction : « On touchait déjà à une époque de l'histoire humaine où non seulement l'espèce s'éteignait, mais où même la signification des mots était en passe de disparaître. »

Qui renaîtra peut-être de « la poche ventrale » de la nièce du dernier mafieux éventré, comme du dernier roi pendu avec les boyaux du dernier curé, « une fille déjà baptisée Rim Scheidmann et qui rétablirait l'ordre, les camps et la fraternité sur terre. »

Pas mieux.De toute façon les masses ne sont jamais au rendez-vous.

En attendant ce jour hypothétique, on lira « le roman de Fred Zenfl que je préfère, il a été écrit pendant qu'une locomotive dépeçait et traînait son corps, c'est un roman assez amusant et varié pour plaire à toutes et à tous, lisez-le, lisez au moins celui-là et aimez-le. »

Publié récemment, Vivre dans le feu est annoncé comme l'avant-dernière pierre de l'édifice post-exotique. Il en comptera in fine 49, comme les narrats de nos Anges mineurs, nous laissant une basilique construite en poupée russe.


P.-S. : Après lecture des excellentes recensions qui m'ont précédé, je découvre notamment grâce à celle de Weirdaholic l'organisation en miroir des 49 chapitres (le régleur de larmes au début et à la fin aurait dû me mettre la puce à l'oreille).
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Bienvenue dans ce Volodinistan que mon amie HordeDuContrevent aime tant, bienvenue dans cette extraordinaire perle du « postexotéisme » inventée par Antoine Volodine, bienvenue dans ces quarante-neuf narrats ou moments de prose qui composent l'ossature Des anges mineurs. On entre dans cette littérature comme on entre en religion, avec toutes ses croyances et tous ses doutes. On se noie dans les mots de cet auteur comme on peut se noyer dans le torrent impétueux et sauvage d'une montagne. L'univers raconté ici, est post apocalyptique. C'est un monde où tout se meurt, où tout est en voie de disparition. Où les hommes et les femmes sont devenus aussi rares que les anges et les dieux.

Nous nous attachons au cours de cette histoire à quelques survivants. Des hommes tout d'abord comme Enzo Mardirossian, le régleur de larmes ou Fred Zenfl, le dernier écrivain de cette terre; des femmes aussi comme les deux belles Djaliyla Solaris et Bella Mardirossian ou la forte Babaïa Schtern, prisonnière du neuvième étage d'un immeuble en ruine où ses fils l'engraissent dans le but inavouable de la manger, sans oublier la Rita Arsenal ou le Robby Milioutine. Antoine Volodine va tenter tout au long de son livre, de nous dresser le portrait d'une dizaine de personnages. Mais comme il nous l'affirme haut et fort au début de son oeuvre, cette description ressemble plus à « une photographie truquée, qui rend difficile la perception des traces laissées par ces êtres».

Le personnage principal de ce quasi-conte moderne se nomme Will Scheidmann. On découvre au fur et à mesure de la lecture que c'est lui le véritable narrateur. Et quand je dis on, c'est pour dire lui…C'est dans ces déserts urbains aux immeubles vides, sur cette terre de brique rouge où la vie est en voie d'extinction, qu'un groupe de vieillardes immortelles et amnésiques cherchent à lui donner vie. Ces vieilles sorcières mongoles vont à partir de morceaux de chiffon et d'incantations chamaniques, animer un poupon de chiffons, plutôt une sorte de golem en chiffons. Et ce golem incarné par Will scheidmann n'aura de cesse comme dans le mythe de se retourner contre elles pour les détruire.

La prose d'Antoine Volodine est aussi limpide que magnifique. Elle nous aide à parcourir ce monde dévasté et chose incroyable, à apprendre aussi à l'aimer. Il sait trouver dans la noirceur de ce chaos, des touches de lumière et de couleurs. le rouge brique côtoie le gris béton en se mêlant au vert steppe. Son style est proche du Boris Vian de l'écume des jours. Une poésie qui sert l'histoire, une imagination qui la transcende. Les quarante-neuf chapitres ou narrats se complètent, s'emmêlent et se confondent pour ne faire plus qu'une seule et unique histoire. L'histoire d'un aboutissement, d'un achèvement du monde plus que de sa fin.

Merci à Antoine Volodine pour m'avoir à la fois bousculé, déboussolé, secoué mais aussi fasciné, impressionné et surtout enchanté. Cest son livre qui donne envie de découvrir son oeuvre comme c'est souvent une seule perle trouvée qui donne envie de fabriquer un collier. Entre être Arroseur d'étoiles ou Planteur de rêves, le choix est assez difficile quand on pose la question directement à ses amis. La réponse est souvent mitigée tant les deux métiers semblent exotiques. Pour Antoine Volodines la question ne se pose même pas, car comme pour son personnage Enzo Mardirossian, il a choisi d'être pour sa part Régleur de larmes et son recueil Des Anges Mineurs est bien là pour nous l'affirmer voire pour nous le confirmer…

« Je sais ce qu'aurait pu me dire le régleur [de larmes] : que tout en moi était détraqué, pas seulement les larmes, et que je pleurais n'importe comment et en désordre, et souvent à contretemps, ou sans cause, ou que je restais impassible sans raison ».
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Antoine Volodine ne s'appelle pas Antoine Volodine mais Jean Desvignes. Il a une vision de l'écriture et de son oeuvre très organisée : il doit faire 49 romans (le dernier va paraitre bientôt) d'un genre qu'il a décidé d'appeler post-exotisme. Ce roman fait lui-même 49 mini-chapitres qu'il appelle narrat (ce qui veut dire « récit » d'après le dictionnaire). On comprendra qu'il valait mieux changer de nom pour une oeuvre aussi murement réfléchie… Ceci dit, si un mélange d'humour certain et de pédantisme me parait ressortir de tout ça, la construction et le style Des anges mineurs, premier roman de Volodine que je lis, est intéressant, assez étrange et bien écrit pour retenir l'attention… pendant un certain temps, disons. J'étais même assez fasciné par le lien de son patronyme d'écriture avec le rapport permanent de l'ambiance post-exotique et de l'histoire et la chute de l'URSS (goulags, révolution égalitaire bafouée, retour des mafieux capitalistes après 91, …). En découvrant dans sa bio qu'il a enseigné le russe pendant 15 ans, cet intrigant personnage devenait à la fois plus évident et plus mystérieux (je ne sais pas si je suis clair).
Enfin, quoiqu'il en soit, ce roman est intéressant, on s'y perd parfois un peu, mais comme Alexandre Volodine m'a intrigué et qu'il parait qu'il a fait un chef d'oeuvre récompensé par le prix Médicis, et même si je trouve qu'un certain manque d'émotion et d'empathie pour ses personnages m'a conduit à une lassitude vers les 10 derniers narrats (ah, c'est vrai que c'est chouette de parler comme ça !), je vais m'atteler à Terminus radieux dont le résumé démarre par « Alors que le dernier bastion de civilisation s'effondre avec la chute de la Deuxième Union soviétique… »
4* malgré des défauts (qui ne m'ont gêné que vers la fin) et pour l'originalité de la démarche
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« Des anges mineurs » est un roman très singulier pour plusieurs raisons.
Singulier par sa forme, car il est constitué de quarante-neuf nouvelles très courtes, que l'auteur, Antoine Volodine appelle « narrats ». C'est lui-même qui a inventé ce terme. C'est sa façon de désigner des textes brefs de quelques pages seulement, qui mis bout à bout, forment un ensemble d'instants surréalistes.

Dans cet étrange roman, tout, des personnages aux lieux, a une consonnance russo-asiatique.
On nage dans un monde qui touche à sa fin, avec une galerie de personnages perdus, mais attachants, désespérément humains. Il semblerait qu'une quelconque révolution ait entraîné la chute du monde... La compétition financière et l'exploitation de l'homme ont été remplacées par l'oisiveté et l'immobilisme, et les hommes, recevant l'argent nécessaire pour vivre, s'enfoncent dans le néant de l'inactivité.
On est dans une vision post-apocalyptique. Des survivants vivent tant bien que mal dans des bâtiments délabrés aux appartements insalubres. Les gens sont en haillons, vivent dans la crasse et la poussière. Certains y engraissent leur mère pour de simples raisons cannibales ! On n'a que quelques bribes de repères du temps et de l'espace. L'atmosphère est lourde, les situations effrayantes, les personnages semblent vivre des cauchemars…
Un savant mélange y rend irréelle la réalité… C'est noir, profondément noir, mais pourtant poétique ! C'est un ovni littéraire, ce roman !

A la lecture de ce livre tout à fait étonnant, je n'ai pu m'empêcher de trouver quelques similitudes avec l'atmosphère du roman de Cormac McCarthy « La route », avec ses derniers survivants d'un monde dévasté, et aussi avec le film d'Andreï Tarkovski, « Stalker », avec son no man's land mystérieux et angoissant, et encore avec l'univers des bandes dessinées d'Enki Bilal.

Singulier, ce livre l'est aussi par son temps historique défiguré, ses lieux inidentifiables, ses transgressions du réel, son onirisme, mais aussi par le fait qu'il se situe hors des courants littéraires. Avec ce roman, on navigue dans une histoire avec des personnages, des paysages, une intrigue, mais en même temps on entre en contact avec un univers étranger, des obsessions, un imaginaire, et un tel tissu d'images, que se dégage de ce livre une très grande force.

Il y a aussi dans ce roman, en dehors des scènes très violentes, des moments de contemplation, de sensualité, de tendresse, qui l'ouvrent à des sensibilités plus diverses. On plonge dans un roman post-exotique. Il s'agit d'une littérature située ailleurs, en quelque sorte venue d'ailleurs.
C'est Antoine Volodine qui a inventé le terme « post-exotique », qui sonne très bien, qui sonne scientifique...
Le « Robert » le définit ainsi : « ce qui n'appartient pas à nos civilisations de l'occident ».

Dans ces lieux de désolation vivent de vieilles femmes recluses. Elles sont pluri centenaires.
Elles ont donné vie à un être fait de chiffons (jolie touche chamanique et fantastique !).
Ces vieilles génitrices ont délibéré sur le sort à réserver à ce fils, Will Scheidmann. Il les a déçues en rétablissant le capitalisme, qui pour elles est l'ennemi direct de l'humanité, cause des maux de l'homme. Lui qui voulait remettre sur pied une société capitaliste pour sortir les hommes du néant, s'est posé ainsi à l'encontre de tous les enseignements de ses « grands-mères », qui s'érigent en ultimes protectrices de la société. Jugé et condamné à mort, Will Scheidmann est attaché à un poteau en attendant son exécution. Pendant son supplice, il se met à divaguer en créant de courts textes qui racontent le monde comme jamais. Scheidmann souffre, et pour l'exprimer et combattre, il s'échappe par les histoires et par les rêves. Une sorte d'ultime espoir au coeur du désespoir.
Et la fin des hommes peut enfin advenir…

Antoine Volodine dit qu'il y a un ange dans chacun de ses quarante-neuf narrats… ce qui n'est pas évident, tant la désolation règne dans ce livre, mais croyons-le !
Il arrive à mélanger l'horreur la plus absolue et une poésie totalement inattendue.

Son écriture est superbe.
C'est très agréable à lire, addictif même !
Une lecture qui aura été pour moi extrêmement marquante !
Une lecture originale et envoutante, je vous l'assure !
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Quelques chapitres ("narrats", pardon) assez jolis, avec une inversion des valeurs et une forme de mélancolie plutôt touchantes dans une ambiance post-apocalyptique réussie et dont on a envie de découvrir les aspects.
En revanche l'auteur se complait dans une obsession du visqueux et du crasseux extrêmement désagréable, avec un anticapitalisme qui relève plus du slogan que de la raison. On a un peu l'impression que l'auteur nous raconte tout ce qu'il aimerait faire subir aux capitalistes dans ses rêves, où l'on peut se montrer arbitraire sans rendre de comptes à personne. Et puis comme il y a une quarantaine de personnages tous plus ou moins liés entre eux, sans compter l'intervention de l'invraisemblable et la mise en abyme de l'oeuvre elle-même, on a vite fait de perdre le fil et de revenir systématiquement en arrière pour se rappeler où est-ce qu'on a déjà rencontré tel nom.
Une lecture vraiment pas indispensable, mais qui ravira les antifas.
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Comment faire la critique de "Les anges mineurs", ce roman si singulier ?

Un roman que j'ai apprécié alors que je n'ai quasiment rien compris de ce qu'il contient ?

Un roman qui n'est ni sombre ni lumineux, mais un peu les deux à la fois ?
Triste et drôle, poétique et détaillé, inventif et déroutant ?

Un livre dans lequel je n'ai ressenti aucune empathie pour l'un des nombreux personnages qui s'y succèdent ?

"Les anges mineurs" est un recueil de 49 textes, des "narrats", dans lequels on fait la découverte de personnages, qui parfois se croisent d'un texte à l'autre, et qui évoluent dans une sorte de monde terrestre post-atomique, on ne sait pas trop ce n'est pas précisé ou alors cela m'a échappé mais vous l'aurez compris, ce n'est pas le genre de roman qui - bien que réfléchit et cohérent - s'appuie sur des faits probables ou scientifiques.

"Les anges mineurs" est selon moi un texte qui relève davantage de la prose poétique que de la Science Fiction.
(Comme pouvait l'être "Chroniques Martiennes", comparé à "Fondation")

C'est la première fois que je me laisse envoûter à ce point par une atmosphère, un contenu opaque à la surface aussi irisée, et que les mots me guident de la première page à la dernière sans que je ne sache m'expliquer pourquoi, alors que j'aurais pu interrompre le livre à n'importe quel moment vu qu'il ne m'avait entrainé dans aucune narration linéaire, et pourtant je continuais, mes yeux absorbaient la succession des mots, la magie opérait.

Antoine Volodine a semble t-il réussi en quelques livres "Post Exotique", à créer une communauté d'admirateurs. Après la découverte de ce livre, "Les anges mineurs", je comprends pourquoi.

Sa plume est unique, précise, imprévisible, désenchantée, débordante d'une imagination lyrique, la musicalité des mots s'ordonne par une sorte de petit miracle, et le tableau prend forme, c'est gris, traversé de poussière, ce qui fascine Antoine Volodine c'est la description d'un monde à l'agonie - notre monde - dans lequel errent des personnages aux noms compliqués et amusants.

De cette pâleur, de ce froid, de ce livre blême surgit pourtant une vitalité et une créativité qui en font un livre à découvrir, une expérience de lecture à vivre.
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« L'étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance ».

Le temps de m'adapter, à la margelle des mots, le temps d'une vacillation, et j'ai plongé, conquise…Plongée dans le Volodinistan grâce à Pierre, Paul, Suz, je leur serai gré de ne pas faire attention à mes maladresses, à mes incompréhensions éventuelles pour parler de ce monde étrange et inquiétant. Mais j'ai décidé de ne pas faire de recherche sur le post-exotisme imaginé par Antoine Volodine pour précisément, suite à cette toute première incursion, laisser remonter seules les sensations, vierge de toute connaissance préalable, si ce n'est des critiques des apôtres cités qui m'ont convaincue de cette découverte. Bien m'en a pris. Une expérience de lecture dont je ressors changée. Volodinisée je suis. Je n'avais pas été prévenue…

« Dans le ciel, les nuages s'effilochaient en prenant l'aspect de livides lanières, de robes déchirées, de longues écharpes, et, derrière, la couche de vapeur était plus unie et gris plomb ».

Du post post-apo…Vous voyez ? Suite à une catastrophe nucléaire, à l'univers concentrationnaire, lorsque l'homme est devenu sauvage, pire qu'une bête, quand il n'y a plus d'espoir. Que la terre n'est plus habitable mais qu'il reste cependant une poignée de pauvres hères. Une humanité mourante, au dernier stade de la dispersion et de l'inexistence, proche de l'extinction. Des hommes devenues simples formes, simulacre d'apparence humaine grâce aux loques portées, en errance dans la chaleur, la poussière, la fange. Dans les odeurs pestilentielles, les ruines, les charniers. La sauvagerie qui se manifeste par du cannibalisme, de la torture. A moins que ces actes ne soient que fantasmés. Les hommes et les femmes, devenus rares, devenus de pauvres « Anges Mineurs » qui n'ont plus que leur déchéance à faire valoir. «Ne voyant plus la différence entre réel et imaginaire, confondant les maux dus aux séquelles de l'antique système capitaliste et les dérives causées par le non-fonctionnement du système non capitaliste ».

49 narrats structurent ce récit. 49 récits. Non des narrats, c'est le bien terme exact proposé par l'auteur et que j'utilise donc. Voilà ce qu'Antoine Volodine nous explique en préambule du livre :
« J'appelle narrats des textes post-exotiques à cent pour cent, j'appelle narrats des instantanés romanesques qui fixent une situation, des émotions, un conflit vibrant entre mémoire et réalité, entre imaginaire et souvenir. C'est une séquence poétique à partir de quoi toute rêverie est possible, pour les interprètes de l'action comme pour les lecteurs. On trouvera ici quarante-neuf de ces moments de prose ».

Des narrats de quelques pages qui s'enchainent et où nous voyons apparaitre peu à peu une figure centrale, un certain Will Scheidmann, enfanté dans un hospice pour vieillards, dans la peur et le chaos, à partir de chiffons et de pratiques chamaniques de très vieilles femmes devenues immortelles. Il incarnait l'espoir de l'humanité, il a failli en ramenant, une nouvelle fois, le capitalisme, perdition même de l'homme, rétablissant la propriété privée et l'exploitation de l'homme par l'homme, « et autres abominations mafiogènes ». La position idéologique d'Antoine Volodine est claire et sans ambiguïté possible. Position scandée par ces vieilles femmes :
«…nous avons devant nous leurs valeurs démocratiques conçues pour leur propre renouvellement éternel et pour notre éternelle torpeur, nous avons devant nous les machines démocratiques qui leur obéissent au doigt et à l'oeil et interdisent aux pauvres toute victoire significative,… »

Chaque narrat invite à la découverte d'un personnage dans une scène de « vie » réelle ou imaginaire, parfois glaçante, mais curieusement teintée de beauté et de poésie aussi. Ils me font penser à des fleurs vénéneuses. Elles nous offrent leur beauté, parfois leur côté fantastique et magique, nous attirent avant de nous avaler avec horreur. de nous mordre. de nous injecter leur poison et de nous laisser comme hébétés…

Deux extraits de l'un de ces narrat, le plus marquant pour moi, celui intitulée Babaïa Schtern :

« La porte a été sciée à mi-hauteur, comme autrefois dans les box d'écurie, au temps où il y avait des chevaux, et, sur le rebord de la partie supérieure, une femme s'appuie, elle appuie ses bras énormes. C'est Babaïa Schtern. Elle est là nuit et jour, en chemise, luisante de sueur, large et ventrue et adipeusement lisse comme autrefois les hippopotames, au temps où il y avait l'Afrique »

Cette femme dont les enfants s'occupe, que le narrateur croise parfois, obèse, à attendre le passant qui n'est plus, à sa porte ainsi sciée, l'air perdu, pour apprendre en fin de narrat :

« On voit bien qu'ils engraissent leur mère pour de simples raisons cannibales. Dans peu de semaines, ils la saigneront et ils la cuisineront. C'est vrai que l'existence est fondamentalement sale, mais, tout de même, ils pourraient aller faire cela ailleurs ».

La fleur nous a avalés. Tout cru. Vous avez senti ? C'est à la fois féérique et extrêmement sinistre, c'est repoussant me direz vous et pourtant elles sont belles aussi ces fleurs, je vous assure, de belles fleurs cruelles. Certains narrats contiennent en effet une beauté absolue, la beauté de la fin ultime des temps :

« Elle se tenait en face du paysage qu'elle ne regardait pas, en face du soleil magnifique, en face des ruines inhabitées, en face des immenses façades qui noircissaient dans le silence du matin, en face des champs de débris qui ressemblaient à une mégapole après la fin de la civilisation et même après la fin de la barbarie, en face du souvenir d'Enzo Mardirossian, en face de ce souvenir qui l'éblouissait, lui aussi. Des taches rouge brique dérivèrent sous ses paupières ».

Nous comprenons peu à peu que toutes ces fleurs dangereuses et toxiques ont des liens, des racines communes, un réseau entrelacé de connaissances plus ou moins enfouies dans le temps. Tout est lié, tout se tient. Ces narrats proviennent en effet tous de l'imagination foisonnante de ce Will Scheidmann comme nous le comprenons au 22ème narrat.

Où est Volodine là-dedans ?… Il se cache et écrit sous différents pseudos, nous le pressentons, derrière Will, derrière les femmes immortelles, derrière tous les personnages même je pense. Les narrats sont les incantations hallucinées d'un homme, le dernier des hommes…Sa nostalgie d'un paradis noir d'une société égalitaire remue et parle dans l'espace de ses narrats. Sa plume est, de plus, sublime. Elle nous tient fermement malgré la noirceur, noirceur qu'il éclaircit parfois lorsqu'il nous montre le formidable pouvoir de l'imagination pour survivre dans cette indescriptible solitude, imagination qui efface même le réel, qui le tord effaçant par la même le passé. Cette façon de se glisser dans de multiples personnages, d'effacer les frontières entre imaginaire et réel, de faire fi des lois du temps n'est pas sans rappeler l'univers de Philippe K.Dick.

Tandis que Will Scheidmann raconte, les vieillardes, de trois siècles, de plus en plus séniles et perdant la mémoire, détachent des lambeaux de ce héros à bout de souffle pour tenter de retenir un morceau de leur mémoire et de leur humanité elle aussi en bout de course. Finalement ce livre est une formidable métaphore, celle de la narration, celle du conte lorsque nous avons besoin de nous rappeler notre humanité. Les drogues de translation de Philippe K.Dick dans « le dieu venu du centaure », D-Liss et K-Diss, sont ici les narrats.

Je ne sais pas si j'ai tout compris. Je n'ai certainement pas certaines clés en main n'ayant pas lu d'autres livres de cet auteur. Que les amateurs de Volodine ne m'en tiennent pas rigueur. Ce fut pour moi une magnifique porte d'entrée dans son univers. Ces narrats ont été écrits pour créer « des images destinées à s'incruster dans leur inconscient et à resurgir bien plus tard dans leurs méditations ou dans leurs rêves ». Je crois que c'est réussi…une inoubliable lecture qui a hanté mes nuits devenues blanches...


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Extrait de ma chronique :

"Dans un texte comme Des anges mineurs, "archétype du roman volodinien" d'après Nicolas Winter, même si techniquement parlant on est plutôt devant un fix-up, le décentrement contamine jusqu'à la structure même de l'oeuvre, et en fait un parfait exemple de ces fictions rhizomatiques chères à Gilles Deleuze & Félix Guattari (autre exemple récent : "Saccage" de Quentin Leclerc).


Comme l'observe fort bien Marianne de la librairie Charybde, nous sommes devant "quarante neuf histoires qui se répondent en miroir", le texte numéro 1 renvoyant au numéro 49, le numéro 2 au 48, et ainsi de suite. le miroir est tout autant thématique (les larmes du 1 se retrouvent dans le 49, les ourses du 3 dans le 47) qu'actantiel (les numéros symétriques reprennent soit un même personnage, par exemple Ismaïl Dawkes pour la paire 5-45, soit une déclinaison d'un même archétype, voir la paire 11-39)."
Lien : https://weirdaholic.blogspot..
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Je n'ai pas pu finir ce livre.
"Narrat" en latin, je crois, se traduit par histoire. Sont-ce bien des histoires ? ou plutôt des contes ?
Au fil de la lecture on comprend qu'il peut y avoir des liens entre certains 'anges'.
Mais c'est uniquement de ma faute, je n'arrive jamais à entrer dans ce type d'histoires.
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