AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782207304549
256 pages
Denoël (22/01/1988)
4.1/5   10 notes
Résumé :
Qui raconte les histoires que l'on va lire ? Qui crée et manipule les destins souvent atroces de leurs personnages ? Serait-ce l'étrange voix qui s'enroue et résonne sur la côte déserte, avec pour seuls auditeurs les crabes du rivage ? Serait-ce au contraire l'ultime survivant d'une communauté polaire dont, depuis des siècles, les moines voyagent vers les étoiles en s'infiltrant dans les rêves de ceux qui souffrent ? Ou bien les deux conteurs ont-ils engagé un c... >Voir plus
Que lire après Des enfers fabuleuxVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique


Voilà un livre bien mutant.
Certes en 1988 un livre sur les mutants n'est plus une expérience de pensée, me direz-vous. Mais c'est là précisément le défi et la réussite de ce livre que d'y arriver, après tout ce que la SF a déjà pu écrire sur ce thème et après même le livre précédent de Volodine en 1986 "Le rituel du mépris" qui déjà s'occupait d'êtres humains déformés par on ne sait quoi, la vie peut être.
Qu'à cela ne tienne, Volodine démontre ici comment il évolue, à la marge, solitaire et oublieux des traditions, allant loin au-delà des terres labourées par l'imaginaire SF, subvertissant de manière nouvelle le réel et l'imaginaire pour inventer toujours de nouvelles combinaisons réellement inédites et frappantes, sur ces types d'aberrations humaines que l'on nomme par commodité "mutant", pour désigner que l'on traite non seulement de l'humain, mais aussi de tous ses possibles.

En effet, le contre-pied à la SF est plus sensible que dans ses précédents ouvrages, eux-aussi publiés au sein d'une collection prestigieuse de SF (« Présence du futur » chez Denoël ), qui avaient décontenancé le public habitué à un horizon de lecture plutôt défini. « Un navire qui mène nulle part » ou « le rituel du mépris » pouvaient encore être lus comme de la SF marginale et étrange, aux limites de cet imaginaire. « Des enfers fabuleux », dernier livre de Volodine chez Denoël avant son passage chez Minuit, consomme sa différence avec la SF à laquelle il a toujours d'ailleurs déclaré n'avoir que peu de choses en commun, mais genre avec lequel il a dû frayer dans l'esprit des lecteurs.
Ici le divorce est patent (et latent car Volodine déclare ne vouloir en rien s'opposer aux autres littératures), non seulement par le traitement stylistique (des passages à la Céline, grêlés de points de suspension, des métaphores, des récits emboîtés, alternés, des référents divers, de la RAF à l'Inde, en passant par les lamasseries et diverses choses inventées), narratif (schéma actanciel délirant : machin rêvant de truc, rêvé par bidule, qui rêve de machin, enfin ce n'est pas sûr, bidule et truc ayant des éléments oniriques communs, etc.) , mais aussi par les ressorts propres à la fiction.

En effet. Nous avons affaire à des mutants, oui, dont on ne sait d'où provient la mutation, soit, des parias méprisés, ok normal, mais leur seul pouvoir est celui de voyager à travers l'espace intersidéral « par la souffrance » jusque dans d'autres planètes, dans des « enfers fabuleux » donc, pour vivre d'autres vies de souffrance.
Car le constat, répété deux fois (chose assez rare pour être remarquée étant donné que les récits de Volodine sont plutôt avares d'explications) est un rejet franc de tout scénario de SF : il est impossible de voyager vers d'autres mondes. Seuls les mutants peuvent s'évader et rencontrer d'autres vies abominables par l'esprit. Et pour cette capacité peu enviable, mais portant les désirs des hommes de s'étendre infiniment, ils sont chassés et éliminés.
Mais la traque, la torture et l'extermination des mutants ne donnent lieu à aucune réparation, l'univers est brisé, la cruauté est absurde, l'humanité imbécile, les rêves sans solutions, telle est la leçon inhabituelle de la fiction (qui rappelons-le, même dans le cyberpunk, joue aux héros).

Cependant, contrairement aux autres livres de Volodine (chronologiquement antérieurs), l'histoire est véritablement décousue. Peut-être trop. On apprécie certains passages, on goûte au vertige bien réinventé de Tchang Tseu qui se rêve papillon ou l'inverse, on apprécie les clins d'oeil et les mystères laissés à la magie des noms et des mots. On savoure les récits presque indépendants des trois filles « évadées du kolkhoze expérimental » (Leela, Ulrike et Lilith). Mais le livre mute sans cesse en termes de voix, de sujets, de propos, de style laissant au final un souvenir mitigé entre la réussite de saboter encore le thème du mutant et de se focaliser sur l'expérience universelle de la souffrance, et la lassitude et le tournis qui nous affecte parfois face à la littérature expérimentale exigeant elle-même beaucoup de nous pour nous faire voyager...

Lien : http://www.senscritique.com/..
Commenter  J’apprécie          30
Ouvrir un livre d'Antoine Volodine, quand il écrit sous ce nom, c'est se préparer à une expérience littéraire. Et malgré votre entraînement, vous serez toujours surpris.
Il a cette capacité à vous transporter dans des mondes si proches et pourtant si loin, dans des presque possibles, où l'être humain se nourrit de paradoxes quand l'absurdité ne devient pas une raison d'être. le héros volodinien, si l'on peut parler de héros, on préférera sans doute le terme de personnage principal quand l'un des malheureux de l'univers qui jaillit sous nos yeux mérite ce qualificatif, n'a jamais la vie facile. Mais alors pas du tout.
Ici, rien que le titre est évocateur : Des enfers fabuleux. Fabuleux ? L'auteur s'approprie la notion de métempsycose, dont il met les secrets entre les mains de mutants bien étranges. Et cette migration des âmes, qui permet littéralement un voyage, ne saurait se pratiquer sans feu ni douleur. le ton est posé, pour une histoire qui commence dans une ville sordide, post-exotique comme on dit à propos du travail de cet auteur.
Dans ses dystopies, il y a très souvent une doctrine officielle, des croyances officielles, et tous les malheureux inscrits sur la liste sanglante des indésirables.
Et trouver le refuge au monastère mythique de Woorakone, dans le désert de Wook-Wook, est-ce vraiment une bonne idée ? Ses habitants guident-ils au mieux toutes ces âmes égarées ? Vous n'avez qu'une manière de le savoir, c'est de faire le voyage vous-même.
Commenter  J’apprécie          40
Volodine continue à peaufiner son monde terrible , avec ses perdants absolus , ses résistances sans espoir, ses goulags planétaires , ses minorités écrasées , piétinées , soumise à l'ombre sanglante de pogroms . Et puisque la science ne sert qu'à nous désespérer , la magie chamanique reste le seul horizon voué cependant lui aussi à l'échec. Littérature exigeante et fascinante par l'extrême qualité de la construction et la beauté du langage .
Commenter  J’apprécie          40
La plus complexe narration de Volodine, un enchevêtrement onirique bien gratifiant in fine.

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/08/16/note-de-lecture-des-enfers-fabuleux-antoine-volodine/
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Difficile de jouir de l’existence quand on a pris un si mauvais départ. Aitko l’avait compris très vite. Mais attention : il était du genre à croire que des ruades suffiraient pour briser l’étau de sa damnation. À peine sorti des langes, il avait eu pour habitude de se rebiffer, contre tout ce que la vie lui préparait et qu’il sentait en gestation dans la cour Bakhor. On l’asseyait près du clapier, à jouer avec des cailloux, et lui qu’est-ce que j’en ai à faire de vos lapins, boudeur. Une attitude agaçante en diable.
Au-dessus d’Aitko régnaient les parents Bakhor, enlaidis par la silicose, la misère, et onze tortionnaires, frères, sœurs, cousins et cousines Bakhor. Vous suivez ? La marmaille nombreuse, sans pitié. Quand les ongles n’étaient pas rongés, ils se plantaient, ils s’aiguisaient sur le benjamin, en raison de son âge tout d’abord, ensuite parce que ses perpétuelles rébellions exaspéraient les adolescents de la famille. L’insoumission, la mauvaise tête, les regards malgracieux, passe encore, le clan avait compté plus d’un fils indigne, et on devinait bien que dans la nouvelle génération allaient fermenter d’autres cervelles sans foi ni loi. Mais le reste, irréductible : il y avait chez Aitko une remise en cause latente des valeurs sociales, une interrogation à propos de l’ordre éternel des choses. D’instinct, ses aînés ne lui pardonnaient pas de tels égarements. Surtout quand il se taisait, remarque bien. La mutinerie errait de manière visible sous son front buté, en dépit des taloches et des remontrances. Vous ne voudriez quand même pas que je vous prenne pour exemple ? semblait-il dire. Que j’arbore un sourire naïf devant cette vie piteuse, niaise ? Que j’attende avec vous la silicose ? Entre remise et poulailler, sous le ciel de Naagesh horrible ? Qu’est-ce que j’en ai à faire de vivre avec les Bakhor ?
Tu te le représentes ? Œil renfrogné, sourcils comme broussaille d’oursins, les poings tout blêmes dans les poches ? On avait beau s’obstiner, il n’acceptait pas ce destin asphalté qui le menait droit aux ascenseurs des puits de mine, au crochet de déchargement des installations portuaires, à la pluie d’étincelles des complexes sidérurgiques. Tout le monde lui répétait t’inquiète pas, Aitko, si tu franchis le cap de l’adolescence, l’embauche ne manquera pas pour toi, à Naagesh même ou n’importe où sur les milliers de kilomètres de la côte ouest. Et lui, des mimiques hargneuses, des beuglements d’analphabète, féroces, qu’est-ce que j’en ai à faire de vos forges géantes, c’est le voyage qui m’intéresse, rompre avec la cour Bakhor, accumuler de la distance entre la cour Bakhor et mes petites jambes. Note bien cela, ma vieille, le voyage l’obsédait lui aussi, mais plutôt que le nord c’était la traversée des mers qu’il visait, la côte est. Et eux, les frères, à cran, ne l’entendaient pas de cette oreille. On va te démontrer les vertus de la niche, petit morveux, du cousinage, de Naagesh. Des rossées à n’en plus finir. On l’immergeait dans des baquets d’eau savonneuse, on le fouettait au torchon mouillé, on tentait de l’humilier, tous les jours, avec constance. Et lui si vous croyez que je changerai d’avis sous les brimades, indomptable.
Commenter  J’apprécie          10
Aitko était le dernier-né dans la famille Bakhor.
Hein ? Abrupt ? Tu trouves ça plutôt abrupt ? Ecoute, c’est la faute du paysage. On avait décidé de partir, abrupt ou pas. Le temps est maussade comme souvent, mais il fait clair. Les embruns crépusculaires encore. Tu ne vas pas t’en formaliser ? On avait dit qu’on commencerait à la première heure. C’est beau les rochers à la première heure. Tu vois ? Les creux tapissés d’algues ? Le chemin des varechs ?… On avait précisé qu’on raconterait tout face aux vagues. C’est maintenant, non ? Face au grand rien des vagues. Devant nous – l’infini mouvant, l’est, livide, inaccessible ; derrière nous – la falaise, contre le dos, rugueuse ; à gauche – le nord, si lointain. On est là et on démarre. La voix éraillée à cause du matin humide. Ce n’est pas plus abrupt qu’autre chose. L’essentiel est d’aller jusqu’au bout, ma vieille, tu sais bien. Mais on ira, on ira… hein ?
Elle éternua. Aitko Bakhor était donc le dernier-né de la famille Bakhor.
Commenter  J’apprécie          10
C'était quelque chose de vivant,qui ressemblait à un oiseau.
De vivant , oui, avec des ailes déployées, mais en dépit du bon sens , des ailes démises , arrachées emmêlées aux structures de la grue ; et un thorax blessé , fendu par le travers,exposant à l'air libre ses viscères , un ventre ou gargouillait des reflets d'étoiles , et où palpitait encore, horrible, imprégnée de caillots et d'astres, la chair ténébreuse de la nuit.
Commenter  J’apprécie          30
l ne se tournait ni vers la nourrice ni vers sa grande sœur. Il était piqué sur le trottoir, droit, à respirer et à absorber par tous les pores cette géométrie nouvelle ; l’univers comptait pour seul infini l’infini goudronneux de la douleur, son architecture était un néant dont le sud était noir tout autant que le nord ou l’ouest, un espace de la noirceur où brillaient des semblants d’astres, à des distances qui obéissaient à d’autres lois qu’aux lois physiques. Et il n’y avait aucune rive lointaine de l’espace et du temps, aucune terre inaccessible, dès lors que l’on entreprenait un voyage de démission et de torture.
Mais à ce moment-là, trop petit pour mesurer les implications de son aberrante découverte, il ne s’était pas posé la question de déterminer si, oui ou non, il ferait lui-même un jour partie des voyageurs.
Commenter  J’apprécie          10
L’espace n’est construit ni d’éther ni de vide, mais de souffrance abjecte et de désespoir .

p132 (repris aussi sur la quatrième de couverture)
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Antoine Volodine (43) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Antoine Volodine
Rencontre animée par Pierre Benetti
Depuis plus de trente ans, Antoine Volodine et ses hétéronymes (Lutz Bassmann, Manuela Draeger ou Eli Kronauer pour ne citer qu'eux), bâtissent le “post-exotisme”, un ensemble de récits littéraires de “rêves et de prisons”, étrangers “aux traditions du monde officiel”. Cet édifice dissident comptera, comme annoncé, quarante-neuf volumes, du nombre de jours d'errance entre la mort et la réincarnation selon les bouddhistes. Vivre dans le feu est le quarante-septième opus de cette entreprise sans précédent et c'est le dernier signé par Antoine Volodine. On y suit Sam, un soldat qui va être enveloppé dans les flammes quelques fractions de seconde plus tard, quelques fractions de seconde que dure ce livre, fait de souvenirs et de rêveries. Un roman dont la beauté est forcément, nécessairement, incandescente.
À lire – Antoine Volodine, Vivre dans le feu, Seuil, 2024.
Son : Axel Bigot Lumière : Patrick Clitus Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
+ Lire la suite
autres livres classés : science-fictionVoir plus


Lecteurs (32) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4872 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *}