AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


LES VOYAGES FORMENT LA JEUNESSE ?

Il suffisait toujours de quelques pages bien troussées pour que les propos du grand Monsieur de Voltaire atteignissent le but qu'elles s'étaient fixées. Une fois n'est donc pas coutume, ce bref texte écrit aux alentours de 1753 et publié un peu plus tard en 1756, légèrement antérieur, donc, au fameux Candide est un pur régal d'écriture tout autant que d'ironie .

Il nous conte par le menu, sous la forme d'un rapide journal de voyage à la première personne, les voyages d'abord européens puis plus lointains de ce jeune homme né à Candie en 1600 (c'est à dire au centre de la Crête, l'origine quasi mythique de notre civilisation...). Il fait de rapides études à Rome où il découvre les femmes ainsi que les ecclésiastiques qui manquent de peu de l'excommunier, ne souhaitant pas devenir leur mignon, s'enfuit en France dont il fait un portrait épouvantable, le pays étant en pleine guerre de Religion. Il passe en Angleterre où ce n'est guerre mieux, tandis qu'une fois en Hollande l'intolérance domine tout autant : à l'arrivée du narrateur on coupe la tête du premier ministre qui a eu le malheur de penser « que l'on peut se sauver par les bonnes oeuvres aussi bien que par la foi. »

L'Espagne où il se rend dans la foulée n'est guère mieux loti, où un Grand Inquisiteur a finalement plus de pouvoir que le Roi, la Reine, ses enfants et toute l'aristocratie réunie ; il y fait quelques jours de cachot pour des paroles indiscrètes, et évoque le massacre et l'esclavage des indiens d'Amérique dont on lui affirme que c'est un bienfait de l'Eglise.

Ses pas l'amène en Turquie où la situation semble être plus à la tolérance mais il va bientôt s'apercevoir que cette situation est trompeuse et que le Vizir, selon qu'il prend parti pour les uns ou pour les autres, risque constamment sa tête. Notre naïf voyageur manque de peu de se faire empaler pour avoir refusé à l'imam de se faire circoncire pour pouvoir s'y marier...

Tâchant de retenir les leçons de ses précédentes mésaventures, Sacramundo décide de ne plus prendre parti pour quiconque, une fois arrivée à Ispahan en Perse. Mal lui en prend car il devient ainsi l'ennemi commun de ceux qui sont en faveur des moutons blancs tout aussi bien que ceux pour les moutons noirs... Il ne sauve sa peau qu'en se délestant d'une forte somme.

En Chine, ce sont les luttes intestines entre dominicains et jésuites, qui essaient de s'attirer les faveurs de l'Empereur, qu'il découvre. Quant à lui, sa Majesté l'accuse d'être un espion du Pape et il s'en sort en expliquant que ce dernier, vieux prêtre de soixante-treize ans ne peut guère s'avérer un danger pour lui.

Il poursuit son voyage en Inde où il rencontre un souverain local aussi prétendument pieux qu'il est affreusement cruel, y compris avec ses proches. Son traducteur prenant quelques libertés avec les paroles de notre découvreur, il s'en faut encore de peu que Sacramundo y laisse la peau.

Enfin, s'approchant des côtes africaines, la navire sur lequel il voyage se fait prendre par des pirates noirs qui les fait tous prisonniers et les envoient, en esclavage. Cette ultime mésaventure est le prétexte, fort intelligemment amené, pour faire le procès sans fard bien qu'avec beaucoup d'ironie, de la traite négrières. Au bout d'un an, il se fait racheter, rentre chez lui, et décide de ne plus voyager.

Le récit se termine ainsi : « je fus cocu, et je vis que c'était l'état le plus doux de la vie. » On ne peut, sans se tromper, qu'y trouver un écho cynique et désabusé à la conclusion désormais passée dans le langage courant de Candide : «Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin».

Texte bref que cette Histoire des Voyages de Sacramundo, mais Ô! combien saisissant et efficace quant à résumer et condamner l'absurde de l'intolérance religieuse, les faux-semblants, tartuferies et autres petites et grandes hypocrisies des églises, de leurs pasteurs ainsi que nombre de croyants, tout état social confondus. Procédant presque systématiquement par le biais d'antiphrases, c'est un voyage aux limites de l'écoeurement que Voltaire nous raconte-là, usant d'une ironie glaçante pour nous présenter toutes ces coutumes ridicules, la cruauté et la bêtise des hommes. Et si Sacramundo n'a pas d'ambition particulière, autre que de découvrir un peu le monde, sa conclusion n'en apparaît que plus terrible car elle semble ne laisser le choix qu'entre de fausses utopies se révélant être toutes monstrueuses et une existence dérisoire, sans surprise, fausse sans doute, mais reposant sur un mensonge intime, attendu et si peu violent, en réalité.

Bien que notre grand philosophe des Lumières n'avait qu'une estime modérée pour ses contes, c'est à bien juste titre que ceux-ci nous sont restés comme de vraies perles de notre littérature classique car d'un ton, d'un style et d'une force aussi inimitable que toujours autant d'actualité ! Ce que c'est que d'être immortel...
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}