Voltaire n'en est pas à son coup d'essai avec
L'Ingénu, mais il a toujours un message à faire passer et cette politisation et moralisation du roman, on adore ! Cette histoire ce déroule en France, sous le règne de
Louis XIV en 1689. Voici donc un roman qui critique, qui explose de vérité et de philosophie.
L'Ingénu est l'histoire d'un Huron qui débarque dans un village de Bretagne depuis l'Angleterre. Il est surnommé
l'Ingénu pour une raison simple : il n'a pas reçu d'éducation, ce qui fait de lui un naïf face au monde. Sur la côte, l'abbé de Kerkabon et sa soeur se promenaient justement. Cette rencontre étonnante les intrigue et ils invitent le Huron à dîner chez eux. Au cours d'une nouvelle promenade, le Huron remercie les Kerkabon pour leur hospitalité en leur offrant un bijou, censé leur porter bonheur. Il comporte des portraits mal réalisés. Ils voient dans les traits des deux visages représentés leur frère et sa femme, et en viennent à la conclusion que le Huron n'est ni plus ni moins que leur neveu.
Vient alors l'heure du baptême et la découverte de Mlle de
Saint-Yves. Mais lorsque
l'Ingénu, de son nom de baptême Hercule Kerkabon, tombe amoureux de Mlle de
Saint-Yves, sa proposition est rejetée et sa belle est enfermée dans un couvent. Par grand désespoir, il pense à brûler le couvent et s'en aller avec elle lorsqu'il se retrouve dans un combat contre une invasion anglaise. Il gagne la bataille et ses proches lui conseillent d'aller demander récompense au roi pour sa bravoure.
Une fois à Paris, lorsqu'il veut rencontrer le roi et défendre des Huguenots rencontrés en route, il se fait embastiller sans procès et sans être parvenu jusqu'au roi. En prison, il rencontre le janséniste Gordon. Ce dernier va à la fois le soutenir moralement et l'éduquer grâce aux livres et aux préceptes des philosophes qu'il lira. Au fur et à mesure de son instruction,
l'Ingénu se métamorphose en homme de bon sens et changera les convictions religieuses de Gordon.
L'Ingénu n'est pas le seul à souffrir des injustices. Mlle de
Saint-Yves, partie à Versailles à la recherche de celui qu'elle considère comme son mari, est soumise à un dilemme dramatique : elle doit choisir entre sa vertu et son amant. Bien sûr, les Saint lui diront tous que sa vertu ne sera pas entachée si elle comble les désirs d'un autre Saint dans de bonnes intentions et le drame débute. Elle gagne la reconnaissance de son mari, mais au prix de sa vertu... et de sa vie.
LE MYTHE DU "BON SAUVAGE"
Tout le monde le regardait avec admiration ; tout le monde lui parlait et l'interrogeait à la fois ; le Huron ne s'en émouvait pas.
Le mythe du bon sauvage se constitue autour de l'image d'un étranger qui se fait pervertir par la société. Dans ce roman, nous suivons l'histoire du Huron - donc un étranger - considéré comme un Ingénu venant d'un pays barbare. Dans la première partie du roman, sa naïveté règne en maître et lui fait vivre des déconvenues, jusqu'à l'emprisonnement à la Bastille. Mais ce mythe du bon sauvage est exploité par
Voltaire, comme par
Montesquieu avant lui, pour critiquer la société d'un point de vue extérieur.
L'Ingénu représente, selon la conception
De Voltaire, la loi naturelle. Il s'agit des lois que l'homme possède de manière innée et primitive. Mais il est perpétuellement mis face à la loi positive. Cette loi est selon
Voltaire dictée par les sages et les honnêtes gens. Elle suit le progrès de la morale et intellectuel des hommes. Mais il semblerait également qu'elle puisse être pervertie. Alors, si elle n'est plus juste, la loi naturelle doit reprendre le dessus sur la loi positive.
Ce regard externe est un outil formidable pour les auteurs. Il leur permet souvent d'éviter la censure d'une critique sociale frontale. En effet, il faut recevoir le droit de publication et si la figure royale est désapprouvée, critiquée ou calomniée, un texte ne pourra pas être imprimé (ou il sera distribué sous les manteaux, mais cette pratique est dangereuse). Mais pour critiquer avec du bon sens, il faut que notre homme naïf devienne un homme instruit. Qui porterait attention aux divagations d'un naïf qui n'a reçu aucune éducation ?
Une fois en prison, il évolue et se transforme "de brute en homme". L'enfermement devient prolifique puisqu'il permet à notre personnage d'étudier. L'une des plus grandes découvertes est l'apprentissage de soi et la compréhension du monde. Ce sont des motifs très importants qui permettront à notre "bon sauvage" de devenir un "honnête homme".
LA CRITIQUE SOCIALE
Voltaire utilise donc la figure du naïf pour critiquer la pratique de la religion. Dès le début, les abbés font lire à
l'Ingénu la Bible et tous les textes saints. Alors, au moment de son baptême, il attend dans l'eau de la rivière qu'on vienne accomplir la cérémonie. Mais cela ne convient plus, sa tante, son oncle et les prêtres et évêques tentent de ramener
l'Ingénu "à la raison", mais leur raisonnement n'est pas le même. Nous sommes encore dans la première partie du roman, et la loi naturelle est celle qui domine notre personnage. Il veut une cérémonie au plus près des pratiques religieuses premières. Mais cette loi naturelle va aussi le faire céder, face à l'amour, pour la loi prétendue "positive" des villageois. La réalité, la voici : tout n'est plus question que de confort.
Pire encore !
Voltaire, dans sa critique, ne montre pas seulement ce qui ne va pas dans les pratiques, il dénonce. Il expose au public l'image des religieux et des dits "Saint" qui profitent de leur pouvoir pour assouvir leurs désirs. Souvenez-vous de Saint-Pouange : cet homme propose de rendre la liberté à un homme enfermé à tort contre la virginité d'une fille qui veut devenir la femme de celui qu'elle vient défendre... Voilà donc l'infamante vérité que
Voltaire veut dénoncer, et qu'il prend le risque de diffuser malgré la censure permanente.
CRITIQUE DU POUVOIR ROYAL
Il y a un autre type de critique que
Voltaire produit dans son petit roman. Il s'attaque au pouvoir royal, qui enferme sans faire de procès aux hommes.
L'Ingénu comprend dès son arrivée en prison l'injustice de sa condamnation. Il a été enlevé sans comprendre pourquoi et fait prisonnier. Il n'a pas pu avoir d'audience avec le roi et malgré ses exploits en Bretagne, il est condamné comme un malfaiteur sous le seul pouvoir d'une lettre. L'injustice n'est pas réparée qui plus est, puisque mademoiselle de
Saint-Yves perdra sa vertu et sa vie pour réparer les erreurs du pouvoir royal, abusif et expéditif...
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