La salamandre

Entrer dans l'univers de l'auteur/illustrateur Christian Voltz, c'est comme pénétrer dans un cabinet de curiosités, une chambre des merveilles où l'éclectique côtoie le curieux, l'éphémère, l'esthétique. Nous sommes d'emblée confrontés à un pêle-mêle d'objets hétéroclites, trésors minuscules ou gigantesques qui se parlent, se confondent parfois même se bousculent, porteurs de mémoire et créateurs d'un monde unique, magique, merveilleux.
Ainsi, toutes les illustrations sont conçues comme des véritables scènes ou tableaux et réalisées à partir de matériaux de récupération, comme autant de présents exotiques, bizarres ou curieux, glanés au fil du temps. Elles se mêlent subtilement au discours et à l'histoire qu'elles habillent et auxquels elle font écho.
Vous vous demandez certainement quelle est la trame de cet album intitulé de manière mystérieuse La Salamandre ? Son fil conducteur ?
C'est pourtant simple : comment une petite salamandre fait renaître, ressuscite en quelque sorte, l'enfant qu'était Oscar Muller, notre héros, devenu aujourd'hui un homme d'affaires bien trop stressé, sérieux et ennuyeux, obnubilé par un travail prenant et chronophage qui, apparemment, l'accapare de manière démesurée. En effet, cet homme pressé tombe en panne de voiture un jour critique où il a un rendez-vous vital de la plus haute importance. Obligé de se rendre à pied à son travail, il n'aura de cesse de courir, comme un dératé, courir après ce temps qui lui échappe et sur lequel il n'a décidément aucune prise.
Course effrénée et éperdue contre la montre stoppée net lorsqu'il heurte bientôt une petite salamandre, animal nocturne qui se déplace pourtant rarement en journée.
Cette rencontre, totalement inopinée, incongrue et inattendue, sera alors le déclencheur de réminiscences enfouies, de souvenirs d'une enfance heureuse et pourtant oubliée.
Plongée revigorante dans un passé où les objets, les lieux, les visages et les rencontres amicales et amoureuses reprennent vie et consistance.
Une plongée poétique, sensible et touchante, à la recherche du temps perdu, au tréfonds de l'intime, au coeur de rêves les plus fous capables de nous emmener au bout du monde.
Un livre sur le pouvoir de l'histoire, de la mémoire et de l'oubli qui nous transporte hors du temps de très belle façon, entre fuite et quête du passé.

: Attention, une jolie " Madeleine de Proust".
L'auteur Christian Voltz happera notre personnage en route vers son boulot, mais il est en retard.
Voltz se le disputera avec le temps qui court et qui ne l'attendra pas.
On sentira ce pauvre adulte un peu pris au piège dans une vie impitoyablement réglée.

C'est en empruntant un raccourci à pied pour atteindre rapidement son travail et le temps perdu, qu'il tombera sur une petite salamandre.

C'est amusant.
On imaginera bien grâce à l'auteur qu'il y a une lumière qui s'est allumée dans le grenier du cerveau, celui où il a rangé ce souvenir de la salamandre.
Plus rien ne comptera et le personnage s'abandonnera au souvenir, celui d'un jour plus léger et plus heureux.
Le souvenir nous ramènera à l'enfance, Christian Voltz s'amusera à le matérialiser par de multiples volumes, d'objets ramassés qui tiennent pour la plupart dans une poche.
Le tout sera étalé comme un trésor sur des feuilles de cahier et nous aussi nous prendrons le temps d'y jeter un oeil. En scrutant évidemment tout ce bric à brac, cela nous ramènera nous mêmes à nos propres expériences d'enfant.
L'auteur Christian Voltz comptera probablement sur notre capacité d'imaginaire pour générer de chouettes pensées à l'observation des insectes séchés, des bouts d'ossements de mâchoire, de coquillage, de plumes de paon.
Il ne faudra pas se priver des détails.
Le personnage redeviendra le petit garçon et racontera, nous emmenant de fil en aiguille vers d'autres perles de souvenir.

Le texte aussi est amusant, nous replaçant bien dans le processus de souvenir: "Pourquoi je pense à ça au fait? Ah, oui, c'est vrai". Ça y est, ça me revient. le petit garçon se rappellera de gens adultes bienveillants, de leur gentillesse-cela comptera lorsque l'on est petit-, d'une petite amoureuse, de lieux particuliers qui l'avaient étonnés à l'époque, de certains jeux inventés, et tout cela, à cause d'une salamandre sur un pont.
Étonnant, non?
La fin sera ouverte, laissant le soin aux jeunes lecteurs de tirer ses propres conclusions. À lui de juger de la vraie fin du livre celui-ci une fois fermé.
Un chouette moment de lecture.

Christian Voltz nous entraîne encore une fois dans son univers, son cabinet des curiosités, un univers empreint de poésie et de liberté, de fantaisie et de retour à l'enfance.