Lisbeï grandit dans un environnement bien différent du notre. L'auteur fournit peu d'informations sur le lieu dans lequel se déroule cette épopée qui tient aussi bien de la philosophie que de la politique (au sens premier du terme, grec ou romain, pas celui totalement dévoyé de nos jours). Non, non, ne partez pas…. Elisabeth pose son histoire sur des bases vraiment solides et captivantes. Et quand vous dévorez Games of Thrones, vous savez que l'histoire brosse des conflits d'essence philosophiques et politiques!
Ce monde ne nous est pas totalement étranger, et si le flou est volontairement entretenu, ce n'est pas pour autant que nous n'avons pas à faire à une Terre dans un futur relativement proche, après une période dystopique et bien sombre. En effet, nous apprenons qu'il y a eu des guerres particulièrement féroces et meurtrières. La civilisation présente s'est reconstruite sur ces cendres. Les périodes antérieures ont connu la résurgence de la violence, après des ères à peine plus paisibles. Des bandes ont succédé à d'autres bandes, puis aux harems, puis une révolte féminine (les ruches) pour conduire enfin à un temps plus paisible, plus raisonné ou chaque congrégation cherche surtout à vire dans la paix et dans l'espoir d'un futur meilleur.
Des restes archéologiques et historiques – ceux-là même qui vont secouer le cocotier, sont éparpillés dans les sous-sols et exploités comme lieux de mémoires (des vrais, ayant vocation à témoigner de la folie humaine). Les vestiges technologiques de civilisations bien plus avancées sont également enfouis dans des ruines souterraines, ce qui contribue à maintenir l'incertitude quant à l'époque et le lieu.
Ainsi, après une catastrophe gargantuesque, les survivants se sont regroupés. Comme souvent, les hommes se sont montrés dignes de hyènes en chaleur, tombant sur le râble des plus faibles, tuant, exploitant, violant asservissants les proies plus intéressants. Les femmes se sont retrouvées comme souvent sous de tel joug, à n'être de plus que des objets sexuels pour ces messieurs. Elle se sont rebellées, se sont retournées contre leurs anciens maîtres et ont pris le pouvoir, émasculant la gente masculine au sens propre comme au figuré.
Cette crise puis libération est à l'origine du pays du mères et explique le paysage qui attend le lecteur.
Le chromosome Y semble bien fragile dans cette période, la testostérone ne suffit pas à garantir la survie de l'espèce humaine, et la société actuelle a ainsi vue le nombre de naissances mâles en très nette diminution. A cela s'ajoute l'effet de balancier postérieur à un abus, et vous avez les ingrédients et le catalyseur rêvé pour provoquer un changement de société radical. Adieu, les harem, les chef de bande et les messieurs au pouvoir, faites place nette pour une structure matriarcale plus juste et plus digne (ironie)!
Mais plusieurs courant coexistent dans cette société, des pensées très rigoureuses, très conservatrices et observant pieusement les directives édictées en un autre temps, notamment celle de leur libératrice.
D'autres sont plus ouvertes d'esprit, et accueillent avec joie quelques challenges intellectuels. Enfin il y a la grande famille de Lisbeï, dont la Mère est à la fois ferme, prudente et diplomate. Elle est bien plus sensible aux nouveaux courants que son aspect sec laisse penser.
Chaque congrégation est dirigée par une Mère, la mère de toutes les petites enfantes sous la protection de leur grande famille. Biologiquement, elle n'est pas la maman de chaque femme (et des quelques mâles) qui sont nés. Dès les premières heures, les petits êtres sont séparés de leur génitrice pour être élevés en crèche par la communauté. Et comme une étrange maladie peut les frapper, l'attachement et l'affection sont réduits au minimum… C'est bon pour l'épanouissement. Une fois, l'âge critique passé, les enfantes sont intégrées à l'école et la communauté.
Et les mâles me demanderez-vous, et bien, ils servent de reproducteur… et sont considérés à l'aune de leur utilité, D'ailleurs, les termes masculins ont été pas mal rayés du dictionnaires. Ainsi, le terme général est enfante et non enfant, nous parlons des chevales, des animales, ect…
Présenter la féminisation des mots ainsi pourrait freiner quelques lecteurs, mais c'est loin d'être une gêne à la lecture.
Habituellement, je ne suis pas une grande fan de la modification aussi poussée du langage. Ce n'est pas une « résistance » à la con de ma part, les raisons sont essentiellement de deux ordres : j'aime le français bien écrit et chatoyant (j'aime la poésie, en général, les phrases qui parlent « beau », ou encore les textes savoureux de Colette), je déteste les partis pris sémantiques qui ne sont là que pour suivre la mode ou uniquement un courant, sans réelle construction dans le background de l'histoire.
Dans
Chroniques du pays des mères, même si, j'ai quand même tiqué pour quelques petits mots (deux ou trois, comme chevale alors que jument existe), le choix sémantique porté par l'auteur est réussi; il étaye le récit tout en s'appuyant sur le background développé par
Elisabeth Vonarburg. C'est un super travail qui donne une cohérence et un fond à faire rougir de jalousie ou applaudir béatement. Bravo!
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