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Critique de oblo


Se sentir vivant passe, souvent, par la mise en danger voire par l'expérience (subie) de la violence ; comme dirait philosophiquement le narrateur d'Abattoir 5, "c'est la vie". L'omniprésence de la violence et de la mort - non seulement elles, mais aussi l'idée même de la violence et l'idée même de la mort - imprègne particulièrement nos sociétés. En cela la guerre n'est que l'aboutissement logique d'un système de pensée qui accepte la mort par la violence, voire l'appelle en l'affichant partout : dans les objets culturels, dans les statistiques, dans les canaux d'information ... Dans Abattoir 5, la guerre est omniprésente car la structure même du roman mêle toutes les époques dans lesquelles se retrouve le personnage principal, Billy Pèlerin (Billy Pilgrim en anglais : sorte d'Américain moyen, symbole d'une demi réussite sociale et du pion de l'Histoire politique de son pays).

Billy Pèlerin voyage dans le temps. En un clignement d'oeil, il se retrouve soldat dans les Ardennes, opticien dans la ville d'Illium, prisonnier de guerre dans une ville qui sera rasée prochainement, nouveau-né ou veuf qui prédit sa propre mort un beau jour de 1976. Il est aussi capturé par des extraterrestres appelés Tralfamadoriens pour lesquels le temps n'est qu'une dimension supplémentaire. Cette position de voyageur temporel lui vaut de connaître par avance sa vie, de vivre avec les souvenirs d'événements qui ne sont pas encore arrivés, et de vivre dans un certain relativisme puisque les choses devant arriver, mieux vaut les accepter afin de vivre heureux.

Si la mort est partout, la vie, elle, tente de s'en dépêtrer. On notera que, dans cette tension permanente qui interroge tout de même la propension extraordinaire de l'être humain à exterminer ses semblables, que le titre relève du paradoxe. Car c'est dans un abattoir, lieu de mort par excellence (mort industrialisée, comme en fut l'instrument la Seconde Guerre mondiale) que survit à l'un des plus grands cataclysmes de l'Histoire, c'est-à-dire le bombardement de Dresde le 13 février 1945, le dénommé Billy Pèlerin ainsi que, de façon plus réelle, l'auteur alors soldat ou plutôt prisonnier de guerre, Kurt Vonnegut.

Pour autant, cette guerre que décrit Vonnegut n'est jamais celle, idéalisée, des grandes fresques historiques. Avec Billy Pèlerin en étendard, la guerre tient plutôt de la farce que de l'épopée. On suit des soldats fuyant dans les Ardennes et rêvant à des engins de torture ; on s'accoutre de vêtements grotesques pour survivre dans l'hiver allemand ; on dresse des listes de personnes dont on voudrait se venger alors que l'on n'encaisse pas même un coup de poing ; on fusille un prisonnier de guerre dans un désert de ruines pour un vol de théière. La guerre est absurde par les formes individuelles qu'elle prend.

Tandis qu'il assiste sans cesse aux mêmes scènes de sa vie, qu'il revit sans arrêt les années de guerre qui ont, sans aucun doute possible, véritablement marqué l'auteur Kurt Vonnegut, Billy Pèlerin a encore l'audace, alors qu'il se trouve sur Tralfamadore, d'interroger ses hôtes sur le libre-arbitre. A la lecture de ce roman, on serait presque tenté de préférer la logique de la destinée, qui au moins interdit aux hommes tout autre comportement que celui du guerrier, car l'homme serait alors victime et non décisionnaire dans les massacres qu'il perpétue. La vision cyclique du temps qu'a Billy Pèlerin, et qu'à un échelle plus large on pourrait avoir de l'histoire de l'humanité, montre pourtant que l'Homme fait les mêmes choix, sans réellement retenir les leçons du passé.

Le temps, disent les Tralfamadoriens, n'est pas qu'une succession d'événements. Il imprime aussi en chacun de nous, et durablement, les strates de ce que nous avons vécu. Si eux-même voient les humains comme de véritables monstres dotés de bras de bébés et de jambes de vieillards, il faut y voir une métaphore. le temps laisse en nous de durables empreintes et Kurt Vonnegut, en écrivant Abattoir 5, creusait justement dans son temps personnel pour y restituer une partie de son vécu, et probablement la terreur qu'il vécut le 13 février 1945, dans l'abattoir n°5, à Dresde.
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