« Brik ne s'intéressait pas à notre imagination ou à notre imaginaire, mais à notre pouvoir de fantasmagination. Ce sont deux choses différentes. Au
cinéma, ce qui le fascinait, c'était la reviviscence du passé…. La Liste de Schindler. ‘D'abord il y a eu la guerre, puis il y a eu le récit de la guerre. La guerre était grave, mais le récit qu'on en a fait l'a rendue encore plus grave'».
Le roman ‘De Republiek' en néerlandais a été traduit en France sous le titre ‘
L'Héritier'. Les traductions allemande et italienne ont conservé le mot république. Il devait moins bien passer en France où la République est sacro-sainte.
Le narrateur du roman, Friso de Vos, est un jeune intellectuel néerlandais rédacteur de ‘Somnambule, La revue du métadiscours sur Hitler depuis 1991'. La revue serait basée aux Etats-Unis où enseigne le légendaire Josip Brik, qui semble être, selon moi, une sorte de
Slavoj Zizek et/ou
Alain Badiou.
Friso est le protégé de ce génial Brik, mais aspire clairement à en être
l'héritier.
Le début du livre, où règne en maître la figure de Brik, est fascinant. Puis Brik meurt, et les ennuis, dans tous les sens du terme, commencent pour Friso et pour nous lecteurs.
Que veut dire le ‘métadiscours sur Hitler'? Il pourrait s'agir d'une préoccupation intellectuelle à l'intérêt évident, puis douteux.
Zizek et Badiou parlent de
Robespierre ou du communisme et leur discours alimente un genre de ‘métadiscours du communisme ou de la Terreur', mais plutôt sans l'horreur, les flots de sang et de mensonges. Brik et la revue Somnambule sont au carrefour de l'étude du métadiscours sur Hitler; le concept, l'image, l'écho dans la culture contemporaine.
Comme dans le marketing, il faut se trouver une niche, un marché spécifique, porteur, quoique restreint.
‘
L'Héritier' est un voyage dans le marketing académique où le buzz compte plus que le fond. Cela compte car cela confère une identité et lance une carrière. C'est absurde et cela impacte les vies personnelles de Friso
l'héritier, Pippa sa petite amie, et son rival supposé dans le secteur. Des agents secrets rôdent, ressemblent à l'équipe du Mossad, qui a retrouvé Eichmann en Argentine. Geert Wilders, le le Pen néerlandais, passe dans un couloir d'hôtel. le récit devient brouillon à la fin.
Le début reste magistral, les conversations, entre jeunes européens bien éduqués, sont brillantes. Friso s'échappe d'un moment de folie, lors d'un congrès à Vienne, rassurez vous, ce n'était pas celui de 1815, et retrouve Pippa, désormais la femme de sa vie qui continue, après l'ultime apparition du fantôme Brik qui demeure le socle de l'oeuvre.
L'auteur, né en 1983, serait en train de travailler sur un livre qui relaterait des rencontres fictives avec
Henry Kissinger. Sans doute une contribution au métadiscours sur le géant de la diplomatie amorale qui aura hanté le monde à partir de sa nomination à un poste important par le Président Nixon en 1969. Encore un terreau favorable ‘pour notre pouvoir de fantasmagination'. En espérant qu'il ne fera pas oublier les vraies victimes de cette figure encore vivante, toujours en liberté, mais déjà mythique.