AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,78

sur 150 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Ah Dieu ! que la guerre est jolie Avec ses chants, ses longs loisirs" disait Apollinaire, dans une poésie au énième degré.
De son côté, Eric Vuillard le dit crûment, sans ambages, avec force, dégoût, colère rentrée, mais aussi avec ironie, tendresse et poésie : la guerre, toute guerre est abominable.
Dans ce pamphlet pacifiste il s'appuie sur la boucherie de 14-18 en évoquant les millions de morts et blessés à vie d'un côté, et ceux qui l'ont décidée et organisée de l'autre : les responsables politiques et militaires de chaque bord.
Un bijou pour la paix et pour la vie, à lire et à faire lire.
Commenter  J’apprécie          161
Comment raconter la guerre et ses origines obscures perdues dans le passé, la bêtise et les passions humaines ? Comment dire «les racines de notre aveuglement face à l'apocalypse» ?

Ce récit d'Eric Vuillard, paru en 2012 de même que «Congo», remonte dans les racines de la première guerre moderne, ce carnage monumental de 14-18 né du passé et de l'enfance d'hommes qui ont l'air de croire qu'ils continuent de jouer. le portrait férocement ironique de quelques chefs militaires et va-t-en-guerre, - le comte Alfred von Schlieffen obnubilé par ses plans de bataille, cette «fantastique armure de papier» qui se consumera au combat, Joffre vexé de ses défaites et qui dès novembre 1914 aura limogé quatre-vingt-douze commandants de division ou encore Bertha Krupp qui visite ses usines en robe de mousseline, avec un joli chapeau plein de bégonias -, nous révèle leur indécence et leur aveuglement.

«Le visage de Schlieffen résume toute l'histoire. La bouche est amère, les paupières lourdes. Sur un portrait célèbre, le comte Alfred von Schlieffen, maigre vieillard aigri, tient – de la main rose et lisse de celui qui n'a jamais planté un clou – le pommeau de son épée. Pourtant des clous, il en plantera dans tous les coeurs, dans toutes les poitrines d'Europe.»

Eric Vuillard raconte la guerre de façon contrastée, dans un matériau qui rappelle «L'Encyclopédie des guerres» de Jean-Yves Jouannais ; les grands chapitres insoutenables côtoient les détails de l'Histoire, telle la trajectoire de la balle de Gavrilo Princip qui tua Sophie Chotek, telle cette journée du 22 août 14 alors la plus meurtrière de tous les temps. La barbarie succède à l'éclosion des jonquilles et des magnolias au printemps 1914, et les métaphores douces et passionnelles et l'humour du désastre, nous font saisir combien l'homme est dépassé par ses propres mouvements et aveugle face au monde qu'il vient de commencer à enfanter.

«Les nations crédules envoyèrent leur jeunesse. Ce fut un carnage. La conscription est le nom de ce déchaînement, de cette terrible générosité des corps, où la jeunesse est envoyée mourir au milieu des champs de betteraves sucrières.»
Commenter  J’apprécie          130
Un récit très fort, très documenté et très littéraire et qui semble avoir été écrit d'une seule traite.
La place de l'argent, son rôle et la manière dont il coule en masse et dans le même sens que le sang ainsi que la description des méthodes des puissants qui tirent les ficelles et rendent possible cet abyssal gâchis de "la grande guerre " forment aussi la force de cet ouvrage.

Le style est très intéressant, des images très fortes surgissent, je pense que chacun y trouvera un écho en son for intérieur car nos vies d'occidentaux en ont été marquées directement ou indirectement.
Éric Vuillard nous remet aussi en tête que la concentration des leviers déclencheurs de la catastrophe et de l'Abyme sont toujours bien présents, n'oublions jamais que les sacrifiés furent d'abord éduqués pour y aller, la fleur au fusil...

Ce livre est inclassable, roman mais tout est vrai, poème aussi , hommage certainement aussi, traité d'économie et de géopolitique également...

Une synthèse brillante, respectueuse, une colère froide aussi ...
bonne lecture !
Commenter  J’apprécie          60
L'auteur nous livre ici un récit très personnel de la Grande Guerre...Portraits intimes, anecdotes et surtout une profonde réflexion sur ces événements constituent tout l'intérêt du livre...Il fait ainsi ressortir toute l'absurdité de ce conflit et de son effroyable bilan humain...
Commenter  J’apprécie          40
Brio du mélange d'ironie, de sérieux et de poésie : le monde qui meurt dans le fer et le feu en 1914

Publié en 2012, presqu'en même temps que "Congo", le cinquième ouvrage d'Éric Vuillard montre de façon peut-être encore plus éclatante, à propos de la course à la boucherie de 1914-1918, cette fois, à quel point la conjonction d'une remarquable capacité de lecture historique synthétique et d'un style narratif tout en ironie, en subtilité et en poésie peut produire une oeuvre courte et formidable.

Passant au crible toute une époque, pas belle du tout, au moment où elle émerge encore à peine des fanfreluches colorées des bals 19ème siècle et des liens consanguins de la noblesse européenne qui dirige encore une grande partie du continent et de ses annexes insulaires, l'auteur décape, comme dans "Congo", le sens des slogans, des discours, des rencontres, et surtout des personnages comme emblèmes de quelque chose, quelque chose qui meurt et quelque chose qui va naître dans une douleur indicible, pour accéder à une vie presque "déjà broyée". Figures historiques hissées avec brio au rang, si ce n'est de mythes, en tout cas d'incarnations d'une faille historique et humaine bien particulière, les Schlieffen, les Moltke, les Joffre, les Foch, ou encore les Krupp, tous dessinent l'avenir qui naît là, dans les champs de coquelicots d'abord, dans l'atroce boue des tranchées ensuite.

Et encore au-delà d'un récit enlevé, gorgé d'un humour noir et d'une rieuse férocité, Vuillard sidère par l'acuité des rapprochements historiques qu'il établit comme en se jouant, en 180 pages, en phase avec les plus récents travaux sur les liens entre révolutions militaires, industrielles et socio-politiques. du grand art, de l'intelligence, de la saine ruse d'auteur, qu'il ne faut donc pas laisser passer !
Commenter  J’apprécie          40
« Mais même
cet enfer
aura l'air d'un grelot
au gré de ce qui s'approche
la guerre qu'on apprête. »
Maïakovski.


Éric Vuillard ici creuse, dissèque et caractérise précisément le dispositif central du pouvoir à l'oeuvre lors du premier conflit mondial. Il enfonce dans ses pages le douloureux clou de l'Histoire de la domination. Aussi, il analyse et dit avec une énorme érudition ce qui de toute éternité est et sera tu. Il montre la vie réelle des classes supérieures, la médiocrité et l'hypocrisie insigne de leurs pratiques. Il explore pour cela tour à tour les deux versants contrastés de la réalité de la Grande Guerre, narrant les dirigeants extatiques et les enjoints atterrés, détaillant les stratégies militaires fantasmées et les pratiques du champ de bataille concrètes et désastreuses.


La gestation de cette grande guerre tout d'abord dans le récit d'Éric Vuillard semble n'être l'affaire que d'une très vieille et très incapable caste de petits-fils de la reine Victoria. Elle est cela. Chamarrée et à cheval, indifféremment en Allemagne ou en Angleterre, elle commande et rivalise surtout en couleurs, en bons mots et en modes dragonnes. Mais, si longtemps on s'est choisi comme cadre de l'armée dans les très bonnes familles, on modifie un peu les antiques habitudes et on fabrique désormais, comme on produit du canon, de l'officier neuf qui théorise et raisonne. L'enfer qui s'approche est en effet un mélange qui se révélera d'une terrifiante efficacité dans la destruction et le meurtre de masse, un mariage d'héritiers et d'authentiques professionnels, un embrouillamini d'antiques et d'inédits attirails, de costumes anciens et de machines redoutables, d'hommes à faire mourir à grande échelle tout à fait neufs. La gestation de la grande guerre, c'est aussi cela. Assassinés à Sarajevo par un groupe d'adolescents illuminés, l'archiduc François-Ferdinand et sa femme ne forment qu'un insignifiant couple d'opérette encostumé. L'Allemagne assure l'Autriche-Hongrie de son soutien et recommande la plus grande fermeté. le chancelier veut profiter de l'aubaine, il croit le peuple germain abandonné à la sélection naturelle et au choc des civilisations. Un intense réseau d'alliances, combinaison délirante d'intérêts qui noue les castes galonnées les unes aux autres et dissimule le meurtre prémédité de tout un continent, fera le reste. le très militariste et manchot empereur Guillaume II quant à lui, pull marin, foulard de soie et souliers vernis, toujours régate.


Le printemps et l'amour quatorze-dix-huitième de l'entièreté d'une jeunesse vouée à l'extermination du Soi de la vie intime ordinaire, à l'amputation des membres, aux miracles de la chirurgie monstrueuse des faces, à la réjouissance sanatoriale des demi poumons, aux anonymats douaumontais des humérus empilés et des croix alignées, le printemps et l'amour de cette jeunesse-là contraste avec la guerre qu'on arrange. Tout est là, une génération qui s'apprête et l'ignore. Depuis toujours, on la prépare à la mort sous le costume de la gloire et du théâtre. La masse oublie mais elle se souviendra. « le courant nous emporte, nous dit l'auteur. On dit oui, on ne sait dire que ça. (…) On est toujours trop lent à voir ce qu'on aime et à véritablement l'aimer. (…) Quelque chose fabrique tout ce qu'il faut. » La bataille de la Somme tout de même : 3500 projectiles d'artillerie par minute et 30 000 victimes durant les six premières minutes.


Il est indéniable que l'entrée dans le siècle dernier a mobilisé dans le monde tout un éventail de moyens pour atteindre dans le meilleur délai certains objectifs. Éric Vuillard en ce sens dévoile dans « La bataille d'Occident » une véritable stratégie des dominants. Dans son acception la plus courante, le terme stratégie désigne en effet le choix des moyens employés pour parvenir à une fin, il désigne l'ensemble des discours, des pratiques, des dispositifs de pouvoir, merveilleusement détaillés en effet dans ce récit, visant à instaurer un nouvel ordre mondial, à commander de nouveaux leaderships, à modifier les règles de fonctionnement économiques, à transformer les rapports de force de manière à imposer des intérêts. Cependant, pour légitime qu'il soit ici, l'usage de ce terme pourrait donner à penser à tort que l'objectif d'un conflit mondial total avec élimination de l'une des parties a été élaboré à partir d'un projet de longue date faisant l'objet d'un choix aussi rationnel et maîtrisé que les moyens et les plans des gouvernants mis au service des objectifs initiaux. Il nous semble au contraire que « La bataille d'Occident » fait apparaitre que le conflit généralisé tel qu'il s'est développé avec ses alliances et ses rivalités n'a pas préexisté à l'antagonisme des impérialismes concurrents, au grand mouvement de l'Occident pour le contrôle et l'exploitation du monde. « Mais le jeu des alliances et des plans militaire est inexorable, nous dit Éric Vuillard. Vus de tout près les hommes ont leurs raisons d'agir ; mais l'addition de celles-ci laisse bientôt deviner d'autres motifs, plus convaincants que le détail des êtres n'a pu qu'ignorer. [La raison du monde] se constitue lentement, d'une manière empirique, propre à sa tournure, à son cours.» « La bataille » montre point par point que des tournants se sont amorcés sous la pression de certaines conditions sans que personne ne songe encore à une guerre de position mondiale et généralisée. Pour tenter de rendre compte de cette émergence de l'objectif à partir des conditions d'un affrontement déjà engagé, il faut l'illimité de la littérature et tout le talent d'Éric Vuillard. de l'ambition d'un stratège allemand à l'assassinat d'un archiduc, du Chemin de Dames à la bataille de la Somme, de l'exode des populations civiles aux camps de prisonniers, il alterne des portraits intimes et des scènes épiques qui ne font pas procéder la grande guerre de la volonté de quelques stratèges ou de l'intentionnalité de quelques sujets. La composition brillante qui affronte deux versants contrastés de la réalité de la Grande Guerre et le talent d'écriture de l'auteur qui dit les êtres et les choses dans le chaos font surgir ici la réalité d'une stratégie sans sujet ou sans stratège.


Ce que montre « La bataille », c'est une certaine logique des traditions et des pratiques guerrières : le mariage inopiné et très prussien du savoir et de la guerre ; le concubinage légers et très gaulois de la gloriole et de la folie des hommes à baïonnette. Alfred von Schlieffen, chef du grand état-major teuton établissant le plan d'une future offensive contre la France, nous dit Éric Vuillard, ne s'intéresse pas aux raisons du conflit, ni même aux autres issues possibles. Il ne sait pas véritablement pourquoi il faut faire la guerre mais il est certain qu'il le faut. L'alliance franco-russe va contraindre l'Allemagne à se battre sur deux flancs, et bien il faudra sans barguigner se débarrasser de la France. La guerre, c'est pour lui un grand jeu, des manoeuvres massives, de larges mouvements d'hommes et de feu, un immense tapis vert où les frontières s'effacent et où les vies s'escamotent. Avec comme héritage la victoire de Sadowa-Helmuth Karl von Moltke et le nationalisme militaire-Karl von Clausewitz, Schlieffen méprise les victoires faciles, tactiques. Il lui faut un bel encerclement, un balayage inouï à l'échelle d'un pays tout entier. Son rêve méticuleux et absurde, c'est de laisser l'Alsace et la Lorraine à l'Est et de passer sans façon sur le corps de la petite demoiselle belge à l'Ouest ; c'est, en s'infléchissant au Sud, d'envelopper Paris et vers le Jura de tenailler virilement toute l'armée française. L'exécuteur testamentaire durant la grande guerre ce sera un membre de la vieille castre, encore un Helmuth von Moltke (le jeune). Ferdinand Foch, à contrario de Schlieffen, est le théoricien de l'offensive à outrance, du plongeon de tous à un seul moment, le penseur de la cascade, du flot sur flot aux conséquences meurtrières assumées. La vie des soldats pour lui compte peu, il faut vaincre. Ce goût immodéré pour la charge est aux français ce qu'est l'encerclement aux germains. Les allemands pénètrent donc en France par Maubeuge, Saint Quentin, Soisson. Les français naturellement les attendent ailleurs et entreprennent de catastrophiques offensives sur Mulhouse, Sarrebruck et de non moins catastrophiques avancées dans les Ardennes. A l'angle de la Sambre et de la Meuse, les pas encore poilus vont voir. Il s'en suit, attaque et contrattaque précédant la retraite, 27000 « Dormeurs du val » et la journée en son temps la plus meurtrière de l'Histoire. Il n'y aura donc pas de cascades françaises cascadant mais pas d'avantage de tenailles allemandes tenaillant. Ces derniers devant occuper le terrain, renforcer le front Est, poursuivre l'ennemi, loin de leur base, s'étalent et faiblissent. C'est à l'Ouest que tombent les premiers coups. La première armée s'éloigne de la seconde tentant de repousser l'armée française. Ce sont toutes les armées allemandes qui se replient sur l'Aisne hormis la première qui est sur l'Ourcq. Alors les soldats se mettent à creuser et leurs tombes sont de plus en plus profondes, solides, continues, elles se figent en une immense nouille de sept cent cinquante kilomètres. On se tue sans se voir. Éric Vuillard montre ainsi que les objectifs d'élimination à grande échelle, de guerre industrielle idoine, de déportations de populations planifiées, qui sont promis à un si grand avenir, se sont constitués au cours de l'affrontement lui-même. « L'usage de la force, nous dit-il, se déchaîne sans raison, entre des peuples qui ne le souhaitent pas et que dirigent des hommes qui peut-être ne le souhaitent pas non plus. »


« La guerre durera encore, nous prévient Éric Vuillard (…) Cet immense fait divers poursuit sa prédication inlassable. (…) Les plans Schlieffen de l'avenir pourront bien prévoir une infinité de variantes et d'accidents, quelque chose résiste à l'emprise des hommes.» « Six mois après avoir envahi l'Ukraine, la Russie envisage d'annexer une partie du territoire qu'elle occupe. de leur côté, les pays occidentaux fournissent au pays agressé des armes toujours plus sophistiquées en même temps qu'ils y envoient des escouades de « conseillers militaires ». Moscou ne veut plus seulement soumettre l'Ukraine, mais la dépecer ; Washington ne veut plus seulement contenir la Russie, mais la vaincre. Rien ne paraît enrayer cet engrenage où chacun des camps, de plus en plus dominé par des partisans de la guerre, pense avoir les coudées franches parce qu'il parie que son adversaire, même acculé, ne commettra jamais l'irréparable pour se dégager. Or des erreurs de pronostic de ce genre peuplent les cimetières. » (« Jusqu'à quand, jusqu'où ? » Serge Halimi LMD Septembre 2022).
Commenter  J’apprécie          30
Exercice très réussi, sur le thème de la Première guerre mondiale, revisitée sous une forme à la fois littéraire, historique et polémique.
(Florence)
Commenter  J’apprécie          20
Eric Vuillard choisit des détails méconnus et essentiels à la compréhension historique.
L'exigence littéraire (on pourrait qualifier ces récits d'essais plus que de romans) et le foisonnement de détails rendent la lecture un peu ardue mais l'angle de vue très humain atteint son objectif : révéler l'envers du décor.
Tout le talent d'Eric Vuillard tient à ce qu'en nous parlant d'un épisode historique bien précis il nous adresse aussi un avertissement sur la détermination des choix d'aujourd'hui. A ces deux dimensions, historique et universelle, s'y ajoute une troisième, personnelle, qui prolonge notre réflexion : quels silences ou quelles paroles, quelles mauvaises décisions ou éclairs de lucidité (l'intuition si difficile à écouter parfois...) dessinent notre destin?
Lien : https://yaourtlivres.canalbl..
Commenter  J’apprécie          02
VUILLARD n'a pas attendu le centenaire pour nous présenter « sa » première guerre mondiale qui sort dès 2012. Comme plus tard pour « l'ordre du jour » (Goncourt 2017), il creuse jusque dans les racines du mal, les tréfonds, les causes, la situation politique explosive. Retour sur 1870, l'humiliation française, et avant-goût militaire de ce que sera la suite, 1914. Pourtant les étoiles ne semblaient pas franchement alignées pour le déclenchement d'une bonne guerre (« Moi mon côlon celle que je préfère c'est la guerre de 14-18 » chantait BRASSENS) : « Ainsi, la France et la Russie devaient entrer chacune en guerre si et seulement si l'une d'elles était attaquée par l'Allemagne. La Grande-Bretagne assisterait la France si et seulement si les intérêts vitaux des deux nations étaient menacés. L'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie feraient cause commune si et seulement si deux autres États attaquaient l'une d'elles ». Mais voilà, le sort s'acharne et toutes les conditions sont réunies pour que le Grand Brasier commence après une ultime étincelle du côté de Sarajavo (VUILLARD se plaît à rappeler que François-Ferdinand est assassiné quelques minutes après avoir lancé hors de son véhicule une bombe destinée à l'anéantir et blessant certains de sa garde rapprochée). On finit d'ailleurs rapidement par ne plus rien y comprendre : « Enfin, le 23 août (1914 nddlr) le Japon déclare la guerre à l'Allemagne, on ne sait plus pourquoi ». Comme son nom l'indique, la guerre mondiale implique des participants du monde entier.

Stratégies militaires, chiffres, le pilote-horloger VUILLARD sort son train d'atterrissage, rien n'est laissé au hasard, précision quasi maladive : le nombre de mois pour avancer de quelques mètres, le nombre de mois pour les reperdre, le nombre de morts à déplorer alors que les armées ont repris leur point de départ. La preuve par l'absurde, pour dénoncer l'absurdité de la guerre. Car derrière le cynisme et le détachement apparemment, VUILLARD envoie dans les bronches un vrai texte antimilitariste, il annonce méticuleusement ses barèmes (grosse documentation, VUILLARD n'est pas un fantassin si j'ose m'exprimer ainsi), notamment les 27000 soldats tombés au champ d'honneur le seul jour du 22 août 1914, en faisant pour l'époque la date la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité.

Les chiffres accréditent une réalité pourtant déjà effrayante : les soldats, les canons, les obus, le poids même de ces obus, les avancées (en mètres parfois), les débandades (plus souvent en kilomètres), les travailleuses dans les confections d'armement, un monde dingue, déshumanisé file sous nos yeux. Et VUILLARD en rajoute : des chiffres, des anecdotes, il parvient, grâce un talent hors normes, à nous faire rire en pleine tranchée, au milieu du sang et des cadavres puants. Car VUILLARD ne filme pas l'apparent, il va faire glisser sa caméra derrière le talus, celui du fond, que personne ne voit, il s'y déroule souvent une action singulière, parfois drôle dans son horreur.

Les images, l'auteur les maîtrise d'une manière impressionnante : « Puis vient l'hiver. le grand hiver très froid de toutes les guerres qui durent davantage qu'un été. le grand hiver moderne des guerres durables. On récolta toutes les patates, toutes les noix et tous les champignons possibles. Les paniers furent très pleins. Les feuilles tombèrent sur les hommes tombés ».

VUILLARD ne raconte pas la fin de la guerre, il se focalise sur la première année, comme pour signifier que de toute façon tout a été du même acabit durant les trois années restantes, il ne tient pas à bégayer. Il ne parle pas de l'issue du conflit. Issue anecdotique ? Peut-être pas, mais pour lui le vaincu est l'humanisme, alors peu importe qui est le vainqueur.

L'auteur tient à nous faire partager le fait que nous venons d'entrer dans le nouveau siècle, avec 14 ans de retard, mais définitivement, un siècle fou, un monde assoiffé de haine, le nôtre. Il n'oubliera pas d'évoquer les Zeppelin, premiers signes de la guerre aérienne.

VUILLARD a sorti « La bataille d'Occident » la même année que « Congo ». Comment un homme peut faire paraître à quelques mois d'intervalle deux récits aussi puissants, aussi dantesque (il commettra plus tard les très forts « Tristesse de la terre » et « 14 juillet », et l'exceptionnel « L'ordre du jour ») ? Je crois que cela se nomme le talent. Il est immense chez VUILLARD. Et si je vous propose aujourd'hui cette petite chronique, ce n'est pas totalement anodin, c'est même une vraie mise en bouche, en condition : après quasiment deux années d'attente à ronger nos freins, VUILLARD se rappelle à notre bon souvenir et revient le 16 janvier 2019 avec « la guerre des pauvres ». L'obsession de la guerre, du détail dans la guerre. Nul doute que ce nouvel opus bousculera encore un peu plus les limites de la littérature. Nous serons sur le coup, nous ne pouvons pas faire moins.
https://deslivresrances.blogspot.fr/
Lien : https://deslivresrances.blog..
Commenter  J’apprécie          00
Excellent!
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (336) Voir plus



Quiz Voir plus

Kiffez Eric Vuillard !

La première fois que j'ai rencontré Eric, il m'a dit d'un ton péremptoire, la question n'est pas ...?...

Une sinécure
Sujet à débat
à L'ordre du jour
Digne d'intérêt

10 questions
27 lecteurs ont répondu
Thème : Éric VuillardCréer un quiz sur ce livre

{* *}