Certains livres font peur. Le titre et l'épaisseur de celui-ci ont suscité chez moi trois interrogations. Le Catalan était-il en proie à une crise mystique? Voulait-il prendre exemple sur les discours interminables de Fidel Castro en publiant ce pavé? Paru il y a quinze ans, cet essai était-il toujours pertinent?
En janvier 1998, un événement majeur se produit à Cuba. Jean-Paul II se rend à La Havane pour une rencontre historique. Contrairement à ce que laisse penser le titre de l'ouvrage, cette visite n'est pas l'objet de l'essai (la tiare papale ne fait que passer) même si l'auteur s'attarde sur la préparation de cet événement et sur ses retombées politiques. Et Dieu est entré dans La Havane permet à Vazquez Montalban de faire un "état des lieux" de la question cubaine. Oubliez l'écrivain, c'est le grand journaliste qui pointe son nez, retranscrit des centaines d'entrevues, assiste en tant que témoin privilégié à la rencontre entre Jean-Paul II et les intellectuels cubains, échange avec des diplomates américains ou Felipe Gonzalez. Multipliant les points de vue, il nous livre une sorte d'encyclopédie très complète de la question cubaine, pour en montrer toute la complexité. Il aborde les thèmes de la faim dans l'île durant la "période spéciale", la dégradation des conditions de vie, l'arrivée des devises étrangères, l'apparition d'une économie parallèle, la prostitution, l'homosexualité, la relation à l'Espagne et aux Etats-Unis, la dissidence. Le seul fil conducteur est une biographie de Castro que l'on retrouve au début de chaque chapitre, petite piqûre de rappel de l'histoire de Cuba des dernières décennies.
Mais comme Vazquez Montalban est (je ne peux l'évoquer au passé) un grand écrivain, un érudit enthousiaste, un bon vulgarisateur, sa vision de Cuba est unique. L'architecture de l'île est évoquée à travers l'oeuvre d'Alejo Carpentier, le phénomène des jineteras est abordé à travers un roman de Daniel Chavarria. Il évoque Padura, Cabrera Infante, Zoe Valdes, Reinaldo Arenas, de quoi combler tous les amoureux de la littérature cubaine. On croise aussi Fuentes et Garcia Marquez, des historiens, des journalistes, des essayistes. Les idées et les références foisonnent, ce flot constant d'informations nous étourdit parfois.
Au lecteur de se faire sa propre opinion sur Castro, sur la chute du bloc soviétique et ses conséquences sur la société cubaine et l'église catholique qui y perd un vieil adversaire, sur les compromis entre idéaux et impératifs économiques et sur la fin de la révolution. Vazquez Montalban quant à lui songe déjà au mouvement zapatiste ( son essai consacré à Marcos paraît l'année suivante) et conclut: " Après la révolution viendra une autre révolution. L'Histoire est comme un roman: mort et renaissance. Toute fin appelle un recommencement. Sur la terre comme au ciel."
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En guise de conclusion, il serait bon, me suis-je dit, de parler avec le sous-commandant Marcos. J'avais reçu de lui un message: il avait déclaré devant les caméras de la Télévision espagnole (TVE) qu'il avait dû renoncer à lire les Pepe Carvalho parce que, dans sa jungle, les plats que se cuisine mon héros lui donnaient faim. Et je lui avais promis que la cuisine précolombienne, nourriture lointaine de la forêt lancadone, trouverait droit de cité dans mes romans!
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