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Critique de ithaque



Un moment déjà que Frans de Waal, éthologue engagé et passionné (je suis une groupie ) fout sa zone dans les salles de conférence. Son intuition de départ : la similitude des comportements des animaux sociaux (DONT l'homme). Il y a tout un panel d'émotions communes, de processus cognitifs identiques, liés au fait d'être un animal social et auxquels on peut ramener la plupart des comportements (animaux et humains).

Révolution copernicienne : non, tout ne tourne pas autour de l'Homme, nous ne sommes pas l'aune à laquelle mesurer tout le reste du vivant de manière condescendante ; non, nos émotions ne sont pas forcément plus nobles, plus raffinées que celles des animaux ; nous sommes dans la pleine continuité des milliards d'êtres vivants qui nous ont précédés. Même si bien sûr, nous avons une spécificité concernant la technologie, c'est évident.

Pour lui, l'anthropomorphisme n'est pas à craindre car c'est notre propre comportement qui se glisse sans défaut dans les grilles d'interprétation valables pour une grande partie des mammifères sociaux. Il fait apparaître à travers toutes ses observations une sorte de sociomorphisme, identité profonde des structures mentales des êtres dont la survie dépend d'un groupe.
Les notions majuscules grandiloquentes qui sont censées être notre chasse gardée (la Justice, le Pardon, la Bonté, ainsi de suite) nous préexistaient de millions d'années, sous une forme moins ampoulée certes, mais elles sont dérivables du lien social. On peut donc de ce point de vue faire l'économie de la religion (ou de tout autre Destin, Prédestination Merveilleuse, etc), pour expliquer nos valeurs les plus conceptuelles ; elles sont tout simplement inhérentes à toute communauté animale viable, et observables quotidiennement chez les animaux.

Oui, les animaux ont des émotions et des codes de conduite, et il suffit d'ouvrir les yeux pour le constater. Autre mur que De Waal nous permet enfin de franchir, venant à bout du déni obstiné de nombreux scientifiques. Si on est suffisamment de mauvaise foi pour refuser d'être ému par les gestes de tendresse entre chimpanzés, on ne peut plus nier l'apport des neurosciences qui mesurent par exemple les taux d'ocytocine, l'hormone de l'attachement, répandue aussi abondamment chez les animaux que chez nous.
Sans parler du rire (chatouilles, même les rats pouffent, oui), du sens de l'humour (une jeune chimpanzé attendait que les membres du groupe s'endorment pour leur déposer une souris crevée, ce qui avait toujours son petit effet).Doit-on continuer à utiliser des termes ridicules comme « halètement vocalisé » au lieu de « rire », pour un chimpanzé qu'on chatouille ?

Son livre regorge d'une multitude d'exemples concrets, fascinants pour nous qui sommes si éloignés de ces observations, coupés au point d'avoir créé un fossé factice entre nous et les autres animaux, nous persuadant d'être les Elus, les Sublimes.

Par exemple, la justice. Chez les singes capucins (ou les chiens), quand, pour une même action, on récompense inéquitablement l'un des deux, l'autre arrête immédiatement de travailler, se met en colère ou se renfrogne. L'occasion de mentionner la distinction que De Waal fait entre les sentiments (monde du langage)et les émotions, ces dernières étant visibles physiquement, à même le corps, répertoriables et quantifiables. La notion de justice et d'équité ne nous est pas propre, et cela va même plus loin : un singe préfère une récompense où les 2 vont être gratifiés plutôt que de recevoir le double à lui tout seul. Pourquoi ? probablement parce qu'il sait qu' il risque de couper des liens cruciaux et aussi que ça va chauffer pour lui dans le groupe s'il est avantagé, il choisit donc l'option « sécurité sociale, cohésion du groupe, no stress ».

La honte, la culpabilité, peuvent se déduire de cette même façon : ayant mordu De Waal accidentellement, son chien reste prostré plusieurs jours sans manger. Probablement parce qu'il avait enfreint LE tabou : ne pas mordre un allié. Les conséquences redoutées étant son rejet du groupe et la rupture du lien.

De cette notion d'appartenance fondamentale découle aussi la réconciliation : beaucoup d'énergie est dépensée dans ce but, des rituels abondent, des individus-relais sont dévolus à cette fonction cruciale de médiation pour recimenter le groupe.

Notion inhabituelle que De Waal nous livre aussi : les animaux choisissent. Ils hésitent, essaient, comparent, vérifient, anticipent, avant de choisir une option.

Conscience très fine et complexe des relations sociales, manipulations politiques, feintes en tous genres, actions d'empathie désintéressées (un rat libère un congénère coincé, sans aucun bénéfice pour lui-même), dépression après un deuil , tout cela est monnaie courante à travers des exemples transparents.

Frans de Waal propose donc une inversion de nos façons de penser : que l'homme cesse de se vivre comme La Mission, se prenne un peu moins le melon, car il existe beaucoup plus de similitudes que de différences entre l'homme et les autres animaux. le fait de s'être pris pour une abstraction, une entité à part, méritant un traitement de faveur,[ce à quoi les religions contribuent grandement] ce schéma sclérosé doit être changé, il est temps.
Grâce à des gens comme Frans de Waal, on voit carrément le monde autrement. Merci à eux.
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