Le khat rythme la vie dans ce foutu pays. Sans khat, point de vie ! De treize à vingt heures, le khat tient les hommes (et les femmes) en vie. Sans lui, que faire, comment vivre ? Seule la voix esseulée du muezzin vient troubler, pour quelques-uns, ce rituel fort bien assimilé.
Awaleh broute, comme on dit chez nous avec une pointe de fierté. A vrai dire, il ne broute pas, il mâche son khat comme on chique du tabac. Ou comme on mâche du chewing-gum. Et tous les quarts d'heure à peu près., il boit une gorgée d'eau fraîche, puis du thé chaud. Le khat donne soif.
Juste sous le robinet de la glacière, enveloppé dans un chiffon constamment humide : le khat, la plante de toutes les convoitises dans cette partie du monde. La plante magique. Maléfique. Le khat se présente sous forme de brindilles tenues ensemble par 1 fibre couleur de liège provenant d'une feuille de bananier.
Et pourtant, j'angoisse Mariam, la femme ordinaire d'un pays sans fantaisie tout entier occupé à mâcher les maigres restes d'un repas entamé ailleurs et acheminé grâce à l'admirable énergie des receleurs de la charité.
Certes, il ne faut pas parler à l'identique mais doit-on pour autant multiplier les langages à l'infini ? Le pays s'est déjà doté de quatre langues : deux officielles parce qu'étrangères (le français pour la notoriété et l'arabe pour les sous du Golfe) et deux nationales parce qu'autochtones.
Corps étuvés ; ce que la nature nous donne à voir plaisamment : ce sont des fleurs d'agaves dans l'ivresse de l'étreinte arborescente.
Il chuchote des mots quasi inaudibles. Elle soupire profondément. Froissement d'étoffe — prélude d'une furia tendre. Un genou nu sort de dessous le drap. Râles dans le lit et béance dans la nuit. Un quartier de lune monte la garde.
Dans un monde à la dérive, les hommes s'agrippent à la chose la plus fragile qui soit : les brindilles d'un arbuste éthiopien. Cette plante les aguerrit en retour. Le khat, c'est le poison et son antidote, autrement dit l'incarcération perpétuelle.
Râle dans le lit et béance dans la nuit. Un quartier de lune monte la garde.
J'irai chercher une vie nouvelle, un avorton de vie, j'irai démêler les eaux de ma liberté.
Pourtant, sans leurs mères, filles ou épouses, les hommes sont des palmiers nains dans l'oasis décatie ; les hommes sont l'écume de la poussière alors que les femmes sont l'humus de la terre.