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Critique de colka


La littérature amérindienne était pour moi un territoire de lecture inconnu. le beau roman de Richard Waganese, Les étoiles s'éteignent à l'aube m'a permis de partir à sa découverte.
Les deux protagonistes sont un père et son fils, Eldon et Franck Starlight, tous deux "sangs mêlés". Au début de l'histoire, tout les oppose. Eldon vit dans un de ces bidonvilles où sont parqués les Indiens près d'une usine à papier. Franck a grandi dans une ferme, au milieu de la nature, auprès d'un vieil homme qui l'a élevé depuis son plus jeune âge. Et lorsque Eldon appelle son fils à son chevet pour l'accompagner vers sa dernière demeure : un rocher au bord d'un escarpement d'où l'on peut voir en contrebas toute la vallée où il a passé le plus clair de sa vie, Franck ne va pas sauter de joie. Mais il va pourtant partir à la rencontre de ce père démissionnaire, alcoolique et mourant.
Les retrouvailles ne vont pas être faciles. Franck va se trouver devant un homme rongé par l'alcool et dont la vie peut se résumer dans une série de renoncements et de fuites ; fuite de chez sa mère à treize ans, fuite dans l'espace et le travail en temps que saisonnier, enfin fuite définitive dans l'alcool... le prix à payer est lourd : mort de la femme qu'il aimait Angie, la mère de Franck, abandon de son fils Franck chez celui qui fut son rival auprès d'Angie, Buck. Bien sûr, il a sa part de responsabilité dans ce naufrage mais à travers ce personnage complexe et torturé, ce que l'auteur dénonce avec vigueur et dans une langue qui ne recule pas devant le réalisme le plus cru, c'est l'exploitation des Amérindiens condamnés à ne pas avoir de logement fixe, condamnés à "suivre le travail" pour des salaires de misère et tout juste bons à fournir de la chair à canon dans les deux guerres dont il est question dans le roman, notamment celle à laquelle Eldon va participer, la guerre de Corée. Ce sera d'ailleurs pour lui ce qui va le faire basculer dans un alcoolisme dur dont il ne sortira plus.. J'ai été très impressionnée par les scènes hallucinatoires que l'auteur consacre à cet épisode et qui évoquent à la fois l'enfer et cet état de transe dans lequel se trouvaient les combattants. Traumatismes insurmontables pour la plupart...
Le personnage de Franck est porteur d'un tout autre message. J'ai été frappée, en lisant ce roman, de constater à quel point il faisait écho aux débats actuels sur le rapport de l'homme avec son environnement. le personnage de Richard Waganese a ceci de remarquable qu'il incarne une relation au monde fondée sur le respect de ce qui l'entoure, que ce soit le monde végétal ou animal. Son éducation très expérientielle lui a appris à trouver autour de lui tout ce dont il a besoin, sans gaspiller et à développer un comportement très proche du corps et du sensoriel pour s'adapter à son environnement et y vivre harmonieusement. J'ai vraiment beaucoup aimé tous les passages consacrés à son bonheur d'être dans la nature : plaisir de voir des coyotes au clair de lune, plaisir de cuire la nourriture pêchée ou chassée sur un feu de bois, aussi source de chaleur. Rien dans ces passages d'un relent d'utopie passéiste. Simplement l'évocation de moments d'un bonheur simple, évoqués dans une langue précise, méticuleuse, sensorielle. Nul besoin d'hyperboles racoleuses qui pourraient rompre l'équilibre. Tout est juste et bien dit pour notre plus grand plaisir.
Même sobriété au niveau des dialogues. Souvent les répliques fusent du tac au tac surtout entre père et fils. L'un s'en plaint, Eldon, car selon lui il n'a jamais su trouver les bons mots et c'est une des tortures qu'il s'inflige! L'autre Franck y voit au contraire une justesse qu'il revendique car son éducation lui a appris à tenir à distance le langage, voire à s'en méfier. Il préfère l'agir au dire. Cela va se manifester à la fin du roman, où la dureté de ses mots sera démentie par la tendresse des gestes envers son père. D'ailleurs ce mode de relation au monde va culminer dans sa justesse, sa singularité et sa beauté dans les dernières scènes consacrées à la mort de son père. Franck va procéder à un rituel funéraire où par le toucher du visage de son père et du sien, il va symboliquement restaurer, à travers ce geste d'exploration et d'appropriation, ce lien familial qui n'a jamais existé.
Un beau point d'orgue pour un roman âpre, rugueux mais aussi merveilleusement apaisant à d'autres moments.
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