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Critique de Presence


Cette histoire est parue pour la première fois en 1997. Elle a servi de base pour un film "A history of violence" de David Cronenberg avec Viggo Mortensen.

À Raven's Bend dans le Michigan, Tom McKenna tient un café. Un soir, 2 individus débarquent, après avoir abattu froidement un couple d'autostoppeurs. Ils réclament du café et l'un d'eux sort un pistolet. McKenna ne se laisse pas faire et reprend le dessus sur les 2 petites frappes avec une violence létale. Ce fait divers fait la une des journaux locaux, ainsi que de la chaîne de télévision régionale. Tom McKenna se retrouve assailli de demande d'interviews, de gens voyant en lui un véritable héros, et même de courriers d'admirateurs. Il garde un profil discret en attendant que la tempête médiatique se calme. Edie, sa femme, est plutôt fière de lui et l'assure que le prochain fait divers viendra mettre un terme à l'intérêt que lui portent les médias. Buzz (leur fils, entre 16 et 18 ans) et Ellie (leur fille, une dizaine d'années) sont plutôt fiers de leur père, même si Ellie s'inquiète de savoir s'il viendra d'autres méchants hommes. Alors que la vie reprend son cours normal dans cette petite ville de province, une limousine noire est aperçue à proximité de la maison des McKenna, et non loin de la partie de baseball à laquelle participe Tom.

Ce comics sort des sentiers battus pour plusieurs raisons. Tout d'abord il s'agit d'une histoire complète parue en un tome, indépendante de toute autre série. Il s'agit d'un polar assez noir, à la frontière du thriller au fur et à mesure que l'histoire se dévoile. Elle a été écrite par John Wagner et illustrée en noir & blanc par Vince Locke. le style de ce dernier se démarque totalement des illustrations de comics habituelles. Chaque dessin ressemble à une esquisse détaillée, griffonnée. Il faut un peu de temps pour s'habituer à cette vision artistique où chaque ligne est un peu tremblée et apparaît comme repassée ou doublé 2 ou 3 fois. Locke utilise du début jusqu'à la fin une seule et unique épaisseur de trait. Il utilise les aplats de noir avec parcimonie, leur préférant les traits entrecroisés pour figurer l'ombrage, avec un maillage plus ou moins serré en fonction de la luminosité. Malgré ce rendu atypique, il parvient à conserver une lecture facile à chaque case, une fois que l'oeil s'est habitué à déchiffrer ces traits presqu'hésitants. Et pourtant à travers ce style un peu brouillon, Vince Locke fait naître tout l'ordinaire de la vie de Tom McKenna, il rend parfaitement la violence des affrontements, l'horreur de la torture, la banalité des individus, la familiarité des intérieurs. Il s'agit vraiment d'une expérience de lecture singulière dans laquelle le dessinateur s'attache parfois à la forme, parfois au mouvement, parfois à la simplification extrême des objets (un ou deux pistolets qui semblent des jouets en plastique pour enfant de 5 ans), toujours avec ces traits presque tremblés, et pourtant sans que la compréhension des images ne soit pénible, ou sans que le résultat ne s'apparente à un carnet de croquis inachevé.

Derrière la banalité des descriptions visuelles, il y a un scénario déconcertant. Ces presque 300 pages de bandes dessinées se lisent assez vite, car la narration a été travaillée pour être la plus simple et la plus directe possible. le scénariste et le dessinateur se complémentent pour donner un sentiment de banalité et de quotidien aux événements survenant à Tom McKenna. John Wagner commence par une scène qui ne laisse pas place aux doutes : la violence promise dans le titre est bien présente dès cette première exécution sommaire. Elle ira crescendo pour déboucher sur des actes de barbarie, d'autant plus difficiles à soutenir que les dessins de Locke laissent le soin au lecteur d'imaginer la dégradation des chairs et du corps. John Wagner n'est pas en reste en imaginant des niveaux de violence très élevés.

En fait le début de cette histoire captive par sa simplicité, sa plausibilité et son évidence. Et puis au fur et à mesure des pages qui se tournent, 2 caractéristiques prennent le dessus. John Wagner propose un récit riche en événements. Il ne joue pas la carte des révélations dramatiques, il pose plutôt un élément après l'autre, sans rajouter d'effet de manche ou de dramatisation. Les séquences s'enchaînent avec quelques actions spectaculaires ou horrifiques, avec la chaleur humaine des habitants de Raven's Bend, avec la distance professionnelle des policiers de New York, avec la cruauté ordinaire du crime organisé. Et le lecteur attend de ressentir de l'empathie pour Tom McKenna et sa famille et ça ne vient pas. John Wagner a choisi de ne pas s'attarder sur la psychologie des personnages : il y a les méchants, il y a les gens normaux qui sont tous gentils et il y a Tom McKenna à la moralité légèrement ambiguë. le lecteur n'arrive pas à s'attacher à ces personnages un peu falots, un peu trop lisses, un peu trop détachés de ce qui leur arrive. Lorsqu'Edie découvre la vérité sur son mari, ça ne semble pas la perturber outre mesure. Son amour est une évidence, et finalement elle n'a pas lieu de se remettre en question, de réévaluer ses relations, car après tout ce n'est pas si grave que ça. Euh, ben si quand même ! Quand un personnage apprend qu'un de ses amis a été torturé pendant 20 ans, c'est grave, mais le lecteur a du mal à comprendre en quoi cela a de l'importance plutôt que ça n'en ait pas pour ce personnage. D'un coté, John Wagner épargne à son lecteur des personnages dramatisant tout ou exaltés par des sentiments démesurés, mais de l'autre il n'arrive pas du tout à donner de l'épaisseur à ses personnages presque dépourvus d'émotion.

Malgré des bons cotés très singuliers (les illustrations sortant de l'ordinaire, le scénario malin et cruel construit en crescendo), John Wagner ne sait pas impliquer son lecteur dans les épreuves vécues par les personnages principaux. Locke arrive à rendre visuellement crédible cette histoire policière, sans qu'elle devienne ridicule ou fade, ce qui est assez compliqué du fait que la bande dessinée repose sur des mécanismes qui ont vite fait de rendre visible et idiot les clichés des polars (les porte-flingues stéréotypés et caricaturaux, par exemple). Mais John Wagner se contente de la mécanique de son récit, sans lui donner d'âme, sans lui fournir une profondeur psychologique qui fasse exister ses personnages. de ce fait il n'y a aucun enjeu moral. Au final cela donne une histoire facile à lire, avec quelques passages bien noirs, ou biens tendus, mais c'est tout.
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