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sur 167 notes

Critiques filtrées sur 1 étoiles  
J'ai bien senti, après que mon père eut lu mon commentaire sur Raymond Carver, comme il avait été embarrassé de me l'avoir conseillé : comme j'ai éreinté ce livre, il suppose que j'ai perdu mon temps par sa faute, déploré cette perte, et il a dû s'en croire coupable. Mais il ignore que même un mauvais ouvrage fait un bon exercice pour un critique, et que le plaisir à analyser minutieusement les raisons d'un échec peut presque égaler parfois celui de se plonger dans un livre réussi.
L'autre jour, il est venu me voir avec ce livre ; prudent, il a précisé : « C'est la situation initiale du personnage qui m'a plu. Je te le prête, tu n'y passeras pas longtemps de toute façon. Ce n'est sans doute pas un grand roman, mais… enfin tu verras. »
S'il lit actuellement cette introduction, puisque je ne lui ai pas encore dit ce que je pense de cet ouvrage, comme il doit s'inquiéter à cette heure ! J'éternise un peu pour prolonger sa souffrance, et, comme cela se partage et se moque, je vous en fais profiter tous par la même occasion !
Mais d'abord :
Il faut considérer le traducteur de ce polar comme une sorte de génie paradoxal, un artiste de l'absurde, un admirable iconoclaste du bon sens. C'est que Wainwright, britannique, jugea bon d'intituler le livre Cul-de-sac… oui, directement en français dans la version originale. Or, ce français sembla sans doute une injure aux capacités d'un ouvrier si laborieux, et il parut impossible à ce traducteur de talent de conserver ce titre tel quel – la tentation dut même être grande pour lui de le transposer en anglais et de tâcher de justifier ainsi son salaire par toutes sortes de contorsions propres à noyer son front de sueurs ostensibles. de son côté, l'éditeur, qui est un être généralement frustre et intéressé surtout par l'argent et diverses choses légales, put constater qu'un livre de Douglas Kennedy portait déjà ce titre, et il se dit, bien qu'il ne fût pas du tout prohibé que deux oeuvres portassent le même nom : « Ce serait un fort inconvénient que deux romans soient intitulés de la même manière ! Cela pose au moins quelque problème de visibilité commerciale. » Et voici comment, dans son inculture crasse, et ignorant totalement qu'il a existé quelqu'un comme Jean-Jacques Rousseau, le type songea, ému certainement par sa propre pensée admirable et superbe : « Tiens, il n'y a qu'à intituler celui-ci Une confession : c'est très original incontestablement, et ça ne marche sur les brisées de personne ! ».
Bref. J'écris « bref » une fois de plus en évoquant le merveilleux monde contemporain du livre : combien de « bref » encore me faudra-t-il dépenser avant de pouvoir, sans rien taire, parler franchement car avec fierté d'un univers qui aura cessé de sombrer dans la plus détestable marchandise ?
Papa avait raison, le début de ce roman est une odieuse réjouissance. Dans son journal, M. Duxbury, cinquantenaire propriétaire d'une imprimerie, raconte, à dessein d'être un jour lu par son fils adoré, son affreux quotidien de couple avec une mégère guindée et insupportable, capricieuse, stupide, insensible, sorte de garce embourgeoisée dont le portrait est un délice pour les coeurs acides. Cet homme, qui se croit coincé dans une existence de concessions perpétuelles et d'instabilités d'humeur subies, exprime combien il tient malgré tout au « bonheur de cette contrainte », et combien il estime son mariage un effort continu et nécessaire de bonne entente en dépit des soumissions cinglantes auxquelles il s'oblige. En cela, ce journal représente l'abnégation imbécile et chrétienne à laquelle de nombreuses générations se sont pliées et dont il subsiste beaucoup dans notre société où il faut : subir, tolérer, arranger, le tout avec une espèce d'extinction de vitalité qui passe, on ne sait pourquoi, pour une vertu de patience voire de sagesse.
Seulement, M. Duxbury, au cours d'une promenade avec son épouse en villégiature, est accusé d'avoir poussé ladite dame dans un ravin, ce dont elle n'a de toute façon pas survécu : un seul témoin, vraiment pas fiable de surcroît, l'a vu, un certain M. Foster… et c'est tout ce qui pèse contre lui qui déclare qu'elle a simplement « glissé sur de la boue ».
L'inspecteur Harker, perspicace, ironique, un vrai limier, mène l'enquête qui, de fait au moment où le témoignage se produit, a déjà conclu depuis trois jours à la mort accidentelle de Mme Duxbury, ce qui est bien embarrassant compte tenu du peu d'éléments dont il dispose pour relancer une affaire qui va contrarier bien des coroners et des experts. D'où dilemme : laisser les choses au repos peut-être, quoi qu'il se soit réellement passé ? D'autant que le lecteur, qui sait combien la femme a en quelque sorte mérité d'être assassiné – c'est qu'il a déjà lui-même voulu virtuellement la buter bien des fois –, se demande un peu au fond où serait le mal d'un si bon débarras, et Harker n'est pas loin quelquefois de penser lui-même la même chose…
On le sait, toute la qualité d'un bon polar se résume à la façon dont l'intrigue réalise ou non une affaire vraisemblable, car il n'est nullement difficile, en effet, de multiplier les scènes de poursuites et de dangers, et tout ce que réclame le lecteur instruit c'est une construction qui lui paraisse réaliste et plausible d'un point de vue psychologique et criminel, et si possible avec quelque développement réflexif sur la nature humaine. Or, cette conjonction se rencontre très rarement dans ce genre où en général on écrit tout pile un livre par an, y compris chez des auteurs qui se targuent d'avoir travaillé dans la police ou la médecine légale, raison pour laquelle j'ai presque totalement cessé de lire des polars depuis assez longtemps : les sadismes grossiers ou alambiqués qu'on y trouve en général n'évoquent rien de tout ce que j'ai appris scientifiquement même sur les tueurs les plus pervers, et pour ce qui est de l'élaboration d'une intrigue, bien des utilités m'impatientent pour ce qu'elles sont : une façon incroyable de meubler entre un point A et un point B où l'on exige que l'enquête progresse. Quant à l'écriture, je veux dire quant au style, il n'est pas, je crois, fort question d'en parler le plus souvent, n'est-ce pas ?
Commençons par cela, puisque nous y sommes : Wainwright écrit bien, certes pas à un degré de raffinement extrême, et ses parenthèses réflexives restent brèves, mais tout de même, c'est un auteur qui a le sens de la subtilité des émotions et des faits. Pas d'inutilités comme on en subit beaucoup dans ce genre – par exemple pas de ces descriptions languides et vaines de lieux stéréotypés à seule fin de montrer qu'on est capable de s'attarder sur des détails, et pas non plus de ces gestes tant millimétrés qu'absurdes pour indiquer la façon dont le témoin se gratte l'arête du nez lors d'un interrogatoire, ce dont tout le monde se fiche mais qui doit conférer à l'auteur une sorte de « talent visionnaire », on suppose – ; aussi des dialogues plus élaborés, plus littéraires, que la moyenne. Mais l'attrait principal vient surtout, comme c'est presque toujours le cas dans ce genre, de la curiosité qu'on a de savoir, puisqu'il faut partir à peu près du fait que Duxbury est bien coupable, la façon dont Harker va découvrir et confondre le criminel : c'est qu'en l'occurrence toute l'accusation repose sur un témoin unique, et l'on doit admettre que Duxbury n'a vraiment aucune raison d'avouer son meurtre, le bénéfice du doute lui profitant quoi qu'il arrive. Or, comme c'est généralement le cas, c'est là qu'il y a faiblesse de la construction : le récit piétine un long moment lorsque Harker interroge toutes sortes de témoins de moralité, témoins qui ne nous apprennent rien de neuf sur Duxbury et confirment seulement son journal.
Et, défaut essentiel, majeur, inexcusable à mon sens mais si récurrent dans le roman policier : il est une nouvelle fois impossible d'augurer la fin, parce que cette fin est ridicule et, d'un point de vue psychologique, largement invraisemblable. J'en parlerai après la citation d'un extrait, ne voulant pas dévoiler cette chute, mais elle est évidemment mauvaise et repose en entier, de l'aveu de l'enquêteur lui-même, sur une « intuition » que rien, aucun indice, ne permet au départ d'étayer : cet irrationnel-là importune dans une oeuvre qui prétend reposer sur une méthode exacte d'investigation. Or, c'est tout l'intérêt de l'intrigue qui s'écroule alors : aussi bien le mobile du crime que la façon dont le criminel est confondu ne « tiennent » pas, et on ressent l'impression d'une escroquerie, comme j'en ressens toujours en lisant par exemple du Christie ; on ne pouvait pas savoir, trompés par l'illusion d'une vraisemblance qui s'évanouit in fine. Mais on peut, sans trop y réfléchir, se contenter de cela, à la façon, je crois, dont la plupart des lecteurs de polars se satisfont : si l'on n'y pense guère, on se laisse alors déborder par la surprise, et on trouve cela charmant – et puis aussitôt on passe à autre chose.
Or, quant à moi, cette autre chose ne consiste pas, aux antipodes de ces contentements-là, en un autre polar ; à l'inverse, me trouvant confirmé dans mes ennuis, je me dis : « On ne m'y reprendra plus », et jusqu'à preuve solide du contraire, jusqu'à quelque confiance forte en un conseiller dont j'aurais un peu éprouvé l'expertise, c'est tout à fait vers un autre genre que je me dirige alors, et pour longtemps.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Quelle lenteur ! Bien trop poussif, je ne parviens pas au bout ...
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