Dans une dictature imaginaire établie sur les ruines d’une démocratie fourbue, une voix résiste avec acuité. Magnétique et névralgique…
Lire la critique sur le site : LaCroix
Dans une France dystopique, le pouvoir en place efface le passé et le sens au nom du progrès béat. La narratrice de ce roman subjuguant cherche à comprendre l’origine du mal.
Lire la critique sur le site : LeMonde
-Nous aurions dû nous en douter.
-Nous préparions dans le savoir.
-Ces commentaires haineux.
-Cette violence sur le net.
-Jamais un jugement positif.
-Chaque prise de parole était une agression contre quelqu'un.
-Il y avait deux bords.
-D'un côté les gagnants.
-Impérieux, accrochés au pouvoir et à leurs privilèges, sourds à tous les appels.
-De l'autre les perdants.
-Découragés, désespérés, errants à la recherche d'une place.
-Exclus de l'avenir, exclus de l'horizon.
-A l'ombre des fières parades des gagnants.
-Clamant leur incompréhension de la course du temps.
-Avant il en était ainsi, disaient-ils, après il en sera ainsi.
-L'après n'est que le prolongement de l'avant.
-Rien ne pourra jamais changer.
-Et les perdants.
-Au pied des remparts, des digues, de toutes les défenses.
-Arrêtés, immobilisés, ils n'avaient plus qu'une solution.
-Forcer le passage.
-Chez ceux qui n'avaient plus rien à perdre, la parole circulait.
-Chez ceux qui voulaient conserver, elle était comme gelée.
-Pas de dialogue possible.
-Encore moins d'échange.
Je me souviens que nous croyions aux chiffres, ceux des mathématiques, ceux de l'économie. Nous pensions qu'ils régnaient sur le monde, qu'il suffisait de les connaître - oserai-je dire de les déchiffrer ? Nous les considérions comme des sortes de divinités - un peu comme les Mayas qui associaient chaque nombre à un dieu - oubliant que nous les avions créés. Nous pensions qu'avec eux nous pourrions réguler le monde, repérer des règles et des lois, des cycles, gouverner les pays. Certains, grâce aux chiffres, vivaient mieux que d'autres, et j'en faisais partie. Nous croyions que l'avenir et les chiffres étaient liés.
Vous vous souvenez de l'époque, peut-être, où l'avenir faisait peur... Vous vous souvenez, peut-être, qu'insensiblement, au lieu de regarder en arrière pour nous assurer que le monstre ne nous suivait plus, et restait tapi bien au fond, dans la caverne du passé, vous vous souvenez peut-être que nous avons peu à peu commencé à scruter l'horizon avec une légère inquiétude, un sentiment de malaise, un pressentiment. Diverses formes se dessinaient, difficiles à distinguer, à identifier, mais l'espérance de l'avenir se troublait, comme la surface des eaux lorsqu'un vent léger se lève, qui se perçoit d'abord à peine, et puis qui se renforce, se confirme. Bientôt le doute ne fut plus permis. Il y avait bien quelque chose à l'horizon, une forme sombre, une essence inconnue, une silhouette animale... Quelque chose nous attendait et il était trop tard pour l'éviter.
On dit qu'il faut du temps pour que les choses se construisent, du temps pour édifier, pour bâtir - Je crois plutôt qu'il faut du temps pour détruire. Car il ne suffit pas de porter un coup, un seul, en un point stratégique, de repérer ce point faible, et de frapper, pour que tout s'écroule. Ce sont les coups répétés qui agissent, les atteintes progressives et multiples sans besoin de se concerter. Elles s'ajoutent les unes aux autres, elles s'accumulent pour converger vers un même effet. Après il suffit d'une simple poussée...
-Qu'espériez-vous ?
-Je vivais au jour le jour.
-Qu'attendiez-vous ?
-Que les choses changent.
-De quelle façon ?
-Je ne sais pas.
Rencontre animée par Julien Viteau
« Les Lettres dans la forêt courent tant bien que mal la poste d'avril à octobre 2021. À la parution d'Une Autobiographie allemande – en 2016 – nous sentions ne pas en avoir tout à fait terminé avec notre échange. C'est ainsi qu'est née l'idée d'écrire un autre livre, une correspondance, aussi, autour de la littérature, domaine peu abordé dans le premier livre. Nous nous sommes écrit des lettres, envoyées d'abord par la poste puis par la voie électronique, lettres soumises au grand désordre du confinement. Il y a eu des pauses, des reprises, d'autres pauses, des répétitions. Nous avons décidé de tout garder pour conserver la spontanéité de l'échange.»
Hélène Cixous, Cécile Wajsbrot
À lire – Hélène Cixous, Cécile Wajsbrot, Lettres dans la forêt, éd. L'Extrême contemporain 2022.
Lumière par Patrice Lecadre, son par Adrien Vicherat
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