Rouge comme neige

Quiconque croisait Brassard pour la première fois le rangeait tout de suite dans la catégorie des grosses brutes. Quelqu’un qui le connaissait vaguement essayait de déceler derrière cette énorme carcasse un gros nounours sympa. Et ses amis et collègues savaient que c’était un connard. Enfin, un gentil connard. Un gars à qui il ne fallait chercher de crosses, un gars avec qui il n’était pas franchement aisé de sympathiser. Il n’hésitait pas à jouer de son physique pour intimider, pendant et en dehors de son travail. Il aimait laisser planer autour de lui une sensation de danger pour quiconque voulait l’approcher ou lui parler. Certaines femmes trouvaient cela absolument irrésistible. Allyson détestait quand il jouait au caïd. Mais elle savait aussi que c’était un gars droit, honnête et fiable, pour les gens qu’il appréciait.

Oh, il y avait pire, comme endroit. Elle ne ramassait pas ici les pires clients. Plutôt les groupes d’étudiants qui venaient s’encanailler en ville pour un enterrement de vie de garçon, ou une fête de diplômés. Les bars à danseuses et les cinémas porno les attiraient comme des moustiques avec une lampe bleue, et les plus intrépides, en fin de soirée, voulaient souvent pousser la plaisanterie jusqu’au bout, et s’offrir la dernière petite gâterie, celle qui deviendrait une histoire mémorable quand ils ouvriraient leur cabinet d’avocats.

Il avait arnaqué plus de personnes qu’il n’aurait pu en nommer, mais il s’agissait de petites arnaques, une bagnole vendue un peu cher, un compteur kilométrique trafiqué, une réparation promise, facturée et bâclée. Rien de grave qui justifie ce guet-apens. Il avait fricoté avec les petits délinquants du quartier, fait quelques coups, quand il était plus jeune, mais ça datait. Un mari cocu ? Il avait constamment été prudent, et prenait la précaution de coucher avec la femme de gars moins costauds et moins hardis que lui.

Elle a été gâtée, comme tu peux l’imaginer. Elle est première dans toutes les matières, à l’école, et se met à la danse, même si apparemment elle a plus hérité de moi que de sa mère dans l’exercice de cet art. Malheureusement pour elle. J’essaie de la convaincre de se mettre au judo, mais elle n’a pas envie de se battre.

La rue était loin d’être son domaine. Il préférait les dossiers et les profils psychologiques. C’était un expert de l’interrogatoire, et un très fin analyste, mais sûrement pas un flic de terrain.