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Jean Launay (Traducteur)
EAN : 9782070385171
347 pages
Gallimard (05/05/1992)
4/5   169 notes
Résumé :
"Les Enfants Tanner" est le premier roman d'un "marginal" né en suisse il y a un siècle. Robert Walser, entré dans l'oubli bien avant sa mort en 1956, est revenu aujourd'hui au rang des plus modernes de ses contemporains, Franz Kafka, Robert Musil, Walter Benjamin.

"De tous les endroits où j'ai été, poursuivit le jeune homme, je suis parti très vite, parce que je n'ai pas eu envie de croupir à mon âge dans une étroite et stupide vie de bureau, même si... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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C'est pour mon attrait de l'oeuvre d'Hermann Hesse que mon libraire m'a conseillé ce livre, il me dit c'est dans la même veine. Et bien un grand merci je me suis régalée, découverte d'un auteur inconnu pour moi.
C'est le benjamin Simon qui nous raconte la vie de la fratrie des Tanner. Simon, personnage haut en couleur, subtil, n'ayant pas sa langue dans sa poche, se lie très facilement même s'il est un grand solitaire dans la vie, il nous fait part de ses errances, de ses valeurs humaines et sociales - qui ne seront peut être pas du goût de tout le monde - Il a trois frères, l'aîné Klaus scientifique, homme respectable qui veille de loin sur les plus jeunes, Kaspar l'artiste de la famille, il est peintre, Emil dont ne saura que peu de chose et surtout sur la fin du livre, et pour finir la soeur Edwige, institutrice, toujours présente et disponible, nous les rencontrons et les découvrons tout au long de ce roman.
J'ai beaucoup apprécié ce roman, son humour, les réflexions que je partage sur le travail, la vie, un personnage excentrique, attachant, humain, de beaux passages aussi sur la nature, j'ai été séduite par ce roman et je vais fouiller un peu plus l'oeuvre de Robert Walser.
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Un vaurien en vadrouille. C'est ainsi que se définit Simon, le héros des quatre enfants Tanner.
Simon est incapable de conserver un emploi.
Incapable ?
Voilà bien une explication qu'aurait prononcée Klaus le frère aîné si raisonnable. Balayée d'un revers de main par Simon déniant définitivement toute tentative de compromis avec ce triste frère.
Simon parle, monopolise la parole dans de longs monologues.
On l'écoute, avec la satisfaction de pouvoir enfin le comprendre et puis, tout déraille. Il fait volte-face et amorce un grand écart, il nous égare.
Il se comporte comme un enfant accumulant résolutions sans lendemain, décisions brusques et fantasques.
Voila un  livre déroutant et rédiger un avis ne s'apparente pas à une sinécure.
Dès que l'on cherche un sens,  des arguments contradictoires viennent démentir toute tentative.
- Simon est velléitaire  mais ses résolutions restent fermes ;
- Il s'enivre sous des flots de parole ininterrompues, sans cohérence forte, un peu comme de l'écume qui mousserait  et qu'on ne pourrait endiguer ou au contraire il nous assène des tirades où tous les possibles sont là mais aussi ...toutes les échappatoires ;
- Il est porté vers la rêverie et une vie idyllique mais confesse aussi son goût pour une vie modeste et ordinaire ;
- Il fait constamment preuve d'une mauvaise foi tranquille, de désinvolture, teintée d'humour et de panache mais souffre aussi de sa légèreté...
Une belle écriture qui nous associe à de délicats moments, des instants fugaces, des flottements, empreints d'étrangeté et de bonheur.
Une lecture exigeante. Il y a de quoi mettre en doute l'idée même de rationalité et la plus grande erreur serait peut-être de la rechercher. Ce serait précisément ce que fuit plus que tout Simon.
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Au moment de refermer ce livre, je me pose la question de ce que je viens de lire. Est-ce un roman? Pas vraiment. Ou alors d'un genre particulier.
Par certains côtés, il me fait penser à Bartelby, que j'ai lu récemment. le personnage principal est inadapté comme Bartleby et hante par éclipses les bureaux où il est commis aux écritures. Mais là s'arrête la comparaison, car Simon Tanner (c'est lui le personnage principal) parcourt bien d'autres milieux et surtout parle abondamment de lui, soit dans des discours adressés à d'autres, soit dans un monologue intérieur.
Simon Tanner est un jeune homme qui n'arrive pas à s'adapter au monde dans lequel il vit mais il n'en conçoit aucune amertume. Quand il est employé quelque part, il y reste peu de temps, il s'ennuie, ou devient insolent, et il est vite congédié.
Il fait partie d'une fratrie variée que je vous laisse découvrir. Il vaut mieux ne pas trop en parler d'avance. Il aime beaucoup les milieux naturels: montagnes, forêts, campagne, paysages enneigés. Mais il ne dédaigne pas non plus les villes. Il cherche sans cesse à se fixer, mais n'y arrive jamais. Il a quelques relations avec des femmes mais pas de liaisons à proprement parler. Pourtant la rédemption viendra peut-être par les femmes. Mais est-ce prudent de tout miser là-dessus?
Robert Walser a produit un écrit vraiment atypique. Son écriture est très belle, mais fort lisse, et j'ai souvent manqué d'accroche dans cette suite de réflexions sur la vie. Ses personnages sont inadaptés, chacun à leur manière, mais avec bienveillance pour les humains et pour le monde. On y trouve peu de rébellion.
Cela laisse un peu perplexe, comme ce fut le cas des premiers lecteurs de Walser. C'est très beau, mais il manque quelque chose pour nous toucher. Pour autant, je ne regrette pas du tout cette lecture.
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«Les enfants Tanner» écrit en 1907, est une caresse à l'âme, et je me demande comment un homme de vingt-sept ans a pu écrire pareil livre.

On suit le jeune Simon Tanner, 20 ans, tout au long de son parcours initiatique : de chemins en chemins, de rencontres en rencontres, d'emplois en emplois. C'est un oiseau libre et généreux, un peu arrogant mais accommodant, paresseux et laborieux à la fois. Pour vivre il fait des petits travaux d'écriture, s'emploie à rendre service aux gens qui l'hébergent (ménage et cuisine chez sa soeur institutrice, soins à un petit malade chez une bourgeoise, cireur de chaussures, repasseur). Il est respectueux mais jamais n'aliène sa liberté qui consiste à ouvrir son âme avec sincérité à tout être humain sur son chemin. Il s'ensuit de magnifiques envolées sur l'amour fraternel et l'amitié, sur les paysages suisses, sur l'état de domestique, sur les saisons, sur la vie dont on reste débiteur en raison des joies, bien sûr, mais aussi en raison des lots de souffrances qu'elle nous accorde, car elle ne cesse de nous apprendre la diversité du monde. Simon Tanner cultive la curiosité et l'appétit de vivre comme l'un des beaux arts.
Car il se considère comme le débiteur de la vie qu'il aime passionnément mais qu'il est prêt à quitter à tout instant pour en préserver les imprévus, les grâces, les échecs (existent-ils ?), les malheurs, la beauté.

A travers lui nous faisons la connaissance de sa famille (trois frères et une soeur), de l'amoureuse de son frère, de sa logeuse, d'un poète, d'employeurs divers, d'inconnus croisés sur la route. Tous parlent de leur existence et révèlent une facette du monde qui est celui de Robert Walser. Tous sont Robert Walser.

C'est un drôle de roman. Certes, il comporte quelques longueurs, l'auteur le reconnut lui-même plus tard. On a parfois l'impression qu'il y a une maladresse de construction quelque part : chaque personnage semble venir à tour de rôle de façon un peu artificielle nous dire son univers, ses craintes, ses amours. L'auteur a voulu tout mettre dans ce texte, ce qu'il est, ce qu'il ressent, ce qu'il voit : la place d'autrui, de l'Art, de la Nature dont il est éperdument amoureux (encore, comme dans "Le commis" les lacs, le bleu du ciel, les tons dorés, les arbres, la neige… l'amour du printemps, la crainte de l'hiver et de sa beauté dangereuse, la Montagne…) Et puis cette maladresse même devient un charme, elle envoûte, on a le sentiment que comme ses personnages, Walser se livre nu, sans apprêt, sans affectation, avec juste l'art qu'il faut pour transformer la vie en art, sans se soucier des imperfections secondaires qu'il ne convient pas de trop raboter pour conserver au roman son élan, sa spontanéité et sa grâce.

Que dire de la figure du jeune poète, que Simon, au cours d'une randonnée en montagne, trouve mort de froid dans la neige et auquel il adresse l'une de ses amicales méditations intérieures ? Troublante préfiguration dès 1907 de sa propre fin, survenue cinquante ans plus tard : on découvrit en effet le corps de Robert Walser le jour de Noël 1956, allongé sur un tapis de neige, alors qu'il était sorti seul pour une simple promenade. A-t-il pensé en s'endormant dans l'hiver à son jeune poète des enfants Tanner ? Probablement, puisque ce jeune poète, c'était déjà lui-même. On peut croire qu'il estimait avoir assez vécu, à l'âge de 78 ans, dont 27 passés en maison de santé.

Il faut lire «les enfants Tanner» avec réceptivité et amour.
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Bien que le titre suggère au moins deux personnages à cette histoire: Les enfants Tanner, nous allons
surtout suivre le parcours de Simon Tanner.
Simon, issu d'une famille nombreuse et aisée,à presque 20 ans, décide de voyager de villages en villages , et de villes en villes, à la recherche de sensations, il a adopté très naïvement du reste, une philosophie de la vie qui consiste à dire :" eh, bien je suis jeune , pourquoi "croupir" derrière un bureau
quand la nature richement embellie et changeante à chaque saison , me tend les bras, quand les hommes sont si amusants à côtoyer, et fort de ces principes, nous allons le suivre au cours de ce voyage naïf et initiatique. C'est un adolescent en quête de reconnaissance, un homme à peine sorti de l'enfance qui se cherche et cherche sa place dans cette société toujours en mouvement.
C'est le roman d'un "marginal qui projette sur la société un regard très philanthropique quitte à se rabaisser lui-même, tout en se "targuant d'être très intelligent (complexe de supériorité , aurait dit ma
"Prof" de philo.).Et puis de temps en temps , faute d'argent, Simon trouve un travail.mais il choisira son départ en toute liberté.
C'est avec patience et douceur qu'il faut lire cette histoire, en essayant de la replacer dans le contexte de l'époque du grand romantisme allemand.
Patience, parce que beaucoup de descriptions de la nature, au demeurant, fort belles, et un jeune Simon souvent en introspection, de longs chapitres et des bavardages un peu "philosophiques,"mais tendres, lors de son séjour chez sa soeur institutrice.
Robert Walzer, est comme le funambule sur un fil, sa folie n'est pas loin et j'ai resssenti ce côté exagéré et extatique, lumineux? Peut-être un peu trop? qui lui vaudront un internement dans l'asile de
Hérisau en 1933 jusqu'à sa mort en 1956.Retrouvé mort de froid, par des enfants, au bord d'une route,certainement suite à une de ses nombreuses promenades qu'il faisait dans la nature.
Ah, fragilité de l'esprit lorsqu'on est poète! .
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Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Il y a là quelque chose de fier et d'élevé, mais quelque chose aussi d'incompréhensible et de presque inhumain. Pourquoi donc tous ces gens, qui écrivent ou qui comptent, et même des filles toutes jeunes parmi eux, passent-ils par la même porte du même immeuble et viennent-ils gratter, essayer des plumes, compter et gesticuler, tirer la langue et se moucher le nez, tailler des crayons et porter des papiers? Est-ce qu'ils aiment ça, est-ce qu'ils y sont forcés, ont-ils l'impression de faire quelque chose de raisonnable et de productif? Ils viennent de toutes les directions, certains arrivent même par le train de lieux éloignés, ils dressent l'oreille pour savoir s'ils ont encore le temps de faire une petite promenade avant d'entrer, ils sont si patients dans tout cela, une patience de moutons, et puis le soir ils se dispersent, chacun dans sa direction, pour se retrouver tous le lendemain à la même heure. Ils se voient, ils se reconnaissent à leur pas, leur voix leur manière d'ouvrir la porte, mais il n'ont guère affaire ensemble. Ils se ressemblent tous et sont pourtant tous l'un pour l'autre des étrangers, et si l'un d'entre eux meurt ou détourne des fonds, ils s'en étonnent pendant une matinée et puis tout reprend son train. Il arrive qu'il y en ait un qui soit frappé d'une attaque alors qu'il était en train d'écrire. Qu'aura-t-il donc eu de ces cinquante ans pendant lesquels il aura * travaillé * dans la maison? Cinquante ans durant, il est entré et sorti chaque jour par la même porte, il a employé des milliers de fois la même formule dans des millions de lettres, il a porté un certain nombre de nouveaux costumes et s'est souvent étonné d'user si peu de paires de chaussures dans l'année. Et maintenant? Pourrait-on dire qu'il a vécu? Et des millions d'hommes ne vivent-ils pas comme lui? C'étaient peut-être ses enfants le sens de sa vie? Peut-être sa femme faisait-elle tout le plaisir de son existence? Oui, c'est bien possible. Je ne veux pas me donner l'air d'en savoir plus sur ces choses-là, car je me dis que je suis encore bien jeune.
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Les gens sans défense n’excitent que trop souvent chez les forts l’envie de leur faire mal. Sois donc heureux de te sentir fort et laisse les plus faibles en paix. Ta force paraît sous un bien mauvais jour, quand tu t’en sers pour tourmenter les faibles. Cela ne te suffit donc pas d’avoir toi-même les deux pieds sur terre ? Faut-il encore que tu en poses un sur la nuque de ceux qui vacillent et qui cherchent, pour qu’ils s’égarent encore davantage et coulent plus bas, toujours plus bas, jusqu’à désespérer d’eux-mêmes ? Faut-il donc que la confiance en soi, le courage, la force et la détermination commettent toujours le crime d’être brutal, d’être sans pitié et sans délicatesse à l’égard d’autres qui ne sont pas même un obstacle sur leur chemin, qui sont simplement là à écouter avec envie ce bruit que font la gloire, les honneurs et la réussite des autres ? Est-ce noble, est-ce bien d’offenser une âme en proie aux rêves ? Les poètes sont si vulnérables : alors vous autres, ne blessez jamais les poètes.
Chapitre 5, p64
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[…] quelle splendeur, un homme nu en bonne santé ! Quel bonheur, être débarrassé de ses vêtements, être tout nu ! C’est déjà un bonheur d’être mis au monde, et ne pas en avoir d’autre que d’être en bonne santé est encore un bonheur qui dépasse en éclat les pierres les plus précieuses, les plus beaux tapis, les fleurs, les palais et toutes les merveilles qu’on voudra. La plus merveilleuse des merveilles, c’est la santé, c’est un bonheur auquel on ne peut rien ajouter qui lui soit comparable […] À ce bonheur complet et magnifique, si l’on consent à le reconnaître dans ce corps nu, lisse, mobile et chaud que nous avons reçu de la vie terrestre, il faut bien que quelque chose fasse contrepoids : le malheur ! Il nous empêche de déborder, il nous donne une âme. Il prépare notre oreille à entendre le beau son que cela fait quand l’âme et le corps, mêlés l’un à l’autre, passés l’un dans l’autre, respirent ensemble.
Chapitre 14,p183
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incipit :
"Un beau matin, un jeune homme ayant plutôt l'air d'un adolescent entra chez un libraire et demanda qu'on voulût bien le présenter au patron. Ce que l'on fit. Le libraire, un vieil homme très digne, dévisagea avec attention ce garçon qui se tenait devant lui un peu gêné, et l'invita à parler. « Je veux être libraire, dit le jeune homme, c'est une envie que j'ai et je ne vois pas ce qui pourrait m'empêcher de la suivre jusqu'au bout. je me suis toujours imaginé le commerce des livres comme quelque chose de merveilleux, un bonheur, et il n'y a aucune raison pour que j'en sois privé plus longtemps. Regardez, monsieur, comme je suis là devant vous, je me sens une extraordinaire aptitude à vendre des livres dans votre magasin, en vendre autant que vous pourriez souhaiter. Je suis un vendeur-né : affable, vif, poli, rapide, parlant peu, décidant vite, comptant bien, attentif, honnête, mais pas non plus aussi bêtement honnête que j'en ai peut-être l'air. Je sais baisser un prix quand j'ai affaire à un pauvre diable d'étudiant et je sais aussi le faire monter s'il ne s'agit que de rendre service aux riches, dont je vois bien que parfois ils ne savent que faire de leur argent. Je crois malgré mon jeune âge posséder une certaine connaissance des hommes. D'autre part, j'aime les hommes, si différents soient-ils : je ne me servirais donc jamais de ma connaissance des hommes pour avantager l'un plutôt que l'autre, pas plus que mes concessions aux pauvres diables n'iraient jusqu'à nuire à l'intérêt de vos affaires, monsieur. En un mot : sur ma balance de vendeur l'amour des hommes sera en parfait équilibre avec la raison commerciale, laquelle me paraît tout aussi importante et nécessaire à la vie qu'une âme aimante et généreuse. Je saurai trouver le juste milieu, soyez-en dès maintenant convaincu. »
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J’aime la vie, mais pas pour y faire carrière, bien que ce soit une chose si formidable, à ce qu’il paraît. Qu’est-ce qu’il y a de si formidable là-dedans ? Des dos voûtés avant l’âge à force de rester debout devant un pupitre trop bas, des mains ridées, des visages blêmes, des pantalons en tire-bouchon, des jambes tremblantes, de gros ventres, des estomacs ravagés, des crânes dégarnis, des yeux mauvais, agressifs, racornis, vitreux, éteints, des fronts dévastés et le sentiment avec tout cela d’avoir été un irréprochable crétin. Merci bien. Je préfère rester pauvre et avoir la santé ; plutôt qu’un logement de fonctionnaire, je préfère une chambre pas chère, même si elle donne sur la ruelle la plus sombre, j’aime mieux les ennuis d’argent que l’ennui de me demander où je pourrais bien aller passer l’été pour rétablir ma santé ébranlée ; il est vrai qu’il n’y a qu’une personne au monde qui m’estime, à savoir moi-même, mais c’est précisément l’estime qui me tient le plus à cœur, je suis libre et chaque fois que la nécessité m’y oblige, je peux vendre ma liberté quelque temps et redevenir libre ensuite. Cela vaut la peine d’être pauvre, rester libre.
Chapitre 15, p195
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Thilo Krause est né à Dresde, en ex-Allemagne de l'Est, en 1977. Il est l'auteur de trois recueils de poèmes, tous primés. Presque étranger pourtant est son premier roman, lauréat du prix Robert Walser. Thilo Krause a l'art de traduire physiquement les émotions avec une précision et des images à couper le souffle.
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