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Critique de NMTB


NMTB
19 décembre 2014
Quel bonheur de retrouver Robert Walser ! Ces longues tirades où la franchise éclate dans la plus froide politesse, cette joie du présent toujours renouvelée, ces promenades ravissantes où la beauté de la nature est méticuleusement décrite, cette acceptation de la vie dans son ensemble, cette étrange soumission qui n'est que douce et forcenée révolte face à la négation de la liberté. Walser le promeneur, l'insaisissable, l'intraitable !
Tout d'abord, il n'y a pas d'intrigue dans « Les enfants Tanner », pas de drame. C'est une suite d'évènements qui tombent abruptement, comme du ciel, sans transitions. C'est à peine l'histoire de Simon Tanner, un jeune homme d'une vingtaine d'années, au caractère instable et volontairement insouciant. Il passera par plusieurs petits boulots, sans jamais s'enchaîner, et finira copiste, comme Bartleby. Et Simon a d'ailleurs la même élégante intransigeance et la même profondeur insondable que Bartleby, bien qu'il soit beaucoup plus bavard et moins tragique. Et si on pouvait lui poser la question, je suis à peu près certain que lui aussi, « préfèrerait ne pas ».
D'autres personnages interviennent (en particulier les frères et la soeur de Simon), se trouvent sur son passage, entretiennent des relations avec lui, mais finalement tout l'intérêt de ce livre réside plutôt dans les longs discours des différents personnages qui reflètent tous la vision du monde de Robert Walser. La fratrie Tanner est sans doute très inspirée par la fratrie Walser, et l'histoire du livre par la vie que menait l'auteur dans sa jeunesse : les hésitations d'un jeune homme face à l'existence. Mais il y a déjà dans ce premier roman toute l'originalité de Walser, tout le bonheur que l'on peut ressentir à le lire.
Le bonheur décrit par Walser n'est en rien stupide et ne ferme pas du tout les yeux devant le malheur. Il en a profondément conscience, il comprend parfaitement les gens malheureux, sans nulle pitié pourtant mais avec une vraie fraternité. Et si l'on voulait esquisser une métaphysique de sa pensée, on pourrait même affirmer qu'au fond, mais très au fond, là où Walser juge, apparemment, inutile de s'attarder, il pense que l'homme est un être voué à la fatalité, à un destin malheureux d'esclave. Cependant le bonheur et le malheur sont liés chez lui, inséparables. Impossible de ressentir l'un sans l'autre. Il y a des paradoxes dans le comportement de Simon Tanner : ses colères sont caressantes, sans haine, sa pauvreté est pleine de fierté, sa liberté passe par une drôle de soumission et même une joie d'être puni. Tous ces paradoxes se résolvent dans la simple, tranquille et douce volonté. La volonté d'être libre et heureux.
Je note juste au passage que Walser a, dans ce livre, de troublantes prémonitions sur ce que sera sa vie et sa mort.
J'ai appris dans la postface qu'il écrivait très vite (moins d'un mois pour Les enfants Tanner !) et qu'il se corrigeait peu. Il admettait aussi qu'il y a des longueurs dans ce livre. Aussi, je conseillerais plutôt au lecteur qui ne connait pas cet écrivain, cet homme, magnifique, de commencer par « La promenade », plus court, et qui contient beaucoup d'images et de réflexions communes avec « Les enfants Tanner ». Il en est la quintessence, lavée de l'excès psychologique, peut-être. Et à coup sûr, si « La promenade » est un ravissement, « Les enfants Tanner » sera passionnant.
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