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Critique de berni_29


Si vous vous rendez-là-bas, vous ne pourrez pas vous tromper, c'est La Dernière Maison avant les bois.
C'était la seule indication que j'avais, peu rassurante du reste, je n'ai jamais aimé les maisons trop près des bois, elles me font peur…
J'ai commencé par entendre des voix, des voix tout d'abord solitaires comme si elles se parlaient à elles-mêmes, ou bien à nous, un peu comme une confidence. Et brusquement elles ont commencé à se mêler les unes aux autres. Cela ressemblait à l'écho de la lumière qui se promène par ricochet entre les branches des arbres d'une forêt et qui nous saisit lorsqu'on s'y perd pour la première fois…
Certaines de ces voix me sont devenues vite très familières, d'autres plus singulières m'ont étonné…
Ce sont des voix qui parlent, chuchotent, doutent, tremblent, elles viennent à nous ou bien n'est-ce pas plutôt nous qui venons à elles, franchissant les obstacles qui nous séparent d'elles et qu'on croyait insurmontables... Parfois elles rebondissent l'une à l'autre comme si à leur tour elles se parlaient…
Ces voix sont multiples, différentes, pourtant elles ne sont qu'au nombre de quatre, mais c'est à croire qu'elles se multiplient comme le pouvoir d'un kaléidoscope qui réfracte la lumière.
On dit qu'une petite fille aurait disparu tout près de là, au bord d'un lac, il y a onze ans. On dit que Ted le propriétaire de la dernière maison avant les bois aurait tout d'abord été suspecté, puis disculpé tout aussi vite… Il faut dire que son comportement bizarre en ferait un coupable idéal.
On dit que la soeur aînée de la petite fille disparue ne croit pas à son innocence. Elle a grandi avec le poids de cette disparition comme une déflagration qui n'en finit pas, l'empêchant désormais de vivre sereinement. C'est peut-être pour cela qu'elle vient d'emménager dans le quartier, rue Needless, dans la maison voisine, mais moins près des bois…
C'est une petite bourgade ordinaire de l'Oregon...
Je me suis tout d'abord demandé pour quelles raisons toutes les fenêtres du rez-de-chaussée de cette maison étaient barricadées. Ce sont des rangées de planches pointées horizontalement, mais qui laissent peut-être passer quelques rais de lumière au travers. Est-ce à cause de la peur qu'elle soit un jour cambriolée ? Elle est si près des bois…
Cette maison devient vite obsessionnelle comme si à sa manière elle amplifiait les voix qu'on entend, leurs mots, leurs peurs, leurs échardes… Est-ce que les herbes du jardin sont seules à être folles ?
Et si l'intériorité de cette maison impénétrable ne résidait pas simplement entre ses murs ?
J'aurais voulu pouvoir suivre les pas de la petite chatte Olivia à laquelle je me suis attachée parce qu'elle apporte du réconfort aux personnages de l'histoire. Elle semble ne pas pouvoir s'échapper de cette maison, sans doute parce que le monde extérieur est si dangereux… Heureusement pour le lecteur que nous sommes, elle nous tient au courant de tout ce qui s'y passe…
Dès les premières pages, j'ai été pris à la gorge, saisi dans la nasse de l'intrigue.
Ce roman aux accents gothiques sonne comme un sortilège, nous sommes ici à la lisière du récit onirique, à quelques encablures d'un monde qui échappe totalement à la raison.
J'ai oscillé dans ces pages étranges dans de multiples facettes et visages, entre thriller psychologique, roman horrifique, conte fantastique…
Il y a quelque chose qui tient du huis-clos, mais un huis-clos à géométrie variable, tantôt l'oeil du cyclone est dans la maison, tantôt il est dans les bois tous proches…
De ce va-et-vient incessant, nos pas ne peuvent s'en défaire.
Mais qui est Ted ? Quel est ce temps de l'enfance obsessionnel qui semble entrer par effraction dans le récit du présent ? Qu'est devenue cette mère possessive ? Et ce père né à Locronan, qui jadis convoquait l'Ankou lorsqu'il racontait des histoires au petit Teddy ? Mais oui, c'est aussi un des mystères de ce récit… Je ne vais pas me priver de vous l'évoquer…
L'ambiguïté du personnage de Ted est abyssale, magnifiquement écrite, invitant au vertige d'un labyrinthe.
Est-ce que Ted vit seul dans cette maison alors qu'on entend des voix qui s'en échappent puisqu'elles nous parlent ? Que va-t-il faire de temps en temps dans les bois ? Que sont devenus les oiseaux de ces bois que j'aimerais tant entendre chanter ?
Comme il est dit quelque part, la lecture de ce thriller est une expérience éprouvante, inquiétante, presque malsaine parce qu'elle nous invite à regarder au travers des fentes des planches disjointes qui barricadent les fenêtres de la maison. Nous écoutons aux portes, nous devenons voyeurs. Nous entrons à notre tour dans cette maison par effraction… C'est terriblement excitant, délicieux presque, vertigineux sûrement, ce caractère obsessionnel qui ne nous lâche plus jusqu'au dénouement final.
Ce premier roman est d'une qualité remarquable, l'écriture de l'autrice, Catriona Ward, dont c'est le premier roman, est à la fois poétique et construite comme une partition chorale qui n'en finit pas de pianoter sur nos nerfs. Mais dans ces voix qui semblent parfois venir de très loin, il y a comme une tendresse blessée qui sait nous broyer le coeur. Au prétexte d'un thriller psychologique dont le point de départ est un fait divers ordinaire, elle déplie toutes les possibilités d'un roman jusqu'au vertige qui habite chaque personnage. J'ai trouvé son approche narrative très inventive.
Je remercie Babelio et les éditions Sonatine qui m'ont permis de lire ce récit envoûtant dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
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