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Certains chefs-d'oeuvre sont difficiles d'accès. Ce n'est pas le cas de Tous les hommes du roi, un roman sublime de bout en bout. J'ai été emporté d'emblée. Dès la première page, une route, toute droite, se déroule à l'infini au travers des paysages sauvages et incandescents du Sud des Etats-Unis, et sur cette route, une Cadillac noire fonce à tombeau ouvert. A bord, quelques-uns des personnages hauts en couleur du roman : le Boss, homme-clé autour duquel est bâtie l'intrigue ; Lucy Stark, sa femme ; l'obèse Tiny Duffy, souffre-douleur patenté ; le bègue et malingre Sugar Boy, chauffeur porte-flingue. Et Jack Burden, un fils de famille, journaliste éphémère reconverti dans un job d'homme de confiance. C'est lui le narrateur du roman.

L'action principale se développe à la fin des années trente. Willie Stark, dit le Boss, est un homme politique atypique. Petit agriculteur à la détermination farouche, il se présente aux élections dans l'intention de lutter contre la corruption et le chantage qui gangrènent l'Etat. Révélant un véritable talent de tribun, il est élu Gouverneur. Mais dans l'exercice du pouvoir, il se montre populiste et autoritaire, son cynisme l'amenant finalement à penser que corruption et chantage sont des moyens acceptables pour parvenir aux fins qu'il juge bonnes pour le peuple. Il est convaincu que le bien ne peut naître que du mal.

Jack Burden raconte par le menu l'histoire de Willie Stark qu'il accompagne jusqu'aux circonstances qui mettront fin tragiquement à son parcours. Les missions délicates, parfois indignes, dont il se charge pour le compte du Boss, ainsi que son observation lucide et ironique des personnages du roman, l'amènent à se pencher en même temps sur lui-même et sur sa propre histoire. Apte à juger, mais incapable de se résoudre à intervenir, il observe sans réagir les manipulations et les événements qui conduiront à trois drames tragiques. Il lui faudra du temps pour comprendre qu'il n'appartient qu'à lui de s'assumer et de donner un sens à sa vie.

Impossible de ne pas citer les autres personnages : Adam Stanton, le chirurgien pianiste, idéaliste, intransigeant et incontrôlable ; sa soeur Anne, amour de jeunesse de Jack, qui, comme ce dernier, peine à trouver sa voie ; Sadie Burke, une femme dévouée au Boss, dont l'activisme masque une frustration physique ; le juge Irwin, figure emblématique de la rigueur morale, sauf que… Sans oublier madame Burden mère, une ancienne beauté menant grand train.

La construction du roman est complexe et très finement conçue. Malgré leur diversité, les péripéties, parfois brutales et surprenantes, s'enchaînent presque logiquement tout au long des six cent quarante pages du livre. Comme si, justement, tout était écrit d'avance. L'auteur soulève de profondes réflexions philosophiques sur la fatalité, le secret, la trahison, le péché, la culpabilité. Une culpabilité propre à chacun, mais également collective dans un Sud hanté par ses démons du passé : l'esclavage, le racisme et la guerre perdue contre les Yankees.

La plume de Robert Penn Warren est éblouissante. Les journées brûlantes et les nuits étouffantes de la Louisiane donnent lieu à des images sans cesse renouvelées, toutes d'un lyrisme époustouflant. Dans son rôle de narrateur, Jack Burden use d'un ton décalé et fait mine de prendre à témoin un interlocuteur qu'il tutoie ; on ne sait pas s'il s'adresse au lecteur ou à lui-même, mais l'effet est percutant. Les nombreux personnages, dont les traits de caractère sont ciselés avec une certaine férocité, jouent des scènes captivantes dont les dialogues, alliant burlesque et gravité, sont dignes des meilleures séries noires. La traduction, revue à l'occasion d'une publication en 2017 par les éditions Monsieur Toussaint Louverture, mérite d'être saluée, car elle transpose à la perfection le langage populaire que l'on imagine dans le Sud profond.

Deux fois porté à l'écran, Tous les hommes du roi a été aussi à plusieurs reprises adapté pour le théâtre. le roman, pour lequel je confirme et j'assume tous les superlatifs de ma chronique, avait valu en 1947 à son auteur, le poète et romancier Robert Penn Warren, le prix Pulitzer de la fiction.

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Poursuite de mes rattrapages d'été en catégorie pavés, avec Tous les hommes du roi, de Robert Penn Warren - traduit par Pierre Singer - récompensé par le Pulitzer en 1947.

Tous les hommes du roi est le livre aux deux héros : Willie Starck d'abord, jeune juriste naïf et maladroit, appelé après avoir perdu ses illusions et gravi quelques marches à devenir le Boss politique de la Louisiane, caïd désabusé, pragmatique et philanthrope.

Face à des adversaires politiques de l'ancien monde (déjà à l'époque…), il prône le dégagisme des corrompus et des fainéants, ne demandant pas qu'on l'aime mais qu'on ne le juge qu'à son efficacité. Populiste avant l'heure, la fin justifie toujours les moyens, quels que soient ceux qu'il emploie.

Puis Jack Burden, journaliste et historien devenu indispensable au Boss. Ni bras droit, ni factotum, pas mêmeporte-flingues, Burden est à la fois son ambassadeur, sa conscience ou son sherpa. Une conscience qui a sa propre conscience et qui s'interroge sans cesse au fur et à mesure de l'irrésistible ascension du Boss sur ses propres places et rôles.

À travers ses relations avec les autres – Adam l'ami d'enfance idéaliste, Anne l'amoureuse platonique, mais aussi sa mère au relationnel complexe ou le juge Irwin voisin et protecteur - Burden se confronte au renvoi de sa propre image, changeante au fil des étapes, et à l'acceptabilité personnelle de cette évolution.

Tragédie moderne de haut vol mêlant saga politique au long cours, intrigue à rebonds, contexte historique documenté et réflexions philosophiques sur la responsabilité individuelle et collective ou la destinée, Tous les hommes du roi est un grand livre. Un très grand livre. de ceux dont tu ne peux te décoller et que tu termines à la fois heureux de la découverte et frustré de ses 640 pages finalement bien trop brèves.

Warren écrit avec une délicieuse élégance, mélangeant les longs paragraphes léchés et descriptifs destinés à fixer le cadre, avec les digressions politiques ou sociétales éveillant l'intérêt autant que la conscience historique du lecteur, avant de raviver son attention avec quelques dialogues secs et directs venant casser l'effet pavé du tout. C'est un chef d'oeuvre d'équilibre littéraire, qui explique sans aucun doute le succès de ce livre depuis tant d'année, sans aucun ravage du temps. Alors si ça n'est déjà fait, on se précipite !
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Quel roman !
Si l'une des oeuvres de fiction suivantes vous a déjà conquis, alors « Tous les hommes du roi » (Prix Pulitzer 1947) est pour vous : Gatsby le magnifique, Citizen Kane, Il était une fois en Amérique, L'homme qui voulut être roi… Il y a même à parier que les créateurs du machiavélique « House of Cards » se sont inspirés de Robert Penn Warren.
Le sujet principal du livre est l'ambition, cette prétention bien ordonnée qui naît dans le cerveau d'un homme, aussi bouseux soit-il – c'est le cas de notre homme, Willie Stark. Son bras droit, Jack Burden, raconte son histoire, celle d'un homme venu de nulle part qui - thématique bien américaine – arrive au sommet. Par la voix de Burden, l'auteur montre qu'avec la meilleure volonté du monde, il est impossible d'accéder au pouvoir sans se salir les mains. le vice et la vertu sont des frères jumeaux issus d'un même spasme. Tôt ou tard, ils se rejoignent et bien téméraire celui qui les distinguera, au risque de subordonner la morale et de la voir se retourner contre lui. Personne n'en réchappe. « L'homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul. Il y a toujours quelque chose ». À tout moment, on peut trébucher : « Pour quelles raisons, en dehors du péché originel, un homme peut-il s'écarter du droit chemin ? Je répondis : l'ambition, l'amour, la peur, l'argent ».
Je n'ai pas trouvé ce roman cynique parce que l'idéalisme, pour autant volatile, est omniprésent, que l'abject est tenu à distance respectable du lecteur et que l'ambition n'est pas intrinsèquement destructrice.
La précision des portraits et des paysages est à tomber par terre (ex : p11, p350). La profondeur des réflexions (ex : p20, p340), la justesse et la drôlerie des images (ex : « Elle se figea comme si son porte-jarretelles avait lâché en plein milieu de la messe ») m'ont conquise.
Encore un roman bestial et magistral réédité par Monsieur Toussaint Louverture, qui m'avait déjà régalée avec « Karoo » dans la même collection « Les grands animaux ».
Bilan : 🌹🌹🌹
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C'est pour des livres comme ça que Babelio devrait créer la 6eme étoile.

Hors de question que je m'essaye à la critique de ce livre. Ce roman est bien trop grand, bien trop monumental pour que j'essaye en quelques mots d'en retranscrire toute la complexité, toute la puissance dramatique et toute la richesse narrative.

Je pourrais vous le présenter comme un roman sur la politique - voire même comme le roman par excellence sur la politique - ou bien comme une saga épique, biblique, humaine. Mais aucun des deux pitchs ne rendrait compte de la force du propos, de la profondeur d'analyse et de l'immense qualité littéraire de ce texte fascinant.

C'est le genre de livre dans lequel on s'enfonce, mais dans lequel on ne se perd jamais. le genre de livre qui t'accompagne longtemps après l'avoir refermé. C'est un roman métaphysique !

Je suis au delà du coup de coeur, je suis terrassée.
On lit quoi après ça ? Tout risque de sembler bien fade, bien insipide.

Traduit par Pierre Singer
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Premier livre de Robert Penn Warren traduit en français, c'est donc une totale découverte pour moi.
États-Unis des années 30, c'est l'histoire de l'ascension au pouvoir d'un homme sorti de l'univers qu'il nomme lui même "les culs terreux". Journaliste, Jack Burden est le narrateur et assistant (bras droit ? Confident? Ami?) de ce Willie Stark qui compte bien prendre sa revanche sur la vie en accédant au pouvoir. Autour de ce personnage haut en couleur, gravitent différents personnages qui lui sont liés d'une façon ou d'une autre.
Dans cet univers se côtoient la corruption, le chantage, les intérêts divers, les envieux, et bien entendu les histoires et parcours personnels qui font que tous ont de multiples raisons d'agir comme ils le font.
Ce livre est passionnant parce qu'il nous emmène dans une autre époque pas si lointaine qui a sans aucun doute bien des points communs avec la nôtre.
La quête de vérité du narrateur, les coulisses du pouvoir, tout ceci est écrit avec un style littéraire foisonnant et poétique, la tension du récit s'étire tout au long des 600 pages et je ne me suis pas ennuyée un seul instant.
Robert Penn Warren est un grand écrivain qui marque son temps, il est à découvrir.
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Le gouverneur Willie Stark, dit le Boss, n'aime pas que l'on contrecarre ses projets politiques. Quand le très intègre juge Irwin soutient un autre candidat que celui du Boss pour le poste de député, il ne sait pas qu'il court à sa perte. « Il y a toujours quelque chose à déterrer. / Peut-être pas avec le juge. / L'homme est conçu dans le péché et élevé dans la corruption, il ne fait que passer de la puanteur des couches à la pestilence du linceul. Il y a toujours quelque chose. [...] Et débrouille-toi pour que ça pue. » (p. 62) C'est le narrateur, Jack Burden, qui est chargé par le gouverneur de trouver de quoi incriminer le juge. Ce faisant, il se confronte à son propre passé et met en branle une terrible mécanique qui va broyer des innocents et des coupables, sans distinction ni pitié.

Dans ce récit a posteriori, Jack Burden retrace la gloire et la chute du gouverneur Stark, auxquelles se sont accolées les destinées plus ou moins misérables de nombreuses personnes, amies ou ennemies. Entre vieilles amours et rancoeurs nouvelles, la jalousie et l'ambition poussent sur un terreau tristement fertile et férocement cynique. « La loi, c'est une couverture pour une personne dans un lit deux places où sont couchés trois types par une nuit gelée. On aura beau tirer dans tous les sens, y aura jamais assez pour couvrir tout le monde et quelqu'un finira forcément par choper une pneumonie. » (p. 155)

J'ai eu quelques difficultés à vraiment accrocher à cette histoire. Les nombreuses intrigues parallèles, contemporaines ou antérieures au récit principal, m'ont souvent semblé longues et mal rattachées à l'ensemble. J'ai cependant beaucoup apprécié le ton général qui m'a un peu rappelé Hemingway, en meilleur (Non, je n'aime pas vraiment le d'Hemingway). La vision de l'homme portée par ce texte est sombre, mais pas noire, plutôt boueuse, comme si même dans le pire, l'homme n'était jamais que médiocre.
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Retour à Robert Penn Warren après ma lecture dans le cadre d'un opération Masse Critique, il y près d'un an, de Les Rendez-vous de la clairière, qui m'avait réellement impressionné par son écriture et sa puissance romanesque.
J'ai voulu poursuivre par ce qui reste comme son roman le plus célèbre, paru en 1946 et prix Pulitzer 1947. Les «hommes du roi», dont fait partie le narrateur Jack Burden, sont ceux qui entourent le gouverneur Willie Stark, un politicien du sud profond, aux origines paysannes modestes. Ce Willie est redoutablement doué pour galvaniser les foules, essentiellement des laissés pour compte de l'Amérique des années 1920 et 1930.
Jack Burden est un homme d'âge moyen, issu lui de l'élite, mais qui n'a pas fait le choix de se procurer un métier profitable grâce à ses relations, pourtant nombreuses. Il est journaliste, puis rédacteur et confident de Willie Stark. Il est à la fois fasciné et dégouté par celui qu'il ne nomme pas autrement que « le Boss ». Son passé sera à l'origine de bien des drames, Willie Stark n'hésitant pas à se servir de lui pour faire chanter des personnes hors de sa sphère d'influence.
Il y a à la fois du réalisme dans la description des coulisses du pouvoir et pourtant aussi beaucoup d'interrogations sur ce qui peut être regardé comme bon ou mauvais, des zones grises dans lesquelles un mieux être réel peut être obtenu pour le plus grand nombre grâce à des compromissions et de la corruption.
Ce roman m'a impressionné par sa richesse. Formellement, sans être aussi original que « Les Rendez-vous de la clairière », moins Faulknérien si l'on veut, il a pourtant aussi sa part d'obscurité mais associée à une plus grande lisibilité, qui en fait peut être le roman à privilégier pour découvrir l'écriture de Robert Penn Warren.
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C'est dans ce pays que le moteur à explosion a pris son essor, que chaque garçon se prend pour un pilote, et que les filles portent des tissus légers, de l'organdi ou de la batiste brodée, mais pas de culottes à cause du climat, et affichent des petits visages angéliques à te briser le coeur. Et quand le vent s'engouffre dans l'habitacle et fait voler leurs cheveux, tu découvres des petites perles de sueur nichées près de leurs tempes. Bien enfoncées dans leur siège, leur dos gracile un peu courbé, elles lèvent leurs genoux pour profiter de l'air frais, si on peut dire, remontant du ventilateur sous le capot. Dans ce pays, les odeurs d'essence, de freins qui chauffent et de mauvais alcools semblent plus suaves que la myrrhe.
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"House of cards" avant l'heure, difficile de croire que ce livre date de 1947. Son premier mérite est de rester accessible et passionnant malgré une intrigue complexe et des protagonistes multiples. le pouvoir corrompt et tout le monde a quelque chose à se reprocher sont les deux postulats qui vont couronner les uns et détrôner les autres. Mais à la fin chacun aura un peu (beaucoup) perdu de son âme. Un récit palpitant qui n'a pas pris une ride, du très bel ouvrage...
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Si la densité du récit peut quelquefois amener à en abandonner la lecture, surtout ne lâchez pas. Ce roman est fort par ses personnages, son histoire, et tous les mécanismes qui les relient. Histoire de l'ascension politique de Willie Stark racontée par Jack Burden, narrateur et aussi assistant du Boss. Cette ambiguïté est troublante tout au long du récit mais elle permet d'entrer dans les âmes de ceux dont on ne voit qu'une face.

Willie Stark est ce « plouc » qui ne lâche pas ce qu'il attrape. Il gravit les échelons de la société pour finir comme gouverneur de Louisiane, toujours avec le même objectif : servir le peuple, celui qu'on a oublié, en construisant des écoles et un hôpital. « Pour chaque grand homme de pouvoir, il y a un premier cercle, un choeur de femmes et d'hommes là seulement pour exécuter la volonté du monarque, que ce soit en bien ou en mal. » Jack Burden sera donc son ami, secrétaire, homme de main, enquêteur, maître-chanteur, celui qui est au centre. Il est aussi celui qui raconte l'histoire, et ce détachement nous fait comprendre le mécanisme psychologique de cet homme, lui-même impliqué dans l'histoire, et amené à prendre des décisions qui vont changer sa vie et celle des autres.

L'obsession de la quête de la vérité dont il est investi va révéler à chaque page une rancoeur, une vieille rivalité, une tare de famille, une dette oubliée sur chaque personnage. Comme si inexorablement le mal se trouvait partout chez tout le monde. Les méthodes employées par Jack Burden vont de la corruption au chantage, et la virtuosité verbale de Robert Penn Warren trouve dans le roman une place de choix. Pourtant on s'attache aux personnages, parce que malgré tout, le Boss accomplit des oeuvres sociales. L'auteur s'est d'ailleurs inspiré d'un personnage réel, Huey Pierce Long qui de 1893 à 1935, populiste radical de Louisiane qu'il a eu l'occasion d'observer quand il enseignait à Bâton Rouge.

Le texte ensorcelant est minutieux et la construction dramatique du roman font de ce livre un chef d'oeuvre, à l'image de l'auteur encensé par trois prix Pulitzer.
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