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4,06

sur 349 notes
Beau, réjouissant et brillant, ce premier tome de la Maison des jeux m'a totalement charmée et m'a amenée dans la Venise du XVIIème siècle, lagune envoutante avec ses ruelles embrumées au charme suranné, ses effluves de marais et ses canaux, cadre idéal pour se perdre et pour observer, caché derrière un masque à long nez ou des voiles d'argent tressé, un jeu à l'échelle de la ville. Un jeu combinant Échecs et Tarot où les pièces et les atouts sont… humains, vivants, pièces de chair, de sang, et de sentiments, des pièces « d'entrailles et de douleur ».
La collection Une heure-Lumière des éditions du Belial' n'en finit pas de me surprendre. Parmi les titres découverts, si je ne les ai pas tous aimés de façon égale, tous ont eu le don de m'étonner…et ce livre-là, décliné en 3 tomes, a sans conteste pour l'instant ma préférence.

Ce tome du Serpent démarre avec l'histoire, tragique, d'une jeune femme juive dénommée Thene, mariée par arrangement et convenance au vieil Jacamo de Orcelo, un vénitien mauvais, alcoolique, coureur de jupon et endetté. Il mène à sa femme, par qui il a eu une dot épongeant ses dettes, une vie dénué d'amour, une vie d'humiliation, de brimades et de violence, se vengeant par là des moqueries de ses pairs qu'il subit pour ce mariage arrangé avec une juive.
Thene endure son calvaire avec résignation et patience ne laissant rien paraitre de ses émotions, impassibilité qui le don d'énerver au plus haut point Jacarmo.
Afin de lui montrer avec ostentation la façon dont il dilapide l'argent du ménage, argent qui provient de la famille de sa femme, afin, pense-t-il, de la faire souffrir enfin, il l'emmène un jour avec lui à la Maison des jeux, établissement vénitien réputé où se terrent dans les coins sombres les prostituées, où le son de la musique et des brouhahas, le bruit des dés lancés et des cartes rabattues le disputent aux odeurs de viande. Alors que son mari ne cesse de se ridiculiser, perdant chaque soir au jeu totalement ivre, Thene se découvre un véritable don pour le jeu. Soirée après soirée, elle joue, elle gagne, est observée, repérée puis invitée à la Haute Loge, salle réservée aux invités, derrière la Porte d'Argent. Là, dans cette alcôve secrète et élégante, l'énigmatique Maîtresse des jeux propose aux rares élus de jouer beaucoup plus grand, de jouer pour leur voeu le plus cher, quel qu'il soit. Pour Thene, le voeu le plus cher est la liberté et l'affranchissement.


« Pourquoi jouez-vous ?
– Pour être libre
– de quoi ?
– Mon mari . Ma famille. Mon sang. Mon nom. Tout cela. Pour être…puissante. Je ne parle pas du pouvoir pour le pouvoir, mais plutôt en tant que force. La force d'être reconnue pour moi-même, de vivre pour moi-même, d'être moi-même comme on ne me l'a encore jamais permis. Voilà pourquoi je joue ».

Ils sont 4 joueurs élus, un seul sera choisi pour une place dans la Haute loge. Pour cela, ils doivent gagner une partie du jeu des Rois consistant à placer le premier, ou la première, leur Roi qui leur a été désigné par la Maitresse de jeu. Il s'agit d'une personne puissante à Venise qui doit prendre la place d'inquisiteur au Tribunal Suprême, celle-ci venant d'être vacante. 4 candidats de force plus ou moins égale vont briguer ce titre. Il faut donc être le ou la plus rapide à faire accéder son Roi à cette fonction, ou être celui ou celle qui écarte le plus rapidement les autres Rois, en les affaiblissant ou pourquoi pas en les tuant.
Des Atouts ont été également choisis et mis à leur disposition pour les aider, savoir les jouer au moment opportun s'avère capital. Chaque Atout est un personnage ayant eu des déboires dans le passé avec la Maison des jeux et ayant une dette envers celle-ci. de ce fait, ils lui sont redevables, doivent payer leur dette en devenant un Atout du jeu que le joueur joue à sa guise lui demandant des services précis. Il s'agit de savoir utiliser ses spécificités et ses forces. Les Atouts sont des cartes de Tarot personnifiées.
Thene arrivera-t-elle à placer son Roi, le fameux Seluda, chef d'une maison commerçante, soixante et un ans, cheveux gris et barbe longue, membre du Collegio ? Quelle stratégie va-t-elle déployer pour parvenir à la victoire ?

La Maison des jeux est un récit sensoriel et le sens mis en valeur dans ce livre tout particulièrement est celui du regard…regards volés, regards louvoyant derrière un joli loup, regards en miroir lorsque sous un masque de carnaval des yeux nous regardent en train de les regarder, regards de biais, caché et masqué, le narrateur semble observer Thene avec nous, nous invitant, par le biais de susurrements et de murmures, à bien observer cette femme, cette stratège hors pair, à notre tour. Oui, nous sommes nous-mêmes observateurs, lecteurs pris à partie, en duo avec le narrateur, nous-mêmes cachés et masqués…D'où l'utilisation régulière de ce « Nous » qui, dès l'incipit, nous implique, en tant que témoins et juges, nous fait plonger dans cette ville tentaculaire avec Thene, observateurs en arrière-plan, derrière les piliers de certains palais, au détour d'une ruelle, depuis une gondole…Cette prise à parti d'observation masquée crée une ambiance feutrée et mystérieuse apportant beaucoup de singularité au récit.

« Venez. Observons ensemble, vous et moi. Nous écartons les brumes. Nous prenons pied sur le plateau et effectuons une entrée théâtrale : nous voici ; nous sommes arrivés ; que fassent silence les musiciens, que se détournent à notre approche les yeux de ceux qui savent. Nous sommes les arbitres de ce petit tournoi, notre tâche est de juger, restant en dehors d'un jeu dont nous faisons pourtant partie, pris au piège par le flux du plateau, le bruit sec de la carte qu'on abat, la chute des pions ».

Je suis impatiente de lire le second tome de cette trilogie particulièrement novatrice et originale à l'ambiance délicieusement désuète. Pensez à noter, au cours de votre lecture, les Rois en présence, leurs forces et leurs faiblesses, ainsi que les Atouts...cela rendra le jeu plus clair, la stratégie plus limpide. Mais sinon perdez-vous avec délice dans cette Venise labyrinthique ourdie d'alliances étonnantes, de corruption, de coups stratégiques, de rumeurs plus ou moins fausses, de chantages, et surtout observez bien et tous les mystères vous seront révélés…

"Les pièces vont et viennent, seul le jeu est éternel !"
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J'ai lu La Maison des Jeux - le serpent, premier tome de la trilogie et j'utiliserai une expression rarissime chez moi, ce fut un gros coup de coeur.
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Pour tout vous dire, j'ai dû retirer un Stephen King des livres à emporter sur mon île déserte pour y placer cette novella.
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Pourquoi ai-je donc choisi ce roman alors que la couverture et le titre nous annonce clairement qu'il s'agit d'échecs et que de ce jeu de stratégie, je ne connais que le nom des pièces... même qu'il y a un cheval (n'est-ce pas, Éric ?) ?
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Eh bien ma Cricri (Hordeducontrevent) m'a saisie dans les fils de la toile de son retour et je l'en remercie.
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Nous sommes à Venise en 1610, et un "observateur" nous narre l'histoire de Thene, fille d'un marchand d'étoffe et d'une Juive, qui fut mariée à 15 ans à Jacamo de Orcelo, lequel disposait d'un titre à défaut d'argent.
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Simili noblesse contre dot, c'était courant à l'époque.
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Non seulement ce mari était trop âgé pour elle (38 ans), mais il avait à peu près tous les défauts du monde. Odieux avec sa jeune femme, il picole, joue et la trompe à tout va.
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C'est un soir où Thene le suit qu'elle découvre la Maison des Jeux...
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L'observateur nous entraîne avec lui et utilise le "nous", ce qui accentue encore l'implication du lecteur dans l'histoire.
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Comme dit plus haut, nous sommes donc à Venise, cité magique et mystérieuse, avec ses ruelles tortueuses, son eau pas vraiment propre (mais c'est un détail), ses habitants qui portent un masque la nuit.
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Claire North / Catherine Webb (c'est la même) a un remarquable talent pour nous décrire l'ambiance qui règne dans la ville et je m'y suis d'autant plus immergée que c'est ainsi que j'imagine Venise, moi qui ne suis jamais allée en Italie.
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Pour résumer, entre la plongée dans Venise que je ne connais pas, les échecs et le tarot, auxquels je ne sais pas du tout jouer, je suis allée de ravissement en ravissement en parcourant ces pages.
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Il y a du mystère donc, du suspense... les personnages sont remarquablement décrits, on s'attache à certains, on en déteste d'autres, peu importe mais on ressent énormément de choses.
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Justement d'ailleurs, à propos des personnages, j'avais craint de ne pas m'y retrouver et ai noté les noms au fur et à mesure, mais ça ne m'a servi à rien parce que l'auteure rappelle habilement qui est qui chaque fois qu'on en rencontre un et moi qui suis perdue dès qu'il y a plus de 3 pékins, je n'ai rencontré aucun problème.
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Pour résumer, je conseille vivement ce livre à tout le monde.
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La qualité des couvertures des éditions Bélial sont souvent à la hauteur de la valeur littéraire des romans qu'elles entourent. Pourtant cette fois-ci, j'ai été assez déçu par le tome 1 de la maison des jeux de Catherine Webb tout en appréciant l'illustration de couverture d'Aurélien Police. En effet, cet habituel illustrateur de couverture de roman a sublimé la cité des doges tout en respectant l'idée principale du livre à savoir l'univers des jeux et ses règles.

Le décor de ce roman avait tout pour nous plaire. On se retrouvait au coeur d'une Venise du XVIIe siècle avec une ténébreuse maison de jeu peuplée d'une multitude de joueurs masqués. On pouvait ainsi espérer découvrir un « Eyes Wide Shut » façon roman littéraire. Mais n'est pas Kubrick qui veut, et Catherine Webb a encore du chemin à faire avant de pouvoir côtoyer le style baroque du grand cinéaste. Je recherche encore une esquisse de cette bâtisse, ce temple du jeu et je me heurte désespérément à une porte en argent incrustée de deux têtes de lion et c'est tout. de même, je m'attendais à une superbe représentation de la place Saint Marc et de sa basilique, du palais des Doges, du pont du Rialto ou du Grand Canal… de la Sérénissime, je n'eus droit qu'à des rues sombres et à la brève apparition d'une gondole nécessaire pour l'action dans cette ville qu'il faut avoir vu avant de mourir…

En ce qui concerne les personnages, leur multitude devons-nous dire ; on s'y perd vite. Cette pléthore de figurants/figurines nécessite une bonne mémoire ou un retour incessant dans les chapitres précédant pour savoir qui est qui et qui fait quoi. Heureusement qu'il y a une femme héroïne de l'histoire et aussi son fil d'Ariane. Elle se nomme Thene et semble être la seule à posséder une âme. C'est peut-être aussi parce qu'elle est vraiment la seule à bénéficier d'une vraie description physique et morale, les autres acteurs n'étant pour la plupart que des faire-valoir. Enfin pour ce qui est des jeux traditionnels abordés dans l'aventure, on n'en connait d'eux que le nom : les échecs et le tarot. Point de règles et point de représentation, seul le nom du gagnant ou du perdant est noté. Un avantage qui est indéniable pour les néophytes de ces jeux qui peut sembler rébarbatif pour les aficionados.

Heureusement qu'il y a le scénario pour sauver le livre et trouver grâce à mes yeux… Malgré une narration en spectateur (usage intempestif du nous) qui installe une certaine distance, voire une froideur sur l'ensemble de l'intrigue ; Catherine Webb arrive quand même à sublimer son roman. En effet, on découvre au coin d'une page la présence d'un jeu dans le jeu. Sans trop divulgâcher l'intrigue, on s'aperçoit au fur à mesure de la lecture que les joueurs deviennent les jouets/joués et que le jeu annoncé n'est pas forcément celui qu'on croit. La vie étant peut être un immense échiquier où tous les coups sont permis. Un immense jeu de rôle où les pions semblent être la gente humaine avec ses forces et ses faiblesses et Venise devenant à son tour un immense plateau de jeu.

Merci à mes trois amies Babeliotes que je ne présente plus, de m'avoir entraîné dans cette aventure. Si j'ai été sévère dans mon billet qu'elles me pardonnent car je leur dois cet aveu : celui à mon corps défendant, d'avoir déjà remis les pieds dans cette maison des jeux en ouvrant le tome 2. Mais c'est une autre histoire…

« Pardonnez-moi, dit-il, je m'exprime mal. Voulez-vous jouer ? »
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Etrange ambiance, à la fois si confortable et délicieusement troublante, que celle de ce premier opus en forme de thriller fantastique, où le jeu se mêle à la réalité pour nous plonger dans une réalité virtuelle : un plateau de jeu grandeur nature que l'on croit être Venise mais qui pourrait, les tomes suivants nous le révéleront peut-être, s'avérer être bien plus vaste et se constituer du monde entier voir même, pourquoi pas, représenter symboliquement la vie entière.


« Les jeux, au contraire de la vie, ont une structure, un motif, un ordre à respecter. Jouez, et tous les mystères seront révélés. »


Venise, donc, 17ème siècle. Un homme ordinaire échange son titre contre l'argent de la femme Thene, qu'il épouse sans amour. Son malheur en amour le rendra-t-il heureux aux jeux, dans lesquels il noie son oisiveté et dépense l'argent qu'il n'a pas pour tenter d'exister ? Rien n'est moins sûr. Car comme tout joueur compulsif, il ne sait pas s'arrêter et finit toujours par perdre. Et pour faire souffrir sa femme autant qu'il souffre lui-même, il l'oblige à l'accompagner dans la Maison des Jeux où il joue l'argent de leur ménage.


Nous découvrons alors avec avidité une Venise secrète, faite de sombres ruelles enchevêtrées et de masques troublants, de confidences et de mystères, de pouvoir et de convoitises… Nous comprenons vite, avec Thene, que l'argent n'est pas le seul enjeu de ce lieu énigmatique : ici nous sommes observés, nous sommes jugés, estimés et évalués. Et si nous sommes assez bons, alors la Maîtresse du Jeu vient nous trouver, et nous enrôler. Thene, qui finira par jouer, se fera remarquer. le jeu de rôle qu'on lui proposera alors suppose de manipuler des pions de chair et d'os. Son plateau de jeu : Venise. Son jeu ? le jeu des Rois. le but ? Faire élire le pion qui lui a été attribué, un notable du coin, au poste convoité de Tribun au lieu des quatre autres pions notables en vue, joués par d'autres joueurs sélectionnés. Les règles ? Elles tiennent dans une petite boîte en argent, abritant également les cartes qu'elle aura en main et pourra décider d'abattre le moment venu. Ces cartes représentent des acteurs politiques, économiques, religieux ou populaires de Venise, mis à disposition de Thene par la Maison des Jeux pour accomplir la mission qu'elle voudra leur confier. Mais qui sont ces gens et contre quoi acceptent-ils de jouer leur propre vie ?


Ce n'est pas la seule question à résoudre. Bien vite, nous nous sentirons tout petits dans ce jeu qui nous dépasse. Il se murmure en effet que le « jeu politique » dont la partie se déroule sous nos yeux, ce plateau de jeu grandeur nature, n'est lui-même qu'un petit aperçu de ce qui se joue à échelle réelle dans le monde entier. Car qui d'entre nous est absolument certain de n'être pas qu'un pion supplémentaire sur l'échiquier ? Mais alors qui dirige tout cela ? D'où ? Et pourquoi ? Si le jeu des rois s'achève en apothéose à la fin de ce premier tome, obtenir les réponses à toutes nos questions demandera de poursuivre avec les suivants.


En première ligne : Quel est ce « nous » qu'on nous a collé en guise de narrateur, que Thene semble « voir » à la fin de sa partie mais dont on ne nous révèlera rien pour le moment ? On lui doit en tout cas une fière chandelle puisqu'il nous trimballera, durant tout le récit, d'alcôves les plus secrètes en gondoles les plus isolées, nous détaillera les faits, gestes et mimiques révélatrices de chaque personnage. Enfin, ce pronom mystérieux nous intègre au jeu en nous permettant de nous identifier à ceux qui sont derrière, espionnant ou tirant les ficèles de que l'on appelle « destin »… Et si derrière toutes les guerres, toutes les peines et chaque victoire, il n'y avait en réalité que des joueurs qui s'affrontaient uniquement pour gagner, au détriment de tous les autres pions innocents que nous sommes ? Qui nous manipule, nous place et nous déplace ? Nous fait nous élever… ou mourir ? Sommes-nous le jouet de quelqu'un ? Se joue-t'on de nous ? Autant de questions désagréables qui interrogent notre propre place dans la société et dans l'univers en mêlant, avec habileté et une finesse tout juste dérangeante, le réel (on plonge sans mal dans les rues de Venise, on visualise et transpose aisément les jeux politiques, maçonniques et de réseaux que l'on connaît) et l'imaginaire (quelle puissance se cache en réalité derrière la maîtresse des jeux...?) - avec lequel je ne suis pourtant pas toujours à l'aise en littérature.


En vérité, « Quel destin n'est pas pendu entre le caprice d'un inconnu et le mépris de l'univers ? »


« La vie est vécue au fil de choses qui ne sont pas vraies. (…) Nous sourions à ceux que nous voulons détruire, nous nous allions avec ceux que nous ne respectons pas, nous admirons notre propre intellect et cherchons toujours la récompense suprême. Nous désirons la gloire, tous autant que nous sommes, et, pour l'obtenir, nous ne nous soucions pas de regarder ceux que nous avons détruits en chemin. Un jeu est tout cela et plus encore, plus noble, car ceux qui jouent à tout le moins se transcendent, voient à la fois les conséquences de leurs choix et le plateau dans son ensemble. Je ne crois pas qu'il y ait de plus noble vocation que le jeu, et je voudrais vous permettre d'y participer. »


« Et toujours la Maison des Jeux, la Maison des Jeux qui vit, qui tourne, la Maison des Jeux qui attend.
Et mon amour également.
Le denier tourne.
Le denier tourne.
Et nous voilà enfuis. »


C'est le jeu de la vie.

Merci Chrystèle pour cette idée de lecture, sur un thème classique mais bien réalisé ! Une agréable et pertinente utilisation de l'imaginaire mettant en relief les dérives et turpitudes humaines.
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Je vous invite à venir dans la Venise du XVIIème siècle, précisément en 1610.
C'est le décor de ce premier opus, La Maison des Jeux, tome 1 : le serpent, écrit par Catherine Webb.
C'est une Venise insolite, mystérieuse, envoûtante...
Un observateur nous raconte une histoire et j'ai eu l'impression déstabilisante que peu à peu, cet observateur, c'était moi. Je prenais sa place, j'empruntais ses pas, j'entrais dans le récit, j'étais dans cette Venise du XVIIème siècle. Une jeune femme juive du nom de Thene me prenait déjà la main pour ne plus la lâcher jusqu'à la fin du récit...
Mes premiers pas sur les pages de ce récit m'ont fait découvrir cette jeune fille fragile, déjà humiliée, violentée alors qu'elle est à peine mariée avec ce vieil homme endetté, falot, aigri, Jacamo de Orcelo qui s'apprête à dilapider la dot de sa jeune femme dans l'alcool et le jeu...
Venise, XVIIème siècle, comme si le monde n'avait jamais changé depuis...
Tandis que les fortunes se font et se défont autour des tables de jeux, là où précisément Jacamo de Orcelo se saoule, se ridiculise et s'endette, il est un endroit supérieur où d'autres enjeux se tiennent.
Au coeur de cette Venise indomptable et rebelle, honnie de la papauté, j'ai vu cette femme changer de visage et le cacher brusquement derrière un masque, ses pas étaient déjà loin, fuyaient pour se réfugier dans cet étrange lieu qu'on nomme la Maison des Jeux.
Qui a-t-il derrière les portes dorées de cet étrange endroit où des joueurs venus de tous les horizons viennent jouer ? Mais jouer à quels jeux ?
Backgammon ? Dames ? Échecs ? Ici il serait question que les pièces soient de vrais personnages réels, bien vivants et que la scène de jeu soit la vie, la vraie vie telle qu'elle se joue, c'est une partie qui se joue où la vie, le temps et l'âme servent de monnaie, où le jeu met en scène le monde, ses protagonistes et ses vertiges.
En franchissant les portes de ce lieu, Thene est prête à tout accepter, qu'aurait-elle à perdre d'ailleurs ? Elle sait que les règles du jeu sont dangereuses. Elle a, au contraire, tout à gagner. Son quotidien est sordide. Son horizon ne connaît pas de limite.
Pour cette femme bafouée, je suis entré en empathie, j'aurais tant voulu la protéger, prendre soin d'elle. Je savais qu'elle prenait des risques. Mais peser un enjeu, c'est aussi savoir ce que l'on peut perdre, ce que l'on peut gagner dans cette histoire, soupeser, faire un choix, prendre un risque...
Alors, je me suis perdu dans les mirages de la ville historique de Venise, dans ses rues sombres et solaires, dans ses méandres insoupçonnées.
« Venise, la nuit.
Peu de villes sont à la fois plus belles et plus laides dans le noir. »
J'ai revêtu alors le masque de celui qui observe...
Car Venise sans les masques, c'est un peu comme un dessert sans chocolat.
Je suivais Thene, je la voyais sans cesse s'enfuir, dans l'esquive, comme une ombre se fondant dans l'ombre de la ville...
Et puis je l'ai vu jouer, se prendre au jeu, j'étais si proche d'elle que je sentais les battements de son coeur, je les entendais presque, tandis qu'elle jouait. J'étais si proche d'elle que je pouvais désormais recueillir ses confidences...
Ici, la vie à Venise ressemble sans cesse à un denier qu'on jette en l'air et selon le côté où il retombe il peut entraîner la vie ou la mort, que l'on soit fou ou que l'on soit sage. C'est un jeu simple qui laisse libre cours au hasard.
Venise est un territoire aux rivages insensés.
Ombres et lumières.
Eaux et vases.
Beauté et sang.
Venise est une cité soumise aux marées, à celle des eaux, à celle des âmes.
Eaux sans fond, ténèbres, vase, limons, lagunes...
Que deviennent les visages lorsque les masques tombent ?
Est-ce que la vase des lagunes les emportent ?
J'ai aimé le personnage de Thene, son abnégation, sa volonté, sa dignité.
J'ai aimé plonger avec elle dans un récit qui ne cesse d'être intrigant, tandis que les rues de Venise n'en finissaient pas de me perdre...
Des rayons de soleil traversent en oblique les hautes fenêtres du palais du doge, c'est le moment propice où j'ai perdu de vue Thene qui continuait de s'enfuir, toujours. Je la savais peut-être enfin délivrée de ses sortilèges.
Plus tard, plusieurs siècles plus tard, je suis revenu refermer ce livre qui était resté ouvert par mégarde durant tout ce temps-là, comme abandonné. J'avais l'impression que son parfum était encore là. Lorsque j'ai refermé le livre, il s'est transformé en sable et le sable a glissé entre mes doigts comme un serpent...
Vite ! le deuxième opus...
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Il existe une Maison des jeux, dont l'influence s'exerce partout dans le monde. Les joueurs peuvent y jouer des années de vies, des talents, des souvenirs... n'importe quoi.

Les jeux sont politiques. Dans ce premier tome, un poste prestigieux s'ouvre dans la Cité État de Venise au 17e siècle. 4 candidats sont en lice. 4 joueurs se voient donc donner un candidat à faire gagner. le candidat est leur roi, et le joueur qui fera gagner son candidat gagnera la partie. Tout les coups sont permis : assassinat, pot-de-vin, chantage, etc.

Chaque joueur a un ensemble de cartes (de tarot), et chaque carte leur donne le droit d'obtenir une faveur de divers personnages de la ville, et de les jouer comme des pions sur un échiquier.

Notre protagoniste est Thene, une femme juive désaffranchie prise dans un mariage malheureux. Gagner le jeu est sa seule façon de regagner sa vie, sa dignité.

La narration est intéressante : le narrateur omniscient s'adresse directement à nous et nous raconte les scènes comme si nous en étions des témoins invisibles sans gêne. de vulgaires voyeurs.

J'ai bien hâte de lire la suite. Sans savoir s'il s'agit simplement de la même chose dans une autre lieu et une autre époque, ou si on explorera plus en détail les conflits internes de la Maison des Jeux.
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« le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n'y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles. »
William Shakespeare

*
Avez-vous l'esprit joueur ? Que seriez-vous prêt à miser pour pimenter votre vie, vous divertir, obtenir une récompense ou bien rembourser une dette ? Mettriez-vous en jeu des années de votre vie, vos souvenirs, votre santé, la vie d'un de vos proches, … ?

« Miseriez-vous votre bonheur ? Joueriez-vous votre amour-propre ? Au nom du ciel, ne jouez pas pour le plaisir, pas encore ; pas alors qu'il existe tant d'enjeux moins importants en lesquels investir ! »

*
Après « 24 vues de Mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny, j'ai eu envie de piocher à nouveau dans la très jolie collection de novellas, « Une heure-lumière », aux éditions le Belial.
Mon choix s'est fixé sur le premier volume d'une trilogie intitulée « La maison des jeux » de l'autrice Catherine Webb, plus connue sous le nom de Claire North.
Cette jeune autrice amène beaucoup de fraîcheur à la littérature de l'imaginaire. Elle a un talent certain pour nous entraîner dans des histoires aussi inattendues que fascinantes.

Ce premier court récit, « le Serpent », nous convie à entrer à l'intérieur la Maison des Jeux, un endroit mystérieux, réservé aux seuls initiés. Au cours des siècles, cette organisation secrète a joué sur de nombreux territoires, manipulant les hommes comme s'ils étaient de vulgaires pièces d'un jeu, favorisant leur ascension, ou au contraire, les renversant sans aucune pitié.

« La Maison des Jeux est… ancienne. Elle n'est pas limitée à un seul lieu mais possède des portes dans le monde entier. Cette partie livrée à Venise est l'une des centaines, peut-être des milliers, qui se jouent en des lieux dont vous ne rêvez même pas… »

En ouvrant ce roman, le lecteur réalise qu'il fait partie intégrante de l'intrigue en tant qu'observateur. Cela lui donne l'impression d'être témoin, figurant, arbitre ou même parfois conspirateur.

« Venez.
Observons ensemble, vous et moi.
Nous écartons les brumes.
Nous prenons pied sur le plateau et effectuons une entrée théâtrale : nous voici ; nous sommes arrivés ; que fassent silence les musiciens, que se détournent à notre approche les yeux de ceux qui savent. Nous sommes les arbitres de ce petit tournoi, notre tâche est de juger, restant en dehors d'un jeu dont nous faisons pourtant partie, pris au piège par le flux du plateau, le bruit sec de la carte qu'on abat, la chute des pions. »

Cette histoire nous emmène au XVIIème siècle dans la très romantique ville de Venise. Elle va devenir le plateau d'une immense partie de jeu à ciel ouvert, dont l'enjeu est la place d'inquisiteur au Tribunal Suprême, suite au décès d'un de ses membres.

*
Thene est une jeune femme intelligente, récemment marié sans amour à un homme de plusieurs années son aîné, joueur compulsif qui dépense sa dote en ivrognerie et en dettes de jeu.

« Pardonnez-moi, dit-il, je m'exprime mal. Voulez-vous jouer ? »
Thene considère le dos de son mari, les verres vides à son côté, les pièces de monnaie sur la table ; elle se rend compte qu'elle a de la colère sur les lèvres, une tempête au creux du ventre, et les mains douloureuses — se retenir de les crisper les rend brûlantes. Aussi, avec dans la voix la douceur d'une brume hivernale, elle répond simplement : « Oui. »

Tous les joueurs ne se montrent pas dignes de concourir dans la ligue supérieure.
Remarquée alors qu'elle accompagne son mari dans la partie basse de la Maison du Jeu, Thene est invitée à accéder à la Haute Loge pour des enjeux beaucoup plus importants. La Maîtresse des Jeux lui propose de participer au jeu de rois avec trois autres candidats.
Si elle gagne, elle obtiendra ce qu'elle désire le plus au monde. On peut aisément comprendre ce qui va pousser la jeune vénitienne à accepter. Bien sûr, la récompense est proportionnelle à la mise en jeu.
La vie semble être un divertissement !
Le jeu semble être une métaphore de la vie !

Chacun des quatre compétiteurs reçoit une boîte en argent contenant les règles du jeu, des informations concernant le roi qu'on leur a attribué et des cartes de tarot qui ont été préalablement distribuées entre les joueurs de manière aléatoire.
Pour gagner, le candidat au poste d'inquisiteur doit remporter le vote du Sénat.

Les cartes partagées sont comme les pièces des échecs : au joueur de les utiliser avec discernement et de les placer au bon endroit au bon moment pour protéger son Roi ou placer le Roi adverse en situation d'échec et mat. Mais à la différence d'un jeu traditionnel, ces cartes sont de véritables personnes.

« … les pièces de ce jeu ne sont pas aussi simples que des pions sur un plateau : elles ont des secrets, des fiertés, et, quoique les règles du jeu stipulent qu'elles lui appartiennent, elles aussi doivent être façonnées pour devenir quelque chose de plus. »

Les leviers sont nombreux pour jouer et accroître l'influence de son Roi : l'argent, l'amour, la honte, l'amour, la menace, la jalousie, la vanité, la manipulation, le meurtre, …

« … ce qui compte, c'est la victoire — gagner. le reste n'est qu'une cage. »

*
Ce qui est particulièrement prenant, c'est le fait que la stratégie de ses adversaires nous soit totalement dissimulée, le lecteur étudiant uniquement le jeu de Thene.
De cette manière, en tant qu'observateur, on la voit évoluer, mûrir et prendre de l'assurance à travers son habileté à choisir et déplacer ses pièces.
Cependant, comme nous restons à distance, nous ne pénétrons que superficiellement ses pensées. Cachée derrière son masque, la jeune femme garde ainsi une part de mystère, entretenant notre envie de suivre l'évolution du jeu, nous s'attachant à elle.

« L'assassinat est un coup grossier. Tuez une pièce trop tôt et les autres joueurs se voient renforcés par son absence. Avec quatre joueurs, il y a un équilibre, des forces qui s'exercent dans toutes les directions, des ressources qui s'épuisent. Ma pièce paraît… plus faible que je ne l'aimerais, mais il peut s'agir d'un avantage. Que les autres joueurs dépensent des cartes à se combattre, les forts se déchirant les uns les autres jusqu'à devenir assez faibles pour que je puisse m'en prendre à eux. Un assassinat immédiat détruirait cet équilibre — qui devra bien s'effondrer un jour, mais il est encore trop tôt. »

J'aime lorsque la psychologie des personnages est bien développée. Ici, elle n'est pas fouillée, sans que cela m'ait gênée.
Au contraire, j'ai trouvé que cela renforçait le mystère autour de la maison des Jeux, du jeu des rois et de ses participants. L'autrice s'est en effet surtout concentrée sur un scénario que j'ai trouvé de qualité, sans pour autant négliger des réflexions philosophiques ou politiques.

*
Chaque avancée dans le jeu, chaque utilisation d'une pièce du tarot par la jeune femme donne lieu à un chapitre. Il en résulte que le lecteur n'est jamais perdu dans les nombreux personnages qui ont chacun leur personnalité et un rôle bien défini à jouer en fonction de leur attribut. En outre, le choix de chapitres courts donne un rythme très plaisant à la lecture, les rebondissements s'enchaînant sans aucun temps mort.

Si Catherine Webb mène de main de maître la mise en scène, les interdépendances entre les personnages et la construction du récit, elle a une corde de plus à son arc, celui de l'écriture, irréprochable.
Je l'ai trouvé très visuelle, fluide, simple tout en étant très agréable à lire. A cela, j'ajouterais une petite pointe d'originalité supplémentaire par la narration à la première personne du pluriel, comme si l'histoire était racontée par des observateurs invisibles dont nous ferions partis.

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Il faut d'autre part souligner l'esthétique du livre, comme celui du plateau de jeu sur lequel les candidats évoluent.
L'autrice donne un design actuel et immersif à son récit en mélangeant astucieusement l'atmosphère romantique et surannée de Venise et l'univers très actuel du jeu de rôle, comme si nous étions conviés à une sorte d'Escape Game grandeur nature.

J'ai adoré me balader dans cette ville pleine d'un charme baroque, désuet et pittoresque à la fois. Je me suis laissée emportée par la magie et le mystère de la lagune vénitienne, la magnificence des palais bâtis à fleur d'eau, malgré la crainte des ruelles sordides et sombres des quartiers mal famés.

« Elle court, elle court, elle court ! Il est heureux qu'elle connaisse bien cette cité car, à Venise, il est parfois difficile de trouver le soleil, les rues se tordent et s'enchevêtrent, les canaux sinuent de-ci de-là et leurs lents méandres trompent le voyageur innocent. »

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Pour conclure, ce premier tome est une belle entrée dans la trilogie de la « Maison des Jeux ». Il s'achève en ouvrant une porte sur le second volume. Il ne m'en faut pas plus pour vouloir m'engager sur un nouveau plateau de jeu encore plus vaste, avec de nouveaux compétiteurs.

Si vous aimez les thrillers fantastiques originaux, les beaux décors, les intrigues complexes et prenantes, ne passez pas à côté de cette petite novella.

« Tout est hasard. La nature est hasard. La vie est hasard. La folie des hommes est de chercher des règles là où il n'y en a pas, d'inventer des contraintes là où aucune n'existe. Tout ce qui compte, c'est le choix. Alors choisis. Choisis. »

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Merci à mes deux compagnons de route, NicolaK et Patlancien, observateurs à mes côtés.
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La collection Une Heure-Lumière n'en finit pas de nous surprendre.
Après un Lucius Shepard halluciné (Le Livre écorné de ma vie) et un Adrian Tchaikovsky labyrinthique (Sur la route d'Aldébaran), voici que débarque Catherine Webb (alias Claire North) avec une trilogie de novella intitulée La Maison des Jeux. le premier volume, le Serpent, nous transporte à Venise en 1610 alors qu'une impitoyable succession se prépare après la mort de Stephano Barbaro, inquisiteur au Tribunal Suprême…

Le Jeu des Rois
Mais revenons d'abord au tout début.
Le Serpent, c'est avant tout l'histoire de Thene, une jeune fille juive mariée par convenance à Jacamo de Orcelo, un Vénitien endetté et médiocre qui transforme sa vie en un calvaire silencieux et brutal.
Un jour, le mari et l'épouse franchissent le seuil de la mystérieuse Maison des Jeux, un établissement réputé de la Sérénissime où tout se joue.
Tandis que Jacamo se ridiculise une fois de plus et dilapide la fortune qu'il lui reste, Thene se découvre un don pour le jeu. Rapidement, elle comprend qu'on l'obverse et que les arbitres de l'établissement trient le bon grain de l'ivraie sans mot dire.
Elle parvient ainsi de l'autre côté de la Porte d'Argent qui mène à la Haute Loge, là où le jeu prend une autre ampleur et où les joueurs parient bien davantage que des pièces ou des titres. Thene et trois autres talents se voient proposer de rejoindre la Haute Loge par la mystérieuse Maîtresse des Jeux.
Pour se faire, il leur faudra jouer, bien sûr, mais avec des pièces différentes et pour un but bien plus grand. le jeu des Rois peut commencer.
Le lecteur pénètre ainsi dans la Venise du XVIIème siècle en compagnie d'un narrateur mystérieux qui semble observer notre héroïne. Une narration atypique, en « nous », qui offre immédiatement un cachet unique à l'entreprise de Claire North. Un premier pari osé mais gagnant qui entretient le mystère et ajoute une certaine élégance délicieusement désuète à l'écriture déjà magnifique de l'autrice (et impeccablement rendue par la traduction de Michel Pagel).
De ce « nous », le lecteur s'imprègne petit à petit jusqu'à ce confondre avec ce narrateur-voyeur qui semble tout connaître et tout (re)découvrir avec un plaisir non dissimulé, décortiquant les peines et les ambitions avec un bonheur égal.
Le Serpent prend alors l'allure d'une version fantasy de The Game de David Fincher, troquant l'environnement réaliste pour un terrain de jeu historique mais conservant jusqu'au bout l'aura paranoïaque du jeu en lui-même.

Du tarot dans mes échecs !
Ce jeu proposé n'a pourtant rien d'aussi simple qu'une partie de poker ou de dés. Thene se voit proposer de « jouer » avec des vies humaines pour pousser son avantage et permettre à son concurrent, sa « pièce », d'accéder au poste si convoité de Tribun. Claire North imagine que le jeu des puissants, celui de l'Église, des riches marchands et des nobles fourbes, n'est pas qu'une métaphore, il est réel, tangible et de machiavéliques individus masqués s'affrontent en coulisses pour le privilège d'intégrer la Haute Loge.
Le Serpent devient alors un jeu politique impitoyable au coeur d'une Venise où les coups bas et les trahisons se succèdent. Non seulement la novella utilise son contexte historique et sa ville emblématique pour sublimer son récit mais elle prend le parti d'aller au bout des choses en transformant le lecteur lui-même en un simili-arbitre qui s'amuse à prévoir les coups des uns et des autres tout en suivant la stratégie de l'héroïne, la formidable Thene.
C'est elle qui constitue le point d'ancrage du lecteur dans ce double jeu, celui des Rois et celui des puissances derrière La Maison des Jeux. C'est elle qui donne son humanité et sa puissance au texte pour nous permettre de ne pas rester en dehors du récit comme on suit une retransmission ou un match aux contours flous. Avec Thene, le lecteur comprend l'envie de gagner à tout prix, les enjeux derrière la valse politique, la sensibilité derrière le masque figé, le féminisme avant l'heure.
Le jeu devient un moyen de sortir de sa condition de femme-objet, une façon de tout risquer pour trouver une place qui lui revient de droit mais comme tout a un prix, le jeu inventé par Claire North est aussi celui de l'existence elle-même, un jeu qui coûte des vies humaines et cause des drames.
Car, comme on l'a dit, Thene joue une « pièce humaine », déshumanisant par la-même les autres atouts dans sa manche, les cartes qui sont autant de personnages redevables à la Maison des Jeux. Thene a l'occasion de se servir d'autres personnes, ce qui pourrait l'amener à les considérer comme des ressources sacrifiables sur l'autel d'un but qui les dépasse. Mais ce n'est pas le cas. Claire North refuse et montre les histoires cachées derrière ces « esclaves » qui s'ignorent. L'intensité dramatique vient non seulement de Thene et de son acharnement pour réussir à se libérer du joug de son existence, mais également des sacrifices qui seront fait, des sentiments qui seront trompés ou manipulés. Des vies qui seront perdues à jamais.

Même les Dieux saignent
Et puis au-delà de cette course truculente au poste de Tribun où le suspense reste à son comble jusqu'à la dernière page, il y a l'envie de Claire North d'ébaucher un monde plus vaste où deux puissances s'affrontent en silence : la stratégie et les plans machiavéliques de la Maison des Jeux et le chaos du hasard d'un mystérieux individu surnommé l'Oiseau. En imaginant que le monde est régit par des puissances qui nous dépassent (et en remaniant en un sens le principe même de Dieux), Claire North s'interroge sur la balance de l'univers et oppose deux visions de l'existence, deux façons de concevoir la course du temps : le hasard et le destin.
Les mystères qui entourent La Maison des Jeux et sa mythologie renforce encore le monde imaginé par l'anglaise et laisse largement de quoi faire pour les prochains volumes. Si pour l'instant le lecteur ne dispose que de bribes d'informations à propos de la Maitresse des Jeux et de ses objectifs, si l'on ne fait qu'entrevoir des joueurs de la Haute Loge vieux de plusieurs centaine d'années et que l'on devine des enjeux d'une importance invraisemblable, on est surtout captivé par l'utilisation impeccable de la théorie du complot par l'autrice, cette façon de fondre en un seul moule captivant un jeu des trônes, une manipulation dans l'ombre et une histoire à hauteur d'hommes. Une histoire capable de toucher et d'affirmer que même ceux qui jouent éprouvent haine, amour ou déception, que même les puissants ont des failles et des fêlures, que derrière L Histoire se cachent aussi des êtres de chair capables de pleurer et d'aimer.

Ce premier tome de la Maison des Jeux vous promet la quintessence de l'imaginaire, cette capacité à tordre les contours du réel pour mieux se jouer de son lecteur et l'entraîner dans une réflexion si vaste qu'il lui faut un récit à la mesure de l'humanité profonde de ses personnages et des enjeux qui les dévorent.
Claire North mise gros, Claire North ose, Claire North triomphe et impressionne.
Lien : https://justaword.fr/la-mais..
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Venise. Dans toute sa splendeur et ses mystères. Et le jeu. le jeu ! Quel magnifique et puissant récit que Claire North nous offre là en nous faisant participer à cette partie d'échecs entre hommes et femmes agrémentée de cartes de tarot au sein des rues, ruelles et canaux de la Sérénissime.
On est pris dans ce jeu et emmené à toute vitesse dans cette mystérieuse partie où la ruse, les complots, les contrats, les alliances, se font et se défont. Les peurs, les doutes et les mystères rôdent.
Mais quelle partie !
On est totalement immergé dans ce récit écrit de façon remarquable.
Que nous offrira le tome 2 ?
S'il est de la même veine, quels beaux cadeaux !

La Maîtresse des jeux vous a choisi.
Les dés roulent.
Les cartes s'abattent.
Etes-vous prêt ?

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Venise, 1610.
Thene est une jeune épouse mal mariée. Son père a conclu un « arrangement » avec Jacamo del Orcelo, qui a un titre ancien mais dont la pauvreté est nouvelle. La dot de Thene est un appât irrésistible.
Son mari honteux d'avoir épouser une Juive va le lui faire payer. Il sera odieux à tout point de vue.
Un jour, Thene accompagne à sa demande Jacamo dans une étrange maison. Devant la froideur de sa femme à toutes ses rebuffades, il veut l'humilier en lui donnant à voir ce qu'il fait avec les prostituées, ce qu'il fait aux tables de jeux, imbibé d'alcool. Car cette maison sans âge est La Maison des Jeux. Dans la Basse Loge on joue aux dés, aux cartes, au mahjong, aux échecs… La Haute Loge n'est ouverte qu'aux initiés et tout ce que l'on sait est que les jeux qui s'y déroulent sont d'une autre nature.
Thene, qui se révèle être une bonne joueuse, est à son tour invitée dans la Haute Loge. Elle est conviée à participer à un jeu autrement plus tors qu'une partie de dames et dont l'enjeu est bien plus important qu'un simple gain pécuniaire.
Si elle se montre astucieuse, maligne, stratégique, elle peut l'emporter et ne gagnera rien de moins que sa liberté.
Prié d'accompagner le narrateur dans l'observation de cette partie, le lecteur est amené comme tous les protagonistes à endosser un masque afin d'observer le jeu en cours, les joueurs, les coups en préparation, les supputations sur ceux à venir, leur pièce et les atouts qui les aideront à l'emporter à condition de bien jouer, pas trop vite, de ne pas présumer de ses forces, qu'un adversaire ne lance à un coup tordu. .. et que le hasard fasse bien les choses.
Voici un court récit parfaitement construit, très bien écrit, qui livre juste ce qu'il faut d'informations pour suivre avec passion Thene dans les ruelles, les palais de Venise pour suivre cette partie grandeur nature.
Hâte de lire le tome 2.
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