Citations sur Le faucon afghan. Un voyage au pays de Talibans (7)
Magnifique récit de voyage, très bine écrit. Dommage que ce soit un peu court.
Magnifique récit de voyage, très bine écrit. Dommage que ce soit un peu court.
Quand on s'éloigne de Bamiyan, on ne peut s'empêcher de contempler une dernière fois les deux grands Bouddhas. Les immenses statues ont supporté bien des engeances, des furies innommables, à l'image du peuple afghan, la colère de Gengis Khan, le courroux de l'empereur mongol Aurangzeb qui pulvérisa au XVIIIe siècle les jambes du grand Bouddha au canon de campagne, puis les talibans iconoclastes, qui non seulement ont déposé des armes à leurs pieds, histoire d'effrayer les Hazara qui s'échinaient à reprendre la ville, mais qui ont aussi fermé les yeux sur le pillage, avec les fresques en stuc découpées, revendues au Pakistan et souvent maculées. Quand les fresques sont impossibles à décrocher et à piller, on trempe des chaussures dans une peinture blanche et on les presse contre elles comme un tag primitif, histoire d'imprimer sa marque censoriale et un peu de dogme taliban sur ces peintures sacrilèges, de telle sorte que la remarque de l'écrivain britannique Robert Byron, qui voyagea en Afghanistan en 1933 et consigna dans ses carnets : "Je n'aimerais pas rester longtemps à Bamiyan. Son art sent le faisandé", cette remarque prend une dimension nouvelle avec les ajouts des turbans noirs.
Pas à pas, si l'on peut dire, à l'allure où va la jeep qui, en parfaite montagnarde, calque sa vitesse sur l'altitude, la montagne révèle ses petits secrets, notamment une vue inoubliable sur une primevère ainsi que le spectacle d'un aigle royal (Aquila chtysoetos) tournant lentement au-dessus de nos têtes comme pour nous avertir d'un quelconque péril, qui concernerait soit notre propre personne, soit lui-même, étant donné que cet animal est de plus en plus chassé, autant sinon plus que le faucon, mais avec un net désavantage puisque chaque couple ,'élève qu'un seul jeune, qui devra attendre cinq ans avant de se reproduire, ce qui n'empêche nullement le rapace de chasser le faucon, cycle de prédation correspondant étrangement à la société afghane, prédatrice elle-même, jusqu'aux talibans dont certains fidèles nous assurent qu'ils finiront par se bouffer les uns les autres, oiseaux de proie brusquement atteints de "caïnisme", illustrant le propos de Philippe Berthelot rapporté par Paul Morand : "La supériorité de la guerre civile sur l'autre, c'est qu'on connaît ceux qu'on tue."
Quand on franchit le portail de Torkham, au-delà de la passe de Khyber aux murailles ocres, au-delà d’une ligne de chicanes en béton, on discerne une horde de chameaux sur le bas-côté droit, dans un méplat de poussière jaune, à moins que ce ne soit du sable transporté par le vent des montagnes sur les sommets desquelles on peut apercevoir des fortins vieux de l’Empire des Indes. Les caravaniers afghans chargent sur leurs bêtes de somme de lourds paquets, des magnétoscopes, des caisses de shampooing, de la pacotille vendue dans les bazars du Pakistan, de Peshawar à Lahore.
La souffrance de l'Afghan, c'est la victoire du fanatisme sur le charme. Les tentations affectives ont plongé dans les puits de l'oubli, comme l'enchantement de l'inconnu s'est perdu dans la mare du dogme, celui de la pureté. L'amour en pays taliban est banni, et les amants sont massacrés.
Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou.