Scrutant ce qu'on nomme savamment les dialogues mixtes, elle ne perçoit que tentatives féminines avortées pour se faire entendre, voix fluettes couvertes par des organes phoniques plus puissants, chevauchements et interruptions brutales des prises de parole féminines par les mâles présents, suivis de chutes prolongées des voix de femmes dans un silence d'impuissance - pour le dire plus crûment, elle la bouclent facilement - marques appuyées de désintérêt de l'interlocuteur masculin. Elle note aussi l'asymétrie remarquable des postures de chacun qui voit l'interlocutrice coopérer vaillamment à la réussite du discours masculin, poser des questions, acquiescer, sauver la face du discoureur, s'assurer, comme un enfant, qu'on l'écoute en recourant sans cesse au mode phatique - "D'accord ?", "Tu comprends ?", "Tu vois ce que je veux dire ?". En gros, elles font tout le boulot, fournissent tout l'effort de soutien du dialogue, permettent le développement exhaustif des sujets choisis par l'interlocuteur.
La seule variante admise semble être celle de l'inclinaison - un rejet de la verticalité trop conquérante ? - la femme penche beaucoup : elle s'incline sur tout ce qui vit, un berceau, une épaule, une fleur, elle s'incline vers la terre, elle s'incline aussi sur elle-même, sa tête est naturellement penchée, ses paupières à demi-closes, les yeux sont baissés eux aussi. Les écritures féminines sont, dit-on, plus penchées elles aussi. Comment interpréter ce déficit de verticalité ? Ziza se perd en conjectures. Humilité ? Attirance irrépressible vers la terre donc. Incapacité naturelle à se tenir debout ? Femmes-roseau, femmes-fétu, femme-brindille courbées sous les bourrasques de la vie. Révérence innée envers tout ?