J'ai de très bons souvenirs de la ville d'Ostende qui nargue la Mer du Nord comme une chanson de
Jacques Brel et traîne le désespoir du genre humain depuis la chanson Ferré et Caussimon. Sur cette côte flamande se retrouvent
Stefan Zweig et
Joseph Roth, les deux immenses et si différents écrivains autrichiens. D'autres intellectuels aussi avant leur partance goûtent les derniers feux de la belle saison avant la longue nuit. Il y a aussi
Hermann Kesten,
Egon Erwin Kisch, le dramaturge
Ernst Toller,
Arthur Koestler, tous écrivains ou journalistes juifs. Quelques femmes aussi dont l'écrivaine
Irmgard Keun, seule aryenne, qui partage quelques mois la vie de
Joseph Roth et son goût pour l'alcool. Tous plus tout à fait en villégiature et pas encore vraiment en fuite.
Ostende 1936 de
Volker Weidermann, directeur littéraire du Franfurter Allgemeine Zeitung, croque ainsi quelques moments au bord du gouffre. Chacun à sa manière sait à peu près l'inéluctable et ils ont déjà pas mal erré, ces dégénérés, Zurich, la Côte d'Azur, Amsterdam, plus ou moins interdits de publication. L'amitié de Zweig et Roth (photo), si dissemblables quoiqu'issus tous deux de l'Autriche-Hongrie, était assez explosive, l'un célèbre auteur de nouvelles raffinées, l'autre dans la dèche et la déprime et qui ne serait reconnu que bien après sa mort. Critiquant parfois vertement et réciproquement leurs oeuvres ils s'appréciaient néanmoins, Zweig acceptant volontiers les conseils littéraires de Roth, celui-ci acceptant encore plus volontiers l'aide financière de Zweig.
Roth
En juillet 1936, tous ces réfugiés partageaient encore un apéritif sous le ciel de la mer du Nord. Koestler allait couvrirr la Guerre Civile Espagnole. Berlin allait avoir ses Dieux du Stade. Expression consacrée, l'Europe dansait sur un volcan. Thanatos planait déjà sur la côte belge, qui devait conduire au suicide
Ernst Toller, à New York,
Stefan Zweig et sa jeune femme Lotte Altmann, au Brésil. Alcoolisme terminal et déprime maximale firent de la mort à Paris de
Joseph Roth plus qu'un simulacre de suicide. Ce court roman-vrai de Weidermann est très intéressant, une saison à la plage en compagnie de sces écrivains "massacrés" qui restent des hommes, Dieu merci, et non des icônes. J'aurais aimé peut-être quelques éléments biographiques d'accompagnement car si j'ai beaucoup lu Roth (
La marche de Radetzky est un de mes chocs littéraires) et un peu Zweig pourtant plus connu (c'est vrai que le cinéma y est pour beaucoup), les autres figures importantes de ce livre demeurent assez ignorées en France. Dominique partage cet avis. Ostende 1936 - Voker Weidermann