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Robert Chevanier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070423958
522 pages
Gallimard (16/10/2002)
3.83/5   69 notes
Résumé :
En décembre 1934, Simone Weil entre comme « manœuvre sur la machine » dans une usine. Professeur agrégé, elle ne se veut pas « en vadrouille dans la classe ouvrière », mais entend vivre la vocation qu'elle sent être sienne : s'exposer pour découvrir la vérité. Car la vérité n'est pas seulement le fruit d'une pensée pure, elle est vérité de quelque chose, expérimentale, « contact direct avec la réalité ».

Ce sera donc l'engagement en usine, l'épreuve... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Voici un ouvrage très intéressant mais assez ardu à lire.
Simone Weil est une pionnière dans la psychologie du travail et plus particulièrement dans ce que l'on appelle l'observation participante. Non contente d'être agrégée de philosophie elle veut se mettre réellement à la place des ouvrières des usines pour le travail à la pièce.
Elle se fait donc engagé comme manoeuvre dans différentes usines et expérimente ainsi par elle-même le dur labeur qu'il faut encaisser pour pouvoir vivre.
C'est cette expérimentation que nous raconte ce livre. Il y a même ce que l'on nomme le journal d'usine, c'est-à-dire le travail qu'elle effectue heure par heure, le nombre de pièces qu'elle fabrique, les accidents, les pannes, l'argent qu'elle gagne.
On y découvre l'intenable répétition des taches, l'épuisement au travail jusqu'à devenir ce qu'elle appel « une bête de somme » dénué de la capacité de réfléchir par elle-même.
Livre par moment usant à lire car il y a beaucoup de répétition dans le journal d'usine. Livre par moment très intéressant surtout quand elle revient sur la genèse du mouvement sur la rationalisation du travail. Livre très pertinent pour comprendre le mouvement du syndicat ouvrier en France.
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Dates, heures, minutes, quantités, taux, sommes... informations sèches quant à l'état physique ou moral, voilà le rendu brut de huit mois de condition ouvrière. Les chiffres envahissent, recouvrent les mots, semblent marteler corps et cerveau, l'étourdir comme le bruit incessant, assourdissant et irrégulier des machines. Chacun ainsi tendu vers son objectif de productivité n'a que peu le temps et l'énergie pour la solidarité. L'employé envahi par les chiffres devient pseudo-machine dont l'imperfection manuelle peut signifier une mise hors-service prochaine (débauchage, sous-paye, accidents). Comme si le numérique - déjà introduit dans l'usine comme un ver - amenait irrémédiablement à la déshumanisation. Comme l'explique Günther Anders quelques années plus tard dans L'Obsolescence de l'humanité : dans le monde des machines, tant l'esprit que le corps humains deviennent une gêne... L'ouvrier n'est pourtant pas encore cette mécanique dépourvue d'humanité qu'on pourrait incorporer sous formes de chiffres dans des tableurs, mais bien une humanité empêchée, en suspens, prête à reprendre le dessus dès que possible. C'est ce miracle sans doute que perçoit Simone Weil dans ces quelques moments inattendus, comme des rayons d'humanité perçant au travers des rouages, ces regards et sourires de compassion, ces gestes de fraternité, fondamentalement gratuits, une chaleur intense qui rendrait acceptable et presque digne cette vie d'usine qui se rapproche parfois tant de l'esclavage : l'effort merveilleux d'un Sisyphe qui chaque jour renouvelle sa lutte obstinée contre la déshumanisation.

En entrant à l'usine, Simone Weil veut rompre avec la position de surplomb des intellectuels socialistes et communistes, bourgeois et hommes de livres et d'école venant faire la leçon dans les usines et dire aux hommes de main ce qu'ils doivent penser... qui ainsi les objectivisent tout autant que l'industrie. Il s'agit de renouer avec une philosophie pratique associant corps et esprit. L'enjeu la philosophe est d'éprouver dans le corps souffrant la configuration de l'univers mental de l'ouvrier. Derrière chaque parole vue comme grossière et simpliste, le râle d'une partie du corps douloureuse (on retrouverait ici l'écriture corporelle typique de ces autres Damnés de la Terre que sont les colonisés, telle que la décrit Frantz Fanon). Expérience limite : à un certain seuil de fatigue physique, peut-on encore penser ? Giflé dans son égo, peut-on encore chercher le bien ? Se révolter, quand on est au sous près pour manger ? Expérience existentielle de sortie de soi (et non enquête de sociologie : Weil dénonce cette réticence du penseur à se mettre réellement à la place d'autrui), expérience christique de partage de la douleur, de rabaissement de soi… le Jésus qui entraîne l'adhésion de Simone Weil n'est pas la figure théologique construite par l'Église mais la figure historique qui inspire les Évangiles, un homme qui rejoint et organise les opprimés, souffre avec eux pour lancer une révolte contre le colon romain et ses relais dans les instances judaïques.

Refusant l'opposition frontale et idéologique, Simone Weil se situe plutôt dans un projet chrétien (ou simplement démocratique) de rapprochement des sensibilités : monde intellectuel, élites et ouvriers. Mais la tentative de dialoguer avec les patrons tourne court lorsque sa modeste proposition d'expérimenter une parole libre dans le journal d'entreprise (sorte d'ergonomie collective : permettre aux corps ouvriers d'extérioriser leurs troubles, de faire émerger des idées concrètes d'arrangement) se heurte à un refus catégorique d'un patron pourtant supposé progressiste : refus de voir discutée son autorité, diminué le pouvoir dû à son statut... C'est que la proposition est déjà profondément anarchiste : valoriser la parole de l'employé, c'est déjà remettre en question la verticalité de l'ordre et préparer la prise de décision collective. Elle semble y perdre ses illusions... L'exploitation des ouvriers n'est pas que le résultat d'un choix de mise en oeuvre favorisant des intérêts économiques. le mythe de l'échec de la construction de la Tour de Babel n'est peut-être pas tant celui de la divergence des langues que de l'impossible entente dans une société hiérarchisée à l'image d'une tour... Dans un article rapportant une discussion lunaire entre patrons au sujet des grèves, Simone Weil se résout à un jugement catégorique : la plupart des dirigeants n'ont en fait aucune réelle envie de voir le monde s'améliorer et sont clairement drogués à la domination (préférant la ruine à la perte de privilèges). On peut là encore comparer la situation des ouvriers à celle des colonisés : dans son Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire met bien en évidence que l'intérêt du colon, de son aveu même, n'est pas seulement économique mais que la colonie permet la satisfaction de penchants sadiques et la valorisation d'une catégorie par l'assujettissement d'une autre. L'infériorisation d'un autre humain, le commandement autoritaire, donnent l'illusion, au colon tant qu'à un patron, d'être un être humain de nature supérieure.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Mme Weil n'était pas une philosophe de salon , cela se voit trés clairement ici ,dans ce texte ou sans démagogie , sans populisme , elle dresse un portrait trés réaliste de la condition ouvriére en usine . Ce texte est fondamental , car enfin voila une "photographie" réaliste d'un millieu que beaucoup disent connaitre , mais qui n'a au final quasiment jamais eu une étude aussi profonde que celle - çi. Ce n'est pas du Mélenchon , encore moins du le pen , c'est une réflexion profonde sur une partie de la condition humaine . Indispensable ? Absolument !
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Composé de lettres et de son journal, c'est un livre qui semble d'une terrible actualité car aujourd'hui beaucoup de personnes quittent leurs travails, les patrons ont du mal à recruter etc.
Or dans ce livre, Simone Weil qui a elle-même expérimenté le travail à la chaîne, évoque le sens qu'il faudrait donner au travail...
Son acuité intellectuelle a traversé le temps...
"la tentation la plus difficile à repousser dans une pareille vie, c'est celle de renoncer tout à fait à penser..."
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Ce livre est en réalité un recueil des textes que la philosophe Simone Weil a consacré à la question de la condition ouvrière suite à son expérience volontaire en tant qu'ouvrière dans différentes usines en 1934 et 1935. Il en résulte forcément une certaine répétition, étant donné que les lettres, les articles, les conférences, les essais , sont autant formes littéraires qui permettent à Simone Weil de développer ses idées à partir de cette période d'expériences vécues. Toutefois ces témoignages et réflexions sont intéressants à plus d'un titre : d'un point de vue historique, il s'agit des années du Front Populaire en France, juste avant la Seconde Guerre mondiale ; d'un point du vue politique, Simone Weil n'était pas dupe (déjà !) de la réalité des partis bolchéviques ; d'un point de vue du travail, ses réflexions sur le taylorisme permettent de comprendre l'aliénation mentale que représente cette répartition du travail. Je trouve en cela que sa conférence intitulée La Rationalisation est la plus intéressante du recueil. Je note toutefois une remarque qui m'a beaucoup surpris quand elle dit que « le problème du régime le plus désirable dans les entreprises industrielles (…) n'a jamais été posé (…) à ma connaissance, il n'a jamais été étudié par les théoriciens du mouvement socialiste »(p.304), j'ai quand même du mal à croire qu'une intellectuelle comme elle ne connaissait pas le travail de Robert Owen à New Lanark. le Journal d'usine reproduit ici ne m'a pas le plus intéressé, j'ai nettement mieux aimé les réflexions qu'elle avait su tirer de ce journal.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
J'ai tiré en somme deux leçons de mon expérience. La première, la plus amère et la plus imprévue, c'est que l’oppression, à partir d'un certain degré d'intensité, engendre non une tendance à la révolte, mais une tendance presque irrésistible à la plus complète soumission. Je l'ai constaté sur moi-même, moi qui pourtant, vous l'avez deviné, n'ai pas un caractère docile; c'est d'autant plus concluant.
La seconde, c'est que l'humanité se divise en deux catégories, les gens qui comptent pour quelque chose et les gens qui comptent pour rien. Quand on est dans la seconde, on en arrive à trouver naturel de compter pour rien - ce qui ne veut certes pas dire qu'on ne souffre pas. Moi je le trouvais naturel. Tout comme, malgré moi, j'en arrive à trouver à présent presque naturel de compter pour quelque chose.
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Seulement, quand je pense que les grrrands [sic] chefs bolcheviks prétendaient créé une classe ouvrière libre et qu'aucun d'eux -Trotsky sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus - n'avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers - la politique m'apparaît comme une sinistre rigolade.
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Solitude du penseur, p. 261
Vous me paraissez bien optimiste quand vous parlez d’écrire pour le public. Nous ne sommes plus au XVIIe ni au XVIIIe siècle. Il n’y a plus de public éclairé, il n’y a – à part un petit nombre d’hommes exceptionnels – que des spécialistes à culture étroitement limitée, et des gens sans culture. Il est facile, en s’y prenant bien, de passionner le public pour une thèse, mais à condition de faire appel à tout autre chose qu’à la réflexion. La terrible formule de Stendhal : « Tout bon raisonnement offense » n’a jamais été plus largement applicable que de nos jours. Dans les conditions de vie accablantes qui pèsent sur tous, les gens ne demandent pas la lucidité, ils demandent un opium quelconque, et cela, plus ou moins, dans tous les milieux sociaux. Si on ne veut pas renoncer à penser, on n’a qu’à accepter la solitude. Pour moi, je n’ai d’autre espérance que de rencontrer çà et là, de temps à autre, un être humain, seul comme moi-même, qui de son côté s’obstine à réfléchir, à qui je puisse apporter et auprès de qui je puisse trouver un peu de compréhension. Jusqu’à nouvel ordre de pareilles rencontres restent possibles – la preuve est que nous nous écrivons – et c’est un bonheur extraordinaire, dont il faut être reconnaissant au destin.
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Ce qui compte dans une vie humaine, ce ne sont pas les événements qui y dominent le cours des années - ou même des mois - ou même des jours. C'est la manière dont s'enchaîne une minute à la suivante, et ce qu'il en coûte à chacun dans son corps, dans son cœur, dans son âme - et par dessus tout dans l'exercice de sa faculté d'attention - pour effectuer minute après minute cet enchaînement.
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Quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu'aucun d'eux - Trotsk sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus - n'avait mis le pied dans une usine et par suite n'avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers - la politique m'apparaît comme une sinistre rigolade.
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Videos de Simone Weil (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Simone Weil
Cette vidéo présente l'oeuvre de Simone Weil, "La condition ouvrière", de manière thématique.

Ancienne élève de l'École normale supérieure (Ulm), agrégée, et docteur en philosophie, Muriel van Vliet enseigne en classes préparatoires scientifiques et littéraires.
Pour aller plus loin :
Télécharger le résumé thématique complet https://bit.ly/ResthemWeil
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