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EAN : 9782070325634
384 pages
Gallimard (02/03/1990)
4.16/5   115 notes
Résumé :


"II me parait impossible d'imaginer pour l'Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a défi-nies" a écrit Albert Camus.

"L'Enracinement" ce "prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain" a été écrit par Simone Weil en 1943, à Londres, peu de temps avant sa mort. II a été considéré, à juste titre, comme son testament spirituel.

Simone Weil examine les rapports entre l'ind... >Voir plus
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Dangereuse et brillante. Simone Weil peut faire tourner la tête à n'importe qui. Une liesse croissante s'empare au cours de la lecture de l'Enracinement. Oui, oui, oui ! c'est cela ! J'imagine Simone Weil parler en face d'un auditoire et le public l'applaudir sans discontinuer… ou rester muet, figé d'humilité à l'écoute de paroles aussi pures et authentiques.


« Quatre obstacles surtout nous séparent d'une forme de civilisation susceptible de valoir quelque chose. Notre conception fausse de la grandeur ; la dégradation du sentiment de la justice ; notre idolâtrie de l'argent ; et l'absence en nous d'inspiration religieuse. On peut s'exprimer à la première personne du pluriel sans aucune hésitation, car il est douteux qu'à l'instant présent un seul être humain sur la surface du globe terrestre échappe à cette quadruple tare, et plus douteux encore qu'il y en ait un seul dans la race blanche. »


Comment aurait évoluée la République française après 1789 si Simone Weil s'était imposée en amont ? Que serait devenu le marxisme si Karl Marx avait planché sur ses écrits ? Quel monde aurait créé Hitler s'il avait été biberonné aux idéaux de cette mystique ? Que deviendrait notre société si, enfin, on faisait une croix sur des valeurs héritées du mensonge ?


L'analyse historique de Simone Weil s'éloigne de toutes les considérations habituellement remâchées. Qu'est-ce que cette fierté française qu'on veut nous faire avaler ? le triomphe de la force et de l'esclavage, hérités de la Rome antique, avilissent les hommes, les sociétés et les valeurs et corrompent la justice, empêchant le rétablissement de tout équilibre. La situation devient critique à partir des siècles derniers, alors que la volonté d'unification sous le couvert de la notion galvaudée de « patrie » se charge d'effacer les dernières traces de corporatisme ou de régionalisme. Ce qui restait d'authentique et de vrai disparaît, dominé par une nouvelle forme de violence qui se dissimule sous les oripeaux de la devise « Liberté, égalité, fraternité ». La revendication de laïcité rend obsolète une religion qui, déjà, s'était laissée contaminer par la force et l'individualisme depuis qu'elle avait été associée à la monarchie –première étape vers sa destruction. La science la remplace, sans se rendre compte qu'elle ne constitue qu'une nouvelle manifestation de la foi dont le contenu métaphorique aurait été remplacé par un contenu métonymique sans aucune valeur nutritive. Cette science perfide, remuée avant tout par des intérêts qui visent la gloire personnelle et l'entretien financier plus la justice, ne ressemble plus à la science noble pratiquée par les grecs antiques. Elle se dégrade en même temps que la notion de justice et aboutit à la conception de l'utilitarisme, cette doctrine qui légitime la toute-puissance de la force en lui permettant de se fondre à l'insu de tous dans la coquille vide de la justice. L'utilitarisme légitime à son tour le libéralisme économique lorsque la force se quantifie en pièces sonnantes et clinquantes, elle légitime le marxisme lorsque la force prend le nom d'Histoire et admet la lutte des classes, elle légitima le nazisme et légitime encore aujourd'hui la violence d'une société vouée entièrement à la consommation et à la distraction, au détriment des valeurs fondamentales nécessaires à l'épanouissement de l'être humain. Toutes nos fonctions d'alimentation sont désormais assurées, sauf celle qui confère à l'âme sa substance. Simone Weil a analysé les formes du déracinement dans les milieux ouvrier et agricole, on en analyserait aujourd'hui les formes telles qu'elles se manifestent dans la classe moyenne sous l'apprêt de névroses ou de suicides programmés. Les névrotiques, éternels insatisfaits, désespérés et malheureux, subissent le déchirement que nous inflige une société qui se meut dans l'erreur. Les racines de ces malheureux n'ont pas été totalement arrachées, celles qui restent leur rappellent encore l'inscription de tout individu dans la continuité d'un monde peuplé d'ancêtres, de tradition et de vie. Ceux qui programment leur condamnation sont ceux qui n'ont plus de racine, ou qui ne les écoutent plus : ils se sont lancés dans la bataille tête la première et ont oublié que les victoires durables ne sont pas seulement celles du triomphe personnel. Il ne s'agit peut-être là que d'une forme plus accentuée de névrose.


Restent ceux qui sentent leurs racines plus que les parasitages du monde extérieur. S'ils veulent renouer le contact, ils se libèreront progressivement de la détresse et de la lassitude. Ils doivent croire qu'ils ne sont pas seuls. Simone Weil fournit une première voix qui confère la confiance.


« Tant que l'homme tolère d'avoir l'âme emplie de ses propres pensées, de ses pensées personnelles, il est entièrement soumis jusqu'au plus intime de ses pensées à la contrainte des besoins et au jeu mécanique de la force. S'il croit qu'il en est autrement, il est dans l'erreur. Mais tout change quand, par la vertu d'une véritable attention, il vide son âme pour y laisser pénétrer les pensées de la sagesse éternelle. Il porte alors en lui les pensées mêmes auxquelles la force est soumise. »


Sa parole est une grâce à laquelle on craint d'abord de céder –les pires tyrans ne sont-ils pas ceux qui revendiquent l'absolue vérité de leur parole envers et contre celle de tous les autres ? mais si on consent à lâcher la bride une fois, l'effusion de chaleur se répand. Rien ne permet de prouver la bonté qui sous-tend le discours de Simone Weil, sinon cette adhésion spontanée de l'âme qui n'a pas besoin d'être érudite pour discerner le bien durable du bien immédiat, celui qui est bientôt couronné par ses conséquences funestes. C'est aussi ce que le philosophe grec Epicure discernait lorsqu'il différenciait les désirs naturels des désirs vains (richesse, gloire, immortalité…).


Simone Weil propose des mesures concrètes qui permettraient de transposer au niveau terrestre la transcendance qui remplissait le message chrétien avant sa corruption. Rien de compliqué : il s'agit de rendre à l'individu sa dignité afin qu'il lui soit permis de se tourner vers ses semblables le coeur plein d'amour et de grâce parce que libéré de ses frustrations. Il s'agit de le rendre conscient de l'harmonie prodigieuse qui relie l'immanence de sa vie terrestre à la transcendance de l'humanité, sur terre et dans le ciel (ou au moins dans la continuité de nos généalogies, traditions, civilisations et âmes collectives). Cela peut se faire sur le plan intellectuel, par exemple en ôtant la culture des mains du pouvoir dominant et en lui rendant son caractère véridique, en lien avec les réalités endurées au quotidien par les hommes. :


« Par exemple, quelle intensité de compréhension pourrait naître d'un contact entre le peuple et la poésie grecque, qui a pour objet presque unique le malheur ! Seulement il faudrait savoir la traduire et la présenter. Par exemple, un ouvrier, qui a l'angoisse du chômage enfoncée jusque dans la moelle des os, comprendrait l'état de Philoctète quand on lui enlève son arc, et le désespoir avec lequel il regarde ses mains impuissantes. Il comprendrait aussi qu'Électre a faim, ce qu'un bourgeois, excepté dans la période présente, est absolument incapable de comprendre – y compris les éditeurs de l'édition Budé. »


Cela peut se faire également sur le plan pratique, en rendant leur âme aux ateliers à la manière des corporations médiévales :


« Un ouvrier pourrait parfois montrer à sa femme le lieu où il travaille, sa machine, comme ils ont été si heureux de le faire en juin 1936, à la faveur de l'occupation. Les enfants viendraient après la classe y retrouver leur père et apprendre à travailler, à l'âge où le travail est de bien loin le plus passionnant d'un métier, et pourraient à leur choix se perfectionner dans celui-là ou en acquérir un second. le travail serait éclairé de poésie pour toute la vie par ces émerveillements enfantins, au lieu d'être pour toute la vie couleur de cauchemar à cause du choc des premières expériences. »


Mesures utopiques dans l'état actuel des choses, non seulement au niveau politique mais aussi au niveau éthique. Même les meilleurs d'entre nous doivent être purgés pour retrouver le sens d'un monde régi par la justice, l'obligation et l'obéissance à la vérité. Après des siècles passés à nous faire prendre l'esclavage pour la liberté, nous ne savons plus que la liberté n'est possible qu'à condition d'être obéissance au bien éternel, et non plus aux satisfactions temporelles de la force. La notion d'obéissance même fait peur et nous rappelle les pires totalitarismes mais c'est parce que nous l'avons subordonnée à la force depuis des millénaires, alors que l'obéissance à la vérité et à la justice ne devrait pas conduire au malheur de l'humanité. Et qu'importe si ce n'est qu'une utopie ? Irréalisable peut-être, mais concrète dans les exigences qu'elle requiert et dans les idéaux qu'elle construit.


« On n'a même pas la certitude que l'idée d'un ordre où toutes les obligations seraient compatibles ne soit pas une fiction. Quand le devoir descend au niveau des faits, un si grand nombre de relations indépendantes entrent en jeu que l'incompatibilité semble bien plus probable que la compatibilité.

Mais nous avons tous les jours sous les yeux l'exemple de l'univers, où une infinité d'actions mécaniques indépendantes concourent pour constituer un ordre qui, à travers les variations, reste fixe. Aussi aimons-nous la beauté du monde, parce que nous sentons derrière elle la présence de quelque chose d'analogue à la sagesse que nous voudrions posséder pour assouvir notre désir du bien. »


L'obéissance ultime, sur le plan de notre réalité terrestre, se concrétise selon Simone Weil dans l'assujettissement absolu au travail physique. C'est ici la conclusion la plus définitive de la disparition de l'âme individuelle dans l'âme collective, mais c'est en même temps son chant du cygne et l'éclat paradoxal de sa gloire, qu'il serait peut-être bon de rapprocher de cette humble constatation de Sainte Thérèse :


« Un jour que je me plaignais d'être obligée de manger de la viande et de ne pas faire pénitence, j'ai entendu qu'on disait qu'il y avait parfois plus d'amour du moi que de désir de pénitence dans un semblable chagrin. »


L'extrémité d'un tel sacrifice devrait rester un horizon pour nos destinées, ou la tentation d'un ultime orgueil. Mais peut-être ne le devrait-elle pas et alors, Simone Weil court beaucoup trop loin devant nous pour que nous puissions la rattraper. Nos âmes ne sont peut-être pas encore assez passionnées, ni assez affamées pour reconnaître la nécessité d'une telle consomption. le prophète est à l'heure, mais le Messie vient toujours trop tôt.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Je ne savais pas comment faire un commentaire sur cet essai et aujourd'hui quelques jours après avoir fini ma lecture, j'ai enfin décidé de me lancer dans la rédaction de quelque chose.
Quelque chose ? En effet … Je ne sais pas trop quoi en dire ni quoi en penser …
Alors je vais tâcher de vous exposer un rapide résumé. L'enracinement se décompose en trois parties. La première expose les besoins de l'âme puis les décline comme le besoin d'ordre, la liberté, l'obéissance, la responsabilité, l'égalité, la hiérarchie, l'honneur, le châtiment, la liberté d'opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective et enfin la vérité. On enchaîne ensuite sur une partie qui explique le déracinement, notamment le déracinement ouvrier, celui paysan et le lien étroit entre le déracinement et la nation. On termine par une partie relative à l'enracinement.
Donc trois parties, le compte est bon ! Mais je ne viens que de vous proposer le sommaire de cet essai … En effet, ce résumé pose plus de questions qu'il n'en résout … Et maintenant je vais essayer de préciser le propos de Simone Weil dans la mesure de mes pauvres capacités. Ne me tenez pas rigueur si mes explications sont peu claires car j'avoue tout de go que moi-même je me suis perdu plus d'une fois et je ne suis même pas sûr d'avoir toujours retrouvé le bon chemin …
Il serait utile de comprendre ce que Simone Weil entend par besoin de l'âme. Ce besoin de l'âme est intimement relié à une notion d'obligation. En effet, S Weil entame son essai ainsi :
« La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par l'obligation à laquelle il correspond »
Voilà qui n'éclaire guère notre lanterne. En fait, cette pensée se précise peu à peu
« Un homme qui serait seul dans l'univers n'aurait aucun droit, mais il aurait des obligations »
« La notion de droit, étant d'ordre objectif, n'est pas séparable de celles d'existence et de réalité. Elle apparaît quand l'obligation descend dans le domaine des faits ; par suite elle enferme toujours dans une certaine mesure la considération des états de fait et des situations particulières. »
« L'obligation seule peut être inconditionnée »
« L'obligation ne lie que les êtres humains »
« Cette obligation a non pas un fondement, mais une vérification dans l'accord de la conscience universelle. »
Voici quelques points qui permettent de comprendre le concept d'obligation selon Weil.
« La liste des obligations envers l'être humain doit correspondre à la liste de ceux des besoins humains qui sont vitaux, analogues à la faim. »
Evidemment ces besoins ne sont pas que physiques mais peuvent être moraux et s'étendre :
« On doit du respect à une collectivité, quelle qu'elle soit – patrie, famille, ou tout autre – non pas pour elle-même, mais comme nourriture d'un certain nombre d'âmes humaines.
En ce qui concerne les concepts d'enracinement et de déracinement, j'ai trouvé le paragraphe introductif du second chapitre assez explicite
« L'enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. »
Par la structure de cet essai en petits paragraphes quasi indépendants les uns des autres, Simone Weil fait preuve d'une fulgurance qui porte le lecteur à s'armer de son arme préférée pour noter des citations. Oui, pour moi, l'Enracinement est incontestablement une machine à citation : phrases courtes, percutantes et le plus souvent dans un contexte minimaliste. D'ailleurs, si on considère la biographie de Simone Weil, elle apparaît comme un caméléon aux idées multiples, voire contradictoires si ce n'était pas elle qui les énonçait.
Et dans ce texte, il me plait de penser qu'elle dévoile une partie de son intimité, ses « besoins d'âme ». Je n'ai pu m'empêcher de faire un lien entre son mysticisme avéré et son propos qui semble dans un premier temps peu étayé ou justifié mais plus de l'ordre de la révélation. Mais ceci n'est en réalité que le premier niveau de lecture, le premier sentiment à cette lecture étonnante et détonante. Car la justification et l'étaiement se construisent au fur et à mesure, de manière diffuse, sans liens réellement perceptibles. Je pourrais dire que finalement les propos sortent de l'ordre de la compréhension pour être plutôt ressentis ou perçus (du moins c'est mon analyse personnelle …).
Après je ne voudrais pas oublier la richesse et le foisonnement des idées et des propos qui sont souvent étonnants ou déroutants : ne va-t-elle pas jusqu'à trouver des excuses à Hitler ?
Hitler ? Oui il en est question mais aussi de Rome, des Grecs de l'antiquité, de Richelieu, de Charles VI … Weil intègre et justifie souvent ses propos par une relecture de l'Histoire selon des périodes et hommes clef. Je l'ai d'ailleurs trouvée le plus souvent un peu trop péremptoire dans ce registre.
Mais l'enracinement c'est aussi un cri d'amour à la France et cela ne m'ait apparu évident qu'aujourd'hui, jour de commémoration de l'armistice de la Première Guerre Mondiale. C'est un essai éminemment français dans ses références et offert aux Français : je me demande bien ce que pourrait penser un étranger d'un tel texte … Un cri d'amour perdu ou éloigné car ce texte transpire par toutes ces pages les heures sombres pendant lesquelles il a été rédigé : une France bicéphale alternant entre De Gaulle ou Pétain, entre la résistance et la collaboration.
Et maintenant, qui a envie de s'enraciner ?
Et pour la bonne bouche, une citation :
Une anecdote hindoue raconte qu'un ascète, après quatorze années de solitude, revint voir sa famille. Son frère lui demanda ce qu'il avait acquis. Il l'emmena jusqu'à un fleuve et traversa à pied sous ses yeux. le frère héla le passeur, traversa en barque, paya un sou et dit à l'ascète : « Cela vaut-il la peine d'avoir fait quatorze ans d'efforts pour acquérir ce que je peux me procurer pour un sou ? » C'est l'attitude du bon sens.
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« L'enracinement », signé Simone WEIL, est souvent présenté comme le prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain. ‘Devoirs', concept que l'auteure, Simone WEIL, remet en question dès les premières lignes en le couplant au concept de ‘droits', entité ‘droits et devoirs' à laquelle elle préfère la notion ‘d'obligations' ! On a déjà ici tout une belle et forte perspective de réflexions et de révisions de nos jugements habituels sur ce qui est censé fonder nos vies.
Simone WEIL, figure mystique chrétienne, atteinte de tuberculose, préféra quitter New York puis Londres où elle travaillait pour la France du Général de Gaule et venir finir ses jours sur les terres de France pour y partager les souffrances de ceux restés au Pays. Elle y mourut le 24 août 1943.
Son essai est un essai philosophique, religieux et politique, écrit avec brillance, référencé à souhait et, même si la poussière du temps à quelque peu recouvert ses lignes, les propos sont utiles, compréhensibles. Ils interpellent et respectent le lecteur qui sera seulement invité à se situer en profondeur sur ce qu'il nomme besoins indispensables, racines de l'âme et de la vie collective, sens et pouvoir de la vie, de la mort, du travail et de l'obéissance qu'il se doit à lui-même et au monde quand il déroule sa vie, ses envies, ses passions et combats.
Je ne pense pas que ce livre exige, pour être lu et compris, un partage des convictions de foi de l'auteure. Il ne se veut en rien un essai prosélytique et, par ailleurs, le coup de plume de Simone WEIL se transforme parfois en coups de griffes bien acérées lorsqu'elle dénonce les reprises du message de foi initial par les puissances terrestres de son époque comme de celle des grands empires grecque et romain à qui nous accordons trop facilement à ses yeux le label d'origines fécondes de notre humanité.
Le seul ‘acte de foi' que réclame l'adhésion à un volonté de lecture intelligente de cet essai est celui de reconnaître que l'Homme doit rester lucide face à lui-même, à l'Histoire qui lui tient lieu de tuteur plus que de vérité nourricière et qu'il lui faut garder au coeur de sa vie les besoins qui sont légitimes à la grandeur de l'Humanité et les obligations que toute vie fait naître dès qu'un individu se revendique Homme parmi les Hommes, avec ou sans dieux.
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Ce qui frappe dans ce livre écrit l'année de sa mort, c'est le ton passionné de Simone Weil — la passion était sa trajectoire de vie —, et dans la première partie sur « Les besoins de l'âme », la séquence de ces besoins : l'ordre, la liberté, l'obéissance, la responsabilité, l'égalité, la hiérarchie, l'honneur, le châtiment, la liberté d'opinion, la sécurité, le risque, la propriété privée, la propriété collective, et en dernier lieu la vérité. Une séquence n'est pas une hiérarchie et Simone Weil oppose les couples égalité/hiérarchie, honneur/châtiment, sécurité/risque dans le contexte de l'époque : honte de la défaite, nécessité de nouveaux combats.

Ce même contexte peut expliquer, quoiqu'il étonne chez une femme révoltée, une conception humble, rurale et patriarcale de l'enracinement : « Les grandes usines seraient abolies. Une grande entreprise serait constituée par un atelier de montage relié à un grand nombre de petits ateliers, d'un ou de quelques ouvriers chacun, dispersés à travers la campagne » (p 87). « Quand le jeune ouvrier, rassasié et gorgé de variété [par des voyages du mode “tour de France”], songerait à se fixer, il serait mûr pour l'enracinement. Une femme, des enfants, une maison, un jardin lui fournissant une grande partie de sa nourriture, un travail le liant à une entreprise qu'il aimerait, dont il serait fier, et qui serait pour lui une fenêtre ouverte sur le monde, c'est assez pour le bonheur terrestre d'un être humain » (p 88). Idem pour les jeunes paysans : « On n'imagine pas la puissance de l'idée de voyage chez les paysans, et l'importance morale qu'une telle réforme pourrait prendre, même avant d'être réalisée, à l'état de promesse, et bien plus une fois la chose entrée dans les moeurs. le jeune garçon, ayant roulé par le monde plusieurs années sans jamais cesser d'être un paysan, rentrerait chez lui, ses inquiétudes apaisées, et fonderait un foyer » (p 96). Cette projection fixe la séparation des ouvriers et des paysans, des mondes urbain et rural du travail — chacun à sa place —, et boucle sur le primat de l'ordre sur la vérité, dans une idée religieuse de la morale et de la dignité : « Notre époque a pour mission propre, pour vocation, la constitution d'une civilisation fondée sur la spiritualité du travail » […] « Car, en allant au fond des choses, il n'y a pas de véritable dignité qui n'ait une racine spirituelle et par suite d'ordre surnaturel » (p 108-9).

L'enracinement évoque alors une utopie morale, culturellement et scientifiquement régressive : « Le problème de la culture de l'esprit se pose pour les paysans comme pour les ouvriers. À eux aussi, il faut une traduction qui leur soit propre ; elle ne doit pas être celle des ouvriers ». La science « doit être présentée aux paysans et aux ouvriers de manière très différente » (p 99). Science et religion s'opposent : « Aujourd'hui la religion est une chose du dimanche matin. le reste de la semaine est dominé par l'esprit de la science. Les incroyants, qui y soumettent toute leur semaine, ont un sentiment triomphant d'unité intérieure. Mais ils ont tort, car leur morale n'est pas moins en contradiction avec la science que la religion des autres […]. Chez les chrétiens, l'incompatibilité absolue entre l'esprit de la religion et l'esprit de la science, qui ont l'un et l'autre leur adhésion, loge dans l'âme un malaise sourd et inavoué » (p 264-5).

Chemin faisant, Simone Weil nous donne sa lecture du Nouveau Testament, des mystères antiques et des présocratiques ; parcourt l'Histoire et justifie sa haine pour Rome et son amour de la Grèce antique et du christianisme originel ; et révèle le motif de ses choix esthétiques : « Il y a un point de grandeur où le génie créateur de beauté, le génie révélateur de vérité, l'héroïsme et la sainteté sont indiscernables. Déjà, à l'approche de ce point, on voit les grandeurs tendre à se confondre. On ne peut pas discerner chez Giotto le génie du peintre et l'esprit franciscain ; ni dans les tableaux et les poèmes de la secte zen en Chine, le génie du peintre ou du poète et l'État d'illumination mystique. […] L'Iliade, les tragédies d'Eschyle et celles de Sophocle portent la marque évidente que les poètes qui ont fait cela étaient dans l'état de sainteté […]. Racine a écrit la seule oeuvre de toute la littérature française qui puisse presque être mise à côté des grands chefs-d'oeuvre grecs au moment où son âme était travaillée par la conversion. […] Une tragédie comme le roi Lear est le fruit direct du pur esprit d'amour. La sainteté rayonne dans les églises romanes et le chant grégorien. Monteverdi, Bach, Mozart furent des êtres purs dans leur vie comme dans leur oeuvre » (p 252-3).

Que pouvait penser De Gaulle, commanditaire du livre, de ces positions exaltées ? Selon Marie-Chalotte Cadeau (https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-1-page-22.htm), il la jugea folle. Pour ses mises en garde (« Le gouvernement qui surgira en France après la libération du territoire sera devant le triple danger causé par ce goût du sang, ce complexe de mendicité, cette incapacité à obéir », p 171) ? Pour sa discrète flagornerie (« Le mouvement français de Londres a précisément le degré qui convient de caractère officiel pour que les directives envoyées par lui contiennent le stimulant attaché à des ordres, sans pourtant ternir l'espèce d'ivresse lucide et pure qui accompagne le libre consentement au sacrifice » p 221) ? Pour ses conseils (« La méthode d'action politique esquissée ici dépasse les possibilités de l'intelligence humaine, du moins autant que ces possibilités sont connues. Mais c'est là précisément ce qui en fait le prix. Il ne faut pas se demander si l'on est ou non capable de l'appliquer. La réponse sera toujours non. Il faut la concevoir d'une manière parfaitement claire ; la contempler longtemps et souvent ; l'enfoncer pour toujours au lieu de l'âme où les pensées prennent leurs racines ; et qu'elle soit présente à toutes les décisions » p 234-5) ?

Pardon pour cette ironie. le livre contient aussi des réflexions d'une grande élévation : voir les deux citations complétant cette critique.
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«La lecture est une drogue incomparable, parce que, plus qu'à la médiocrité de notre vie, elle nous permet d'échapper à la médiocrité de notre âme.»
Nicolás Gómez Dávila

L'enracinement est un livre inachevé, assez foutraque. Il mélange programme politique pour l'après Libération, analyse historico- philosophique et mysticisme chrétien. Une lecture à priori peu faite pour plaire à un sceptique. Et pourtant...

Ce livre est traversé par l'intelligence intuitive et la sensibilité: il est le reflet de la personnalité de Simone Weil, de son rapport au monde, de sa morale. Une pensée haute, pure, exigeante, intransigeante, fruit d'une sensibilité extrême, fondée sur le respect et l'amour, sur une compassion totale. Simone Weil, l'intellectuelle mystique, me fait penser à Louise Michel, la militante anarchiste. Une même éthique, une même morale, un même sacrifice de soi. Leurs différences, notamment politiques, ne sont que des bagatelles. Toutes deux sont admirables, et si peu d'êtres le sont.
Je ne retient pas tout, je n'approuve pas tout. Une telle morale, appliquée au domaine politique, peut parfois être dangereuse. Trop utopique, trop absolue, pour ainsi dire pas assez humaine. Un ami De Stendhal disait à ce dernier: « Vous tendez vos filets trop haut. » Ce mot s'applique tout à fait à Simone Weil. Il n'empêche, on se prend à rêver que des politiques s'inspirent d'elle (aucune chance). En attendant, c'est nous qu'elle devrait inspirer.
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Citations et extraits (194) Voir plus Ajouter une citation
« L’enracinement », signé Simone WEIL, est souvent présenté comme le prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain. ‘Devoirs’, concept que l’auteure, Simone WEIL, remet en question dès les premières lignes en le couplant au concept de ‘droits’, entité ‘droits et devoirs’ à laquelle elle préfère la notion ‘d’obligations’ ! On a déjà ici tout une belle et forte perspective de réflexions et de révisions de nos jugements habituels sur ce qui est censé fonder nos vies.
Simone WEIL, figure mystique chrétienne, atteinte de tuberculose, préféra quitter New York puis Londres où elle travaillait pour la France du Général de Gaule et venir finir ses jours sur les terres de France pour y partager les souffrances de ceux restés au Pays. Elle y mourut le 24 août 1943.
Son essai est un essai philosophique, religieux et politique, écrit avec brillance, référencé à souhait et, même si la poussière du temps à quelque peu recouvert ses lignes, les propos sont utiles, compréhensibles. Ils interpellent et respectent le lecteur qui sera seulement invité à se situer en profondeur sur ce qu’il nomme besoins indispensables, racines de l’âme et de la vie collective, sens et pouvoir de la vie, de la mort, du travail et de l’obéissance qu’il se doit à lui-même et au monde quand il déroule sa vie, ses envies, ses passions et combats.
Je ne pense pas que ce livre exige, pour être lu et compris, un partage des convictions de foi de l’auteure. Il ne se veut en rien un essai prosélytique et, par ailleurs, le coup de plume de Simone WEIL se transforme parfois en coups de griffes bien acérées lorsqu’elle dénonce les reprises du message de foi initial par les puissances terrestres de son époque comme de celle des grands empires grecque et romain à qui nous accordons trop facilement à ses yeux le label d’origines fécondes de notre humanité.
Le seul ‘acte de foi’ que réclame l’adhésion à un volonté de lecture intelligente de cet essai est celui de reconnaître que l’Homme doit rester lucide face à lui-même, à l’Histoire qui lui tient lieu de tuteur plus que de vérité nourricière et qu’il lui faut garder au cœur de sa vie les besoins qui sont légitimes à la grandeur de l’Humanité et les obligations que toute vie fait naître dès qu’un individu se revendique Homme parmi les Hommes, avec ou sans dieux.
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La symbolique grecque explique le fait que Pythagore ait offert un sacrifice dans sa joie d'avoir trouvé l'inscription du triangle rectangle dans le demi-cercle.

Le cercle aux yeux des Grecs, était l'image de Dieu. Car un cercle qui tourne sur lui-même, c'est un mouvement où rien ne change et parfaitement bouclé sur soi-même. Le symbole du mouvement circulaire exprimait chez eux la même vérité qui est exprimée dans le dogme chrétien par la conception de l'acte éternel d'où procèdent les relations entre les Personnes de la Trinité.

La moyenne proportionnelle était à leurs yeux l'image de la médiation divine entre Dieu et les créatures. Les travaux mathématiques des Pythagoriciens avaient pour objet la recherche de moyennes proportionnelles entre nombres qui ne font pas partie d'une même progression géométrique, par exemple entre l'unité et un nombre non carré. Le triangle rectangle leur a fourni la solution. Le triangle rectangle est le réservoir de toutes les moyennes proportionnelles. Mais dès lors qu'il est inscriptible dans le demi-cercle, le cercle se substitue à lui pour cette fonction. Ainsi le cercle, image géométrique de Dieu, est la source de l'image géométrique de la Médiation divine. Une rencontre aussi merveilleuse valait un sacrifice.
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Il serait simple de faire avec soi-même le pacte de n'admirer dans l'histoire que les actions et les vies au travers desquelles rayonne l'esprit de vérité, de justice et d'amour; et, loin au-dessous, celles à l'intérieur desquelles on peut discerner à l'oeuvre un pressentiment réel de cet esprit.
Cela exclut, par exemple, Saint Louis lui-même, à cause du fâcheux conseil donné à ses amis ,de plonger leur épée au ventre de quiconque tiendrait en leur présence des propos entachés d'hérésie ou d'incrédulité.
On dira, il est vrai, pour l'excuser, que c'était l'esprit de son temps, lequel, étant situé sept siècles avant le nôtre, était obnubilé en proportion. C'est un mensonge. Peu avant Saint Louis, les catholiques de Béziers, loin de plonger leur épée dans le corps des hérétiques de leur ville, sont tous morts plutôt que de consentir à les livrer. L'Eglise a oublié de les mettre au rang des martyrs, rang qu'elle accorde à des inquisiteurs punis de mort par leurs victimes. Les amateurs de la tolérance, des Lumières et de la laïcité , au cours des trois derniers siècles, n'ont guère commémoré ce souvenir non plus; une forme aussi héroïque de la vertu qu'ils nomment platement tolérance aurait été gênante pour eux.
Mais quand même ce serait vrai, quand même la cruauté du fanatisme aurait dominé toutes les âmes du Moyen-Age, l'unique conclusion à en tirer serait qu'il n'y a rien à admirer dans cette époque. L'esprit de vérité, de justice et d'amour n'a absolument rien à voir avec un millésime; il est éternel: le mal est la distance qui sépare de lui les actions et les pensées; une cruauté du Xème siècle est exactement aussi cruelle , ni plus ni moins, qu'une cruauté du XIXème.
Pour discerner une cruauté, il faut tenir compte des circonstances, des significations variables attachées aux actes et aux paroles, du langage symbolique propre à chaque milieu; mais une fois qu'une action a été indubitablement reconnue comme une cruauté, quels qu'en soient le lieu et la date, elle est horrible.
On le sentirait irrésistiblement si l'on aimait comme soi-même tous les malheureux qui, il y a deux ou trois mille ans, ont souffert de la cruauté de leurs semblables.
On ne pourrait pas alors écrire, comme M. Carcopino, que l'esclavage était devenu doux à Rome sous l'Empire, vu qu'il comportait rarement un châtiment plus rigoureux que les verges.
http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Carcopino
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…la liberté n’est pas plus ou moins grande selon que les limites sont plus étroites ou plus larges. Elle a sa plénitude à des conditions moins facilement mesurables.
Il faut que les règles soient assez raisonnables et assez simples pour que quiconque le désire et dispose d’une faculté moyenne d’attention puisse comprendre, d’une part l’utilité à laquelle elles correspondent, d’autre part les nécessités de fait qui les ont imposées. Il faut qu’elles émanent d’une autorité qui ne soit pas regardée comme étrangère ou ennemie, qui soit aimée comme appartenant à ceux qu’elle dirige. Il faut qu’elle soit assez stables, assez peu nombreuses, assez générales, pour que la pensée puisse se les assimiler une fois pour toutes les fois qu’il y a une décision à prendre.
     
À ces conditions, la liberté des hommes de bonne volonté, quoique limitée dans les faits, est totale dans la conscience. (…)
     
Ceux qui manquent de bonne volonté ou restent puérils ne sont jamais libres dans aucun état de la société.
Quand les possibilités de choix sont larges au point de nuire à l’utilité commune, les hommes n’ont pas la jouissance de la liberté. Car il leur faut, soit avoir recours au refuge de l’irresponsabilité, de la puérilité, de l’indifférence, refuge où ils ne peuvent trouver que l’ennui, soit se sentir accablés de responsabilité en toute circonstance par la crainte de nuire à autrui. En pareil cas, les hommes croyant à tort qu’ils possèdent la liberté et sentant qu’ils n’en jouissent pas, en arrivent à penser que la liberté n’est pas un bien.
     
p.87
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Les tentatives du même genre dans l'analyse de l'histoire peuvent être illustrées par une pensée ingénieuse exprimée dans une revue catholique de New York, lors du dernier anniversaire de la découverte de l'Amérique. Elle disait que Dieu avait envoyé Christophe Colomb en Amérique afin qu'il y eût quelques siècles plus tard un pays capable de vaincre Hitler. Cela est encore bien au-dessous de Bernardin de Saint-Pierre; cela est atroce. Dieu, apparemment, méprise , lui aussi, les races de couleur; l'extermination des populations d'Amérique au XVIème siècle lui paraissait peu de chose au prix du salut des Européens du XXème siècle; et il ne pouvait pas leur amener le salut par des moyens moins sanglants. On croirait qu'au lieu d'envoyer Christophe Colomb en Amérique plus de quatre siècles à l'avance, il aurait été plus simple d'envoyer quelqu'un assassiner Hitler aux environs de 1923.
On aurait tort de penser que c'est là un degré exceptionnel de bêtise. Toute interprétation providentielle de l'histoire est par nécessité située exactement à ce niveau
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