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Bernard Lortholary (Traducteur)
EAN : 9782070779413
368 pages
Gallimard (15/11/2007)
3.86/5   7 notes
Résumé :

" Je ne suis pas le monstre qu'on fait de moi. Je suis victime d'une erreur de raisonnement ", déclare Adolf Eichmann à l'issue de son procès. Comme après lui tous les exécuteurs allemands, rwandais, serbes et croates, dont les cas sont étudiés dans ce livre, il récuse résolument l'idée qu'il aurait agi monstrueusement et en dehors des catégories morales de la communauté des hommes. Pourtant tous ont tué systématiquement ceux qu'eux et leurs semblables a... >Voir plus
Que lire après Les exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masseVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Loin d'être des fous furieux dévorés par des pulsions bestiales, l'écrasante majorité des exterminateurs nazis s'avéraient, à l'origine, des gens ordinaires. A posteriori, ils comprendront à peine que l'on puisse leur reprocher quoi que ce soit.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les donneurs d'ordres reconnaissaient eux-mêmes combien l'élimination consciencieuse d'une multitude d'innocents, dans les camps, au bord d'une fosse, par le gaz ou par les armes, pouvait sembler difficile. Aussi le refus d'obéir n'était pas suivi de représailles. Pourtant, quasiment personne n'usa de cette tolérance : plutôt se prêter au carnage que se soustraire à un projet de société accepté par la majorité, et exigeant la disparition pure et simple des indésirables. Ainsi, de bons pères de famille, prenant sciemment « la décision d'obéir », apprenaient-ils à dispenser leurs rafales de mitraillette comme un travail à la chaîne, avec une expertise croissante. L'hostilité à l'égard des victimes n'était pas nécessaire : pire, elle était signe d'amateurisme. « Je ne tire pas plus qu'il ne faut », écrivait à ses enfants un exécuteur rompu à la liquidation de civils. Harald Welzer rapporte de nombreux témoignages de bourreaux à la conscience tranquille, principalement dans le contexte nazi mais également lors de conflits plus récents comme le Viêtnam, le Rwanda, ou l'ex-Yougoslavie. Il les passe au crible de la psychologie sociale de Solomon Asch et Stanley Milgram, qui se sont intéressés à la cruauté accomplie par soumission à l'autorité et aux mécanismes abolissant le sentiment de responsabilité personnelle. En l'occurrence, inutile de recourir aux grands moyens pour transformer Monsieur tout-le-monde en monstre : il suffit de redéfinir progressivement l'identité du groupe à préserver, et celle du groupe à exclure, dans un édifice en apparence rationnel, logique, accepté collectivement comme une nouvelle réalité. Ensuite, comme le rappelle l'intitulé du dernier chapitre, « tout est possible »…
Jean-François Marmion (Sciences Humaines.com)
Lien : http://www.scienceshumaines...
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
[A propos du Rwanda]

Il est maintenant bien attesté que la différenciation entre les deux groupes était pour l'essentiel un résultat de la colonisation et qu'en particulier la prédominance social de la minorité tutsi tenait à ce qu'elle avait été favorisée par les colonisateurs. Dans les années précédant le génocide, le sentiment de déclassement social répandu parmi les Hutu se transforma en l'idée d'une menace qui culmina dans une image totalisante de l'ennemi : un beau jour, la majorité hutu perçut une menace génocidaire que faisaient peser sur elle les Tutsi et contre laquelle il lui fallait se défendre de toutes ses forces avant que le prétendu plan tutsi d'exterminer les Hutu ne soit mis en application.
Or, cette idée de menace existentielle n'était pas simplement le produit de vagues fantasmes qui étaient dans l'air, elle avait été systématiquement suscitée par une guerre civile antérieure, puis corroborée par des écrits théoriques et par une propagande massive. Du coup, une différence ethnique qui auparavant n'était nullement marquée par des frontières infranchissables entre les groupes fut substantialisée et transformée en perception d'une hostilité mortelle. Et la technique de « l'accusation en miroir » joue là un rôle central : dans une sorte de fantasme génocidaire putatif, chaque côté soupçonnait l'autre de préméditer son extermination. Mais, à vrai dire, le schéma de l'accusation en miroir n'était pas un simple phénomène de psychologie sociale, il était explicitement recommandé comme méthode de propagande : à l'aide de cette technique, disait-on, « c'est le côté qui pratique la terreur qui accusera de terreur son ennemi ».
Le revers logique des fantasmes de menace ainsi répandus, c'est, chez ceux qui se sentent menacés, la naissance d'une disposition à se défendre – qui fait que toute forme d'attaque meurtrière et de destruction systématique peut être perçue, mutatis mutandis, comme une nécessaire action de défense. L'escalade en spirale de la menace supposée est à son tour encore poussée plus loin par des actions isolées et des massacres ciblés qu'on attribue au côté adverse ; c'est-à-dire qu'on traduit dans la réalité ce qui n'était auparavant qu'un décor de fantasmes terrifiants. Il s'agit là d'un moyen visiblement éprouvé et fort bien appliqué pour provoquer une dynamique d'escalade : on l'a vu appliqué avec succès aussi, par exemple, dans les guerres de l'ex-Yougoslavie et du Kosovo.
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L'idée qu'un jour pas si lointain l'on ne pourrait plus connaître les Juifs que « par ouï-dire » n'est pas une chimère personnelle de notre directeur de mont-piété ; en haut lieu, au même moment, on rassemblait déjà les éléments du futur Musée central juif des SS qui devait s'ouvrir à Prague, et les anthropologues racistes récoltaient minutieusement les données qui témoigneraient devant la postérité de l'existence d'une race éteinte. Que signifie cet étrange projet consistant, après avoir exclu, dépouillé, déporté et enfin assassiné des gens, à les transformer en objets de musée pour les intégrer à sa propre histoire ? D'une part, il témoigne que l'anéantissement d'un groupe humain n'est complètement achevé que si même le souvenir qu'on en a est anéanti ou bien défini au sein d'une vision hégémonique. Les États totalitaires pratiquent intensément – le stalinisme l'a montré le plus nettement – une politique mémorielle pragmatique, parce que la domination complète des hommes exige que l'on domine aussi leur mémoire, ainsi qu'on peut le voir également dans des utopies littéraires comme 1984 ou Fahrenheit 451.
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Nous trouvons donc là, au niveau de la perception sociale qu'avaient les exécuteurs et exécutrices, cinq éléments qui à leurs yeux donnaient sens à la tuerie. Il y avait d'abord le risque fantasmé d'être soi-même exterminé si l'on ne prenait pas de vitesse, par une action de prétendue défense, ces meurtriers qui vous menaçaient. Cette mortelle menace imaginaire d'un groupe par l'autre était, deuxièmement, accrue par le fait que la délimitation entre ces deux groupes était brouillée de facto par la mobilité entre eux : la violence extrême ayant dès lors la fonction de bien marquer la frontière et de structurer ainsi la réalité. La violence meurtrière et exterminatrice semble devenir régulièrement plus radicale quand la frontière entre « nous » et « eux » n'est pas parfaitement claire.
Troisièmement, c'est la définition de la tuerie elle-même qui la fait apparaître aux yeux des exécuteurs comme nécessaire et pleine de sens. En l'occurrence, elle n'est pas seulement définie et pratiquée comme un travail professionnel : ce travail est de surcroit enrobé dans une conception agricole de la société et de la nation qui fait de l'extermination totale un acte absolument utile pour cultiver son champ.
Quatrièmement, il se trouve que la structure administrative existante offre la possibilité de pratiquer un gigantesque meurtre de masse sans que rien en elle ne soit foncièrement modifié. Il suffit de définir le but de l'action administrative, ici la mise à mort des Tutsi, et dès lors l'appareil active son potentiel comme s'il s'agissait de n'importe quoi d'autre. Tout est déjà là, lorsqu'un nouvel objectif est fixé, et tout continue à fonctionner comme toujours.
Enfin, cinquièmement, les meurtriers pouvaient être assurés que leur action allait de soi, avait du sens, était normale, puisque tous les autres, aussi bien, faisaient ce qu'ils faisaient eux-mêmes.
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Nous savons aujourd'hui qu'il n'y a pas un seul cas attesté où quelqu'un qui aurait refusé de participer à une exécution aurait eu à en subir des conséquences personnelles graves, comme sa mutation dans un bataillon disciplinaire ou sa condamnation à mort. Les travaux auxquels on risquait d'être affecté en cas de refus d'obéissance pouvaient être désagréables, on se déconsidérait peut-être aux yeux des camarades, mais on ne risquait pas sa vie, ni, encore moins, celle de ses proches. Aussi bien, il eût été dysfonctionnel, pour la bonne marche des "Judenaktionen", qu'un trop grand nombre d'exécutants s'attirât de graves difficultés dans l'accomplissement de cette tâche. C'est d'ailleurs pour la même raison que l'on veillait à l'état psychologique des hommes et de leur bien-être. Quant au "Befehlsnotstand", cette impossibilité absolue de ne pas obéir aux ordres, ce fut un mythe invoqué et inventé par les protagonistes eux-mêmes, soucieux de trouver en dehors d'eux-mêmes, pour des raisons juridiques, un motif à leurs meurtres qui fût au moins une contrainte subjective et leur permît de se tirer d'affaire.
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Toutefois, les opérations décrites par Letica ressortissent à la violence extrême, mais non à la violence de destruction totale, et les guerres de l'ex-Yougoslavie sont plutôt caractérisées, globalement, par des formes de violence qui ne visaient pas l'extermination totale de l'adversaire. Il est vrai qu'il y eut aussi des exécutions de masse systématiques, ayant pour objectif d'anéantir au moins la partie masculine du groupe adverse. La plus connue de ces opérations d'extermination eut lieu à la mi-juillet 1995 à Srebenica, enclave bosniaque constituant une zone de sécurité de l'ONU, qui n'aurait donc pas dû être attaquée par les belligérants. L'armée serbo-bosniaque ne se soucia pas de ce statut particulier et attaqua la ville le 16 juillet 1995 […]
A ce moment-là, des milliers d'habitants musulmans avaient déjà pris la fuite et cherchaient à atteindre, non loin de là, le point d'appui de l'ONU à Potocari, ou bien à gagner, à travers les forêts environnantes, Tuzla sous contrôle bosniaque. Mais ces tentatives échouèrent dans de nombreux cas. Beaucoup de fuyards furent capturés dans les forêts ; à Potocari eut lieu un regroupement de musulmans bosniaques qui se termina par une véritable sélection : les hommes en âge de porter les armes, de dix-sept à soixante ans, furent séparés du reste, embarqués dans des bus, emmenés jusqu'à des lieux d’exécution choisis d'avance, et tués. Le même chose se passa à Srebenica les jours suivants. Au total, ces meurtres de masse planifiés firent 7 000 victimes. On a peine à imaginer ces événements lorsqu'on se rappelle que tout cela s'est passé sous les yeux des troupes néerlandaises de l'ONU.
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