Sorti entre deux tomes de la trilogie des Chats,
Depuis l'Au-Delà est un
Werber mineur, conçu comme une parenthèse entre deux oeuvres plus importantes.
L'intrigue est simple: un écrivain se réveille en fantôme et enquête sur les circonstances de sa mort, aidé en cela par une médium qui recherche de son côté son petit ami porté disparu. Avec ce mélange de policier et de spiritisme
Werber cherche à rendre hommage à
Arthur Conan Doyle, influence revendiquée car plus que citée dans le roman, mais il n'a pas le panache de l'auteur et sa double enquête, si elle se laisse suivre agréablement, se révèle mollassonne, emplie de péripéties sans conséquences et qui souffre d'une résolution absolument tirée par les cheveux, même pour lui. Les articles de
l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu sont toujours là et sont toujours aussi divertissant, l'occasion d'apprendre des anecdotes pour briller en société (j'ai particulièrement apprécié celle du Fantôme d'Heilbronn).
En fait l'intrigue est secondaire, la véritable raison d'être de ce roman est de permettre à
Bernard Werber de régler ses comptes avec
Yann Moix, qui lui crache gratuitement dessus depuis plusieurs années. Pour se venger il lui a créé un double littéraire, Jean Moisi, un méchant caricatural assez réjouissant, honnêtement, mais qui n'a la fin qu'il mérite dans l'histoire.
Werber a ses défauts, et tout ce qu'a pu dire
Moix sur lui n'est pas tout à fait faux;, mais c'est dommage de le voir rentrer ainsi dans jeu et de lui offrir l'honneur qu'il ne mérite pas d'être aussi présent dans son histoire. C'est encore plus dommage quand
Werber va plus loin et décide qu'il s'agit d'une dispute entre les auteurs de l'imaginaire et les auteurs de fictions réalistes, comme si les deux étaient irréconciliables. Aussi difficile et désagréable que cela puisse être de se faire insulter publiquement, le fait que ses lecteurs répondent toujours aussi présents à chaque nouveau livre et qu'il soit connu pour son travail littéraire plutôt que pour ses scandales et ses frasques comme l'est l'autre est une réponse bien plus éloquente que n'importe quelle autre.
Par contre je mets un carton rouge à
Bernard Werber pour son personnage de Lucy Filipini. A chaque fois ses personnages féminins sortent du même moule, et maintenant qu'il a plus de vingt ans d'expérience (le premier tome des Fourmis est sorti en 1991, mine de rien) on est en droit d'espérer qu'il soit capable d'écrire des femmes plus développées que de simples faire-valoir au héros: elles sont toujours plus jeunes que lui, elles sont belles, libre sexuellement et indépendante-mais-pas-trop. C'est d'autant plus vrai avec Lucy Filipini qui est décrite comme ressemblant à l'actrice
Hedy Lamarr, qui, coïncidence coïncidence, est l'idéal féminin du héros...sans parler de quelques scènes vers la fin du roman qui étaient ridicules. Je pense que
Bernard Werber est quelqu'un d'intelligent, curieux et capable de se remettre en question. Depuis #MeToo les questions de représentation de la femme dans les arts n'ont jamais été aussi présentes, c'est frustrant de le voir continuer à tomber dans les mêmes clichés sexistes. Certes, ce n'est pas un auteur connus pour ses personnages marquants, quels que soit leur genre (ou leur espèce), mais je suis certain qu'il est capable de faire mieux que cela.
En définitive, un
Werber décevant. Mal à propos, surtout. L'intrigue aurait méritée d'être un peu plus étoffée et certaines idées plus développée, plutôt que de passer autant de temps sur cette querelle.