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Critique de Antyryia



Notre monde tel que nous l'avions connu est désormais derrière nous.
Les guerres de religion modernes ont finalement eu raison des hommes.
Les fanatiques barbus ont voulu imposer leur croyance archaïque par la violence, les conflits ont éclaté sur la terre entière jusqu'à décimer les cinq sixièmes de la race humaine.
"Ils préféraient tuer leurs congénères au nom de leurs différences plutôt que de tenter de se réconcilier."
Les rues jonchées d'ordures et de cadavres ont attiré des hordes de centaines de milliers de rats, pillards assoiffés de sang, dévastant tout sur leur passage.
Dans ce futur proche, un nouvel ordre mondial s'établit.
"Tous les vestiges de la civilisation humaine sont envahis par le lierre, les ronces, les herbes."
Tamerlan, un rat albinos connecté à internet grâce à une prise USB dessinant un troisième oeil sur son front, est désormais à la tête de ces rongeurs impitoyables.
"Ce n'est pas un ennemi, c'est l'incarnation de la mort et de la destruction."
Son ambition ? La même que celui de son triste homonyme qui fit régner la terreur et décima des populations entières au quatorzième siècle au fur et à mesure de ses invasions. Conquérir le monde. Se venger des humains qui ont survécu dans ce monde post - apocalyptique, ainsi que de tous leurs alliés.
Mais pour cela, ses rats et lui doivent encore s'emparer d'un dernier territoire, en plein coeur de Paris.
En effet, sur une île de la Cité où la cathédrale Notre-Dame a été reconstruite après l'incendie qui l'avait ravagée en 2019, un peuple d'irréductibles chats résiste encore à l'envahisseur.

Beaucoup de lecteurs avaient imaginé qu'il y aurait sûrement une suite à Demain les chats, mais je ne croyais pas trop à cette hypothèse.
Pour moi, Werber avait fait le tour du sujet la première fois.
Impression qui s'est tout d'abord confirmée avec énormément de répétitions par rapport au premier tome : résumé des aventures précédentes de la chatte Bastet et de tous ses compagnons de voyage, paragraphes consacrés à la la ronronthérapie ou à l'histoire des chats dans l'antiquité et au moyen-âge qui font vraiment redite, un nouveau conflit
avec les rats qui se prépare alors que la bataille semblait gagnée pour les félins à l'issue de Demain les chats.
Mais peu à peu, Sa majesté des chats se démarque de son prédécesseur et parvient à se renouveler, autant du point de vue de l'intrigue que des touches culturelles.
Même s'il faut bien avouer que cette suite n'était pas foncièrement indispensable ( et qu'elle sera finalement le second tome d'une trilogie ) et qu'elle est davantage un prétexte pour nous faire retrouver Hannibal, Wolfgang, Esméralda, Nathalie, Patricia et surtout l'incroyable narratrice Bastet, je dois bien avouer que j'étais ravi de les revoir.
J'étais assez mitigé pourtant après ma lecture de Demain les chats mais force est de constater que je suis rentré très facilement dans cette suite et que malgré les deux années écoulées entre les deux parutions, je me souvenais encore parfaitement de l'histoire et des protagonistes du premier tome, qui m'avait donc marqué à sa façon plus que je ne l'aurais cru.
Et oui, je l'avoue, j'étais finalement content de retrouver ces matous et je me suis finalement laisser embarquer dans cette suite directe.

Bon, il faut quand même avouer que cette histoire, on n'y croit pas un instant. L'univers est encore plus cartoonesque qu'auparavant, on y retrouve encore davantage de types d'animaux qui dialoguent entre eux par le regard ou la pensée, et on peut autant penser aux fables De La Fontaine qu'à la satire de Georges Orwell "La ferme des animaux" ou, plus terre à terre, à certains dessins animés de Walt Disney puisqu'il faut bien avouer que certains passages un peu grotesques prêtent à sourire. Des chats qui pratiquent un art martial appelé chat-kwan-do, des chiens amenant d'eux mêmes un paquet de croquettes à des félidés affamés, l'utopie de Bastet qui voudrait qu'hommes et animaux puissent vivre en harmonie sous l'égide des chats, des messages d'un optimisme mielleux et agaçant ( "Il ne faut pas juger les êtres sur leur apparence." ).
Ce monde utopique où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, tout les animaux s'aiment et s'entraident et respectent leurs différences ... Des messages typiquement humais et particulièrement gnangnans.
Que viennent heureusement rattraper les rats, capables désormais de crucifier leurs victimes, symbole de leur cruauté, symbole des horreurs transmises par la chrétienté.

Encerclés par cette vermine qui assiège l'île de la cité dans laquelle chats et humains cohabitaient au mieux, Bastet doit à tout prix trouver une parade afin d'éviter aux siens de mourir de faim une fois les provisions épuisées. Avec sa servante humaine Nathalie et son partenaire siamois Pythagore, ils trouveront une façon de contourner les lignes ennemies pour aller chercher des secours à l'extérieur.
Commence alors un genre de road movie qui les emmèneront à Versailles, à l'Université d'Orsay ou encore au musée du Louvres.
Durant ces pérégrinations, Bastet rencontrera de nombreuses espèces animales : pigeons, chats, chiens, rats, faucon, écureuil, un drôle de cacatoès du nom de Champollion, des porcs dont le roi s'appelle Arthur qui ont une façon originale de rendre la justice, un taureau ou encore les humains scientifiques à l'origine de l'implantation du troisième oeil de Pythagore ou de Tamerlan.
Toute une succession d'aventures parfois ubuesques, toujours irréalistes, et pourtant derrière leur aspect parodique se cache toujours un message bien contemporain, une analogie avec le monde des hommes d'hier et d'aujourd'hui, sa politique, ses discriminations, sa consommation, ses guerres, son absurdité souvent en lien avec les croyances imposées par toutes les religions.

Comme de coutume, par le biais du douzième volume de l'ESRA ( Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu ), Bernard Werber nous fait profiter d'anecdotes scientifiques ou historiques aussi méconnues que savoureuses. Et toutes les religions en prennent justement pour leur grade, ce que j'ai particulièrement apprécié. Elles ne sont pas là pour vouer un culte à Dieu, quel qu'il soit, mais pour contrôler les hommes jusqu'à envahir leur quotidien de la façon la plus absurde qui soit. Ainsi, au moyen-âge, les relations sexuelles n'avaient bien sûr pour but que la procréation et il fallait bien respecter un calendrier complexe sous peine d'excommunication. Autant dire que faire l'amour dans un moment de désir était impossible. Plusieurs animaux ont été condamnés à mort par des tribunaux ecclésiastiques, et penser qu'en 2003 encore, en Turquie, un âne a été jugé coupable de comportement pervers et a subi la sentence capitale fait se poser de nombreuses questions sur la bêtise humaine.
Egalement, et curieusement, l'Iran qui aurait pu devenir une monarchie est devenu un état gouverné par des prêtres chiites dotés de leur propre police religieuse. Des sentences corporelles sont depuis prononcées contre toute femme osant blasphémer en découvrant en public une autre partie de son corps que son visage.
Toutes ces histoires dans l'histoire y sont toujours reliées, et j'ai apprécié par exemple la comparaison du siège des rats avec celui d'Alesia par Jules César, histoire dont j'ignorais les détails. Ou le parallèle de la confrontation entre Bastet et Tamerlan avec celle qui opposa au Mexique Cortès au chef aztèque Moctezuma au début du seizième siècle. J'ai aussi une meilleure idée de la façon dont les animaux sont exploités par les industries pharmaceutiques, notamment pour la création d'anti-dépresseurs. J'ignorais qu'un chirurgien s'était lui-même opéré de l'appendicite en 1921. Je ne vais pas faire une liste exhaustive de tout ce que j'ai appris, des étranges coïncidences dont je n'avais jamais entendu parler, mais c'est sûr que si tous ces extraits encyclopédiques n'ont pas le même intérêt, je ressors une fois encore enrichi d'un roman de Werber.
Plus riche culturellement, plus riche en questionnements également.
Saviez-vous que 30 % des êtres humains étaient atteints de toxoplasmose ?
Aucun danger à priori sauf pour les femmes enceintes. Mis à part une attirance apparente pour la prise de risques.
"Les personnes atteintes de toxoplasmose rouleraient plus vite et seraient trois fois plus nombreuses à avoir des accidents."
Maintenant j'ai un argument de poids si je suis contrôlé pour excès de vitesse !

Mais le principal charme du roman, c'est sa narratrice : Bastet.
Gloire et louanges à sa majesté des chats.
Parce que forcément, lire une histoire racontée par un chat, ça lui donne un côté inédit.
D'autant que Bastet n'est pas n'importe quel matou. C'est elle qui est à la tête des chats et des hommes rassemblés sur l'île parisienne, et son ambition n'est autre que de succéder aux humains et de reprendre le flambeau en gouvernant cette terre agonisante ou chaque espèce vivante - hommes, animaux, plantes - vivraient en harmonie.
Elle a la folie des grandeurs.
"Et je serai la chatte noire et blanche qui permettra d'assurer cette passation de pouvoir entre humains et félins."
Werber lui attribue quand même un mode de pensée très humain. Et tout particulièrement une fierté, une arrogance et une mauvaise foi qui forcent le sourire, parce qu'il n'y a pas la moindre méchanceté derrière ces caractéristiques , c'est juste le mode de fonctionnement de cette reine aussi prompte à chanter ses propres louanges quand elle fait preuve de courage ou d'initiative, qu'à reprocher à autrui ses erreurs en cas d'échec.
"Comme il est fatigant d'avoir toujours raison et de ne pas être comprise par les esprits étriqués autour de soi."
"C'est malheureux que les gens n'en fassent toujours qu'à leur tête alors qu'ils ont si souvent tort et moi raison."
Afin de préparer son avènement à venir, il lui faudra bien sûr être plus stratège que les rats, mais aussi découvrir de nouvelles émotions. Selon sa servante Nathalie, il manque aux chats trois spécificités qui les séparent des qualités de l'homme.
"Décidément, tout concourt à ce que je résolve les trois énigmes de l'art, de l'humour et de l'amour."
Alors même si oui, parfois c'est du grand n'importe quoi, quel plaisir pour nous, lecteurs et pauvres humains, de découvrir ce qui peut faire rire un chat, de le voir s'éveiller à la compassion, se connecter à la nature.
Mais plus encore, quel pied d'entendre Bastet donner des conseils en amour à deux humains qui se tournent un peu trop longtemps autour ( libre à vous d'appliquer lesdits conseils lors d'une prochaine rencontre ! ) ou de tenir des propos féministes.
"Qu'est-ce qu'un mâle pouvait comprendre à la pensée complexe d'une femelle ?"
C'est vraiment elle, cette chatte altière aussi pénible qu'attachante, qui donne son mordant et ses lettres de noblesse à un roman qui sans sa prestance aurait été bien fade.

Sa majesté des chats présente ainsi deux degrés de lecture, comme Demain les chats avant lui.
Un public de jeunes adolescents pourrait très bien y trouver son compte, le roman étant particulièrement accessible, amusant, et enfantin par bien des aspects.
Mais si j'ai commencé ma lecture en arborant une légère grimace face à ce délire Werberien, je me suis finalement rendu compte que j'avais envie d'y revenir, et de retrouver ma petite chatte ( les esprits mal placés m'épargneront leurs commentaires ! ).
Et sans même évoquer Bastet, comme toutes les fables ce livre qui met en scène des animaux savants peut aussi se lire de bien d'autres façons.
A la guerre des hommes succède une nouvelles guerre meurtrière opposant cette fois différentes espèces animales, comme si la paix, même sans l'homme, n'était qu'une illusion.
Cette revanche des bêtes sur l'homme est une façon de militer contre les rats de laboratoires, contre le traitement inhumain ( étrangement, seul l'homme est pourtant pourtant capable d'être inhumain ) réservés aux animaux de la ferme engraissés et abattus dans d'épouvantables conditions.
Bien que différent d'autres romans, on retrouve pourtant de nombreux thèmes chers à Werber : Qu'adviendra-t-il de la planète ? Comment rebâtir une civilisation après la fin du monde connu ? Sans compter que les neuf vies du chat lui permettent de revenir sur le principe de réincarnation déjà souvent abordé dans de précédents ouvrages.
Qu'avons-nous à apprendre des animaux ?
Et tant d'autres questions encore d'ordre militaire, écologique, ou de l'essentielle communication ... entre les individus avant de penser à celle inter - espèces.
Alors oui, si je me serais bien dispensé de moments trop extravagants, trop tirés par les cheveux, voire même un peu risibles, force m'est de constater que globalement j'ai pris pas mal de plaisir à retrouver Bastet et Pythagore et qu'il me restera quelque chose de cette lecture en dépit des quelques facilités scénaristiques.
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