On est en Autriche, à Vienne, en 1936. Arrivé à l'âge de 50 ans, Léonidas, est un homme satisfait, satisfait de son ascension sociale, de son statut de fonctionnaire de l'Etat, en tant que chef de cabinet du ministre de l'Enseignement et des Cultes. Il fréquente et fait partie de l'élite.
De plus, il est beau et séduisant, et il a un talent pour la danse, la valse.
Il avait hérité d'un habit de soirée, neuf, ce qui lui avait permis d'avoir accès à des grands bals au temps du carnaval. Il avait alors rencontré une beauté de 18 ans, Amélie Paradini, qui est tombée follement amoureuse de lui. Elle est la fille d'un riche industriel, alors que Léonidas, lui, à l'origine, n'est que le fils d'un professeur de latin besogneux.
Amélie est devenue sa femme. Elle est plus jeune que lui d'une dizaine d'années. Elle soigne son physique pour conserver sa beauté. Et elle est très jalouse…
Dans la pile de courriers que Léonidas reçoit pour son cinquantième anniversaire, il y a une lettre écrite à la main d'une encre bleu pâle, qui attire son attention… L'écriture sur cette lettre est féminine. Il reconnaît l'écriture de Véra Wormser, une jeune israélite très gracieuse, étudiante en philo, de 9 ans plus jeune que lui, qu'il a connue alors qu'il était déjà marié à Amélie depuis un an… il a connu avec Véra un amour passionné… une bêtise de jeunesse.
La dernière lettre qu'il avait reçu de Véra datait au moins de quinze ans… il ne l'avait alors pas lue, et l'avait déchirée, se disant : « Celui qui ne sait rien n'est pas tenu d'agir. »
Cette nouvelle lettre fait peur à Léonidas. Un sentiment de vide, de faute, de tristesse s'empare de lui, pour se tourner en violente colère contre Véra. En effet, au dos de l'enveloppe, il lit l'adresse qui est notée… Véra est là, à proximité, dans la localité où il passe ses vacances d'été tranquillement avec sa femme Amélie.
Il est complètement décontenancé, il se torture l'esprit… Lui faut-il avouer à sa femme qu'il l'a trompée ? Elle qui est tellement jalouse, comment va-t-elle réagir ? Cette lettre, doit-il ne pas en prendre connaissance et la déchirer comme la fois précédente ?
Non, cette fois il va la lire …
Dans ce courrier, Véra lui demande d'interférer en faveur d'un jeune homme de 18 ans…
Aussitôt Léonidas pense que ce dernier est le fils qu'il a eu avec Véra lors de leur brève liaison amoureuse de jeunesse. Son univers lui semble soudain se craqueler, lui qui nageait jusque-là dans le succès et le confort !
Il va se confesser fictivement devant des juges d'un tribunal, « La Haute Cour », au 3e chapitre…
Et je n'en dirai pas plus… Il y a de nombreux rebondissements et beaucoup d'inattendus dans ce roman qui compte 7 chapitres en tout.
Le suspense reste entier jusqu'au bout du récit !
J'ai trouvé ce court roman très réussi, à tout point de vue.
La construction du récit est joliment maîtrisée. Werfel dévoile peu à peu le passé de Léonidas par une série de retours en arrière, et il nous fait suivre la progression de ses réflexions et de ses tourments.
La description des personnages est remarquable, et l'analyse psychologique qui en est faite, est très fine.
Quant au style, c'est un vrai délice !
Les thèmes abordés sont riches : la misère morale des faibles, la mauvaise conscience et le remords des lâches, les silences de la bourgeoisie viennoise soucieuse de sa tranquillité, travers qui se retrouvent dans les lâchetés de la classe politique qu'impressionne déjà la montée du nazisme chez le grand voisin allemand…
Dans le roman on est en 1936, et bien que l'Anschluss n'ait pas encore eu lieu, les Juifs sont déjà ostracisés.
Franz Werfel (1890-1945) est issu de la bourgeoisie juive-allemande de Prague, poète, romancier et dramaturge, il faisait partie des « success boys » de Vienne fin de siècle avec Arthur Schniztler et
Stefan Zweig. Pendant la journée, il retrouvait
Max Brod, Kafka, Erwin Kisch au Café Arco de Prague, où « ça brode et werfèle et kafkatte et kitsche » disait une expression à la mode !
Franz Werfel devra fuir avec sa femme,
Alma Mahler, devant les troupes allemandes et se réfugier dans le sud de la France, à Sanary-sur-Mer, en 1938. C'est là-même, que dans l'attente d'un visa pour l'Amérique, il écrira cette histoire d'un quinquagénaire marié à une femme riche.
5/5 bien mérités pour ce court roman de grande qualité littéraire que je vous recommande vivement !