Article d'Elisabeth Vust / 24 heures
Premier roman enfin traduit,
Zündel s'en va donner le ton de l'oeuvre, d'une impertinence salutaire.
Elisabeth Vust
FLEURS POÉTIQUES « Tu verras, même sans raccourcis la vie est assez courte comme ça », réplique un marin à Zündel, triste héros qui songe à disparaître. Si personne ne détient de formules pour prolonger cette « courte » existence, certains lui donnent plus de profondeur, jouent des tours au temps, font des détours, parfois en aménageant des bulles de fiction dans le réel.
Markus Werner est de ceux-là, dont les Editions Zoé viennent de publier la traduction de son premier roman, édité en 1984 dans sa langue originale. L'Alémanique a d'emblée trouvé un lectorat avec
Zündel s'en va, articulé autour de motifs devenus entre-temps récurrents dans son oeuvre en construction (six romans), tels que la déviation de la langue et des êtres, les (non-) relations homme-femme, père-fils, citoyenpatrie, homme-Dieu, et celles avec soi-même. Y sont également questionnées « la fragilité et la précarité de toutes choses terrestres ? donc aussi de l'amour », notions qui « pourraient bien être un thème central » de son travail, affirme l'intéressé dans la dernière livraison de la revue du Service de presse suisse Feux croisés. Quant à analyser le « motif du motif littéraire », l'interprète est libre de spéculer.
Avant que le lecteur n'interprète, l'écrivain a chargé un de ses personnages, un pasteur, de rassembler, lier et commenter les témoignages ainsi que les notes laissés par Zündel, dont le nom désigne l'amadou, la mèche dans le sud de l'Allemagne.
C'est un événement a priori gérable, la perte d'une dent, qui précipite la chute de ce dernier dans cette histoire tragicomique. A-t-il aperçu quelque chose d'insupportable à travers ce trou inopiné ? En tout cas, sa vieille copine la honte profite de cette ouverture pour se glisser en lui et l'empêcher de prendre le bateau depuis l'Italie pour la Grèce. Voyager édenté dépasse les forces psychiques de cet enseignant trentenaire dont la mèche rebelle s'allume à la flamme de sa détresse et dont les propos se font incendiaires.
Retour précipité à Zurich pour Zündel qui sait de moins en moins quelle est sa place, allant jusqu'à sonner à sa propre porte, où sa compagne ne l'accueille pas les bras ouverts. Elle traverse une phase d'émancipation ; il entre dans une crise où la jalousie déforme encore un peu plus sa vision du monde, et où sa (fausse) certitude d'avoir perdu sa femme achève peut-être de consumer sa motivation à tenir son rôle de monsieur « très comme il faut » dans « l'effroyable netteté de la Suisse ». de là sa décision de se procurer un revolver. Quête qui achèvera de le rendre pitoyable, et pendant laquelle il se divertit en étudiant la détérioration de la collectivité.
Fleurs poétiques, jeux de mots et de sons, néologismes, pastiches, aphorismes inédits, images (dés) enchantées et loufoqueries fourmillent sur la route du trébuchant Zündel envahi par la nausée de vivre. Placée sous le signe de la liberté d'écriture et de cet irrésistible humour désespéré dont
Markus Werner détient la recette, elle dirige un homme ayant cessé d'être apte vers une sortie de secours et nous mène à la rencontre d'un auteur à l'impertinence salutaire, qui crée de livre en livre des harmonies différentes à partir d'une gamme commune.