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EAN : 9782878586145
148 pages
Viviane Hamy (15/10/2015)
3.83/5   51 notes
Résumé :
Sur les conseils d'un ami, Léon Werth quitte Paris le 11 juin 1940 pour se rendre dans le Jura. Ce voyage, qu'il espérait ne devoir durer que quelques heures, lui prendra en fait 33 jours. L'auteur se rend compte alors que la situation est bien plus préoccupante qu'il n'a bien voulu l'admettre tout d'abord. 33 jours est donc un récit d'exode en même temps qu'un témoignage historique et humain, se refusant à toute vision manichéenne. C'est une leçon contre la haine ... >Voir plus
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LORSQUE LA NUIT S'APPRÊTE À TOMBER...

C'est peu de dire que Léon Werth est aujourd'hui un écrivain presque totalement oublié et, n'était cette dédicace octroyée par Antoine de Saint-Exupéry à son si cher ami en frontispice de l'une des oeuvres françaises les plus lues, connues et publiées au monde, le Petit Prince, gageons que cet écrivain rare, cet ami fidèle et bien-aimant, ce prosateur de l'intime (sans être pour autant intimiste) au style impeccable serait aujourd'hui parfaitement oublié. Osons le reconnaître, ce serait un manque véritable et il faut aussi en remercier les belles éditions Viviane Hamy qui, sans relâche, ont réédité les principaux titres de l'auteur (douze titres).

Écrivain méconnu, donc, et pourtant... Entre son "Déposition" (certes c'est un journal, moins populaire, sans doute, que la forme romanesque classique) et ce présent 33 jours, très proche du récit témoignage, Léon Werth avait - a - tout ce qu'il faut pour motiver nombre de lecteurs, d'autant que sa plume, sans concession mais belle et souvent incisive, a tout pour convaincre. Mais qu'en est-il donc de ce texte ?

Nous sommes le 10 juin 1940. La "drôle de guerre" a pris fin le mois précédent avec l'attaque éclair des forces nazis et la percée des allemands s'est faite quasi sans discontinuer. Ils sont presque aux porte de Paris. C'est la débandade, les parisiens n'ont plus qu'une idée en tête : fuir en province, qui chez une vieille tante un peu oubliée, qui dans la maison de campagne, qui chez des amis compréhensifs. Même s'il n'en éprouve pas le désir pressant, Sur les conseils appuyés d'un ami, Léon Werth qui habitait alors en plein coeur de Paris va suivre le mouvement, se lançant sur les routes de France en direction de St Amour, dans le Jura, où notre grand témoin possède une maison de campagne. le 11 à neuf heures, ils sont partis, au volant de la vieille Bugatti trois litres de 1932. «Nous pensons, sans nous presser, arriver vers cinq heures de l'après-midi» affirme-t-il, serein, dans les premières pages contant cette rocambolesque et parfois dangereuse odyssée. le fils de seize ans est déjà parti, en compagnie de deux amis, quelques heures auparavant. Ce sera une affaire de rien... Qui, comme le nom de ce texte l'indique assez bien, durera pourtant 33 jours !

Dès l'abord des portes de Paris, on comprend d'ailleurs que rien ne pourra se passer comme il avait été prévu. Au fur et à mesure de son avancée - au pas -, Léon Werth s'étonne même du nombre incommensurable de voitures parisiennes, au point qu'il en finit par se demander d'où celles-ci sortent. Les soixante prochains kilomètres demanderont plusieurs jours à être parcourus, non sans retours en arrière et autres boucles improbables. Mais là n'est pas, on s'en doute, l'intérêt principal de cet ouvrage. Certes, il y aura quelques véridiques épisodes de guerre. Des moments intenses s'achevant dans une espèce de ridicule triste, honteux même, nos pauvres soldats français hésitant entre reddition sans attendre et résistance aussi vaine que meurtrière. Surtout pour ces malheureux chevaux, alors encore moyen de transport de premier plan, qui paient le prix lourd les vicissitudes humaines. Ainsi que quelques valeureux soldats auxquels se mêlent parfois des civils - prémices sacrificielles de la résistance à venir -, fusillés pour la cause. Il y a aussi, magnifiques et altiers, ces tirailleurs sénégalais - pour lesquels Werth éprouve une admiration sans égale - que les allemands exécutent systématiquement s'ils les font prisonnier. Comme des chiens.
Pour autant, les ordres de la hiérarchie sont clairs : les soldats allemands ont pour ordre de ne pas tirer lorsque des femmes ou des enfants se trouvent, malgré eux, entre les deux camps. L'envahisseur veut absolument faire bonne figure auprès des réfugiés. Il y aura aussi toutes ces scènes "plus vraies que nature", et qui donnent une grande partie de leur intérêt à ce livre qui peut, pour partie, être vu comme un document de première main consacré à l'un des épisodes les plus étranges et douloureux à la fois de cette colossale défaite (même si notre armée fut moins honteuse et aisément balayée que cela n'a longtemps été affirmé), ce fameux "exode" qui mit six millions de français sur les routes, dont on connait nombre de photographies sans qu'on en sache finalement beaucoup sur son déroulé.

Ce que Léon Werth croque avec talent, verve même, c'est ce moment suspendu, ces instants rares, un peu fous, durant lesquels personne n'est plus véritablement soi-même. Il y aura d'abord cette chaîne ininterrompue de véhicules en tous genres, vieilles guimbardes ou modèles récents, voitures de l'armée et charrettes à bras, voiture à cheval surchargées et vélocipèdes, marcheurs affolés ou paysans incrédules, tous autant désarmés face au désastre en cours. On le sait, c'est au cours de circonstances aussi inaccoutumées, extrêmes que l'on fait les rencontres les plus insolites. La plus belle, comme pour prévenir le reste : ce paysan, noble de coeur et d'âme, solide mais d'une finesse incroyable, qui comprend, qui fascine, qui rassure le couple Werth et l'amie qu'ils ont pris avec eux. Il lui évoque l'écrivain Emile Guillaumin que Valéry Larbaud lui avait jadis présenté. Cet Abel Delaveau «paysan à plein est aussi - et je n'en avais point rencontré avant lui- un paysan enthousiaste. Et d'autant plus qu'il n'est pas enfermé dans le métier de la terre», expliquera l'auteur. Après avoir, en quelques mots bien sentis, démonté ce fantasme dangereux, réactionnaire et imbécile, décidé par quelque bureaucrate inculte ou quelque académicien d'arrière plan, de l'infatué couplet du «retour à la terre», Werth complétera un peu plus loin ce portrait : «je n'ai jamais connu esprit plus agile et s'accrochant mieux au monde.» Par deux fois, cet homme digne et son épouse au caractère fier et bien trempé accueilleront les Werth. Par deux fois notre témoin aura ce sentiment de rencontrer un Être Humain majuscule.
Inversement, nos vagabonds forcés vivront quelques jours en compagnie et sous le toit d'une femme pingre - de cette pingrerie qui est autant celle du portefeuille que celle des sentiments - qui ne les accepte que du bout des lèvres, leur faisant sans cesse sentir le poids de son geste, profitant de leur situation de faiblesse, les acculant à tous les renoncements, fussent-ils insignifiants. Une autre mégère de ses amies complète le tableau. Si la seconde n'a de cesse de beugler que la France mérite ce qu'elle vit, qu'elle a été vendue, que tant mieux si les allemands nous donnent une leçon bien méritée, la première est plus fine, plus retorse et mille fois plus mauvaise dans ses analyses supposément proportionnées et mesurées. On sent que, déjà, s'est emparé d'elle le turpide parfum de la collaboration à venir.
Il y a aussi, épars mais pleins de sens et de confraternité modeste, presque révérencieuse, ces passages dédiés à l'ami, au frère, à l'exemple, à ce Tonio - on aura reconnu Antoine de St-Exupéry - tant aimé, qui manque tant en ces moments d'équilibre instable, insatisfait et sans doute impossible à satisfaire. Des pensées vers l'Ami, qui aident à tenir, à se remettre en question, à espérer.

Derrière ce témoignage tour à tour émouvant, fort ou poignant, parfois tendrement ironique à l'égard de ces français, de cette France "d'en bas" ainsi qu'on l'écrirait peut-être aujourd'hui, plein d'une autodérision régulièrement sans concession à l'égard de ses petites lâchetés, de sa rapidité à trouver des excuses, à lui-même ou à ses semblables, à ne pas accomplir ce qu'il regrette ne pas avoir fait ou dit, c'est le portrait d'un pays qui sombre, il le sait, il le sent, dans un véritable cauchemar, celui d'un emprisonnement qu'il pressent venir autant de l'extérieur - ces allemands devenus, par la force des armes, maîtres du monde et de l'existence de chacun - que de l'intérieur. Il saisit aussi toute la différence entre autorité et commandement, la première pouvant être lourde, pénible, injuste mais partant d'une certaine forme raisonnée et voulue de servilité elle demeure, quoi qu'il en soit, toujours critiquable et amendable, tandis que le second, léonin, ne procède que d'ordres sommés par le plus fort au plus faible, ne souffre aucune remarque, aucune hésitation, aucune erreur. C'est dans de tels temps - fussent-ils souhaités et accomplis aussi "cordialement" que possibles par ces envahisseurs parfois presque gênés d'être là (la faute aux anglais, n'est-ce pas ?) - que Léon Werth comprend que son pays, sa civilisation sont sur le point de basculer, et pour longtemps. Une longue nuit blafarde et sauvage s'annonce. C'est aussi en cela que l'auteur de "Clavel soldat" fait ici oeuvre de littérature encore bien plus que de simple témoignage.

L'avenir ne lui donnera que trop raison - c'est aussi le motif de son autre ouvrage le plus réputé, sa "Déposition" -. Étonnamment, c'est aussi un peu de nous qu'il parle, sans l'avoir évidemment prévu. de nos petites et grandes compromissions, de notre faiblesse face à une puissance certes imposante mais bien plus gonflée de sa suffisance qu'elle n'est aussi inéluctable qu'il y parait, quelque difficultueux puisse être le chemin de la dignité, de l'honnêteté, de l'humanité vraie. Il n'y a cependant aucune volonté de donner quelque leçon que ce soit dans ce livre court (moins de cent cinquante pages), Léon Werth avait trop une âme anarchiste pour cela. Mais cette volonté incoercible de dire, avec des mots crus mais toujours subtils, cette expérience hors du commun, ces quelques dizaines de jours et de nuits d'une intensité rare, à propos desquels il ne subsiste guère de trace rédigée avec une telle intelligence du moment, un tel recul, comme si la mémoire commune avait voulu effacer, au plus qu'elle le pouvait, ces instants de déréliction collective. Que l'on s'intéresse à cette période de guerre ou pas, il y a beaucoup à retirer de ces pages, d'un ami, un très grand ami d'Antoine de Saint-Exupéry (pour la petite histoire, St-Ex repartira avec le manuscrit sous le bras, direction les USA où "33 jours" sera à deux doigts d'être publié, accompagné d'une préface de l'auteur de Terre des hommes qui ne sera retrouvée que récemment !). À la lecture de ces lignes, on comprend aisément pourquoi Léon Werth fut à ce point cet ami. Une belle humanité en pleine tourmente.
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Connaissez-vous Léon Werth ? Il y a de grandes chances que vous le connaissiez sans le savoir. Si vous ouvrez le Petit Prince de Saint-Exupéry, vous vous apercevrez que le livre lui est dédicacé. Les deux auteurs étaient de grands amis et avaient une admiration réciproque pour leurs oeuvres.

Et, à la lecture de ce court récit qu'est 33 jours, je suis moi-même admiratif de cet auteur. le livre raconte la débâcle française de juin 1940 de l'intérieur. Alors que les Allemand approchent de Paris, l'auteur décide de quitter la ville avec sa femme et son fils pour se mettre à l'abri dans leur maison de campagne près de Mâcon. le trajet qu'ils font d'habitude en neuf heures leur prendra 33 jours !

Léon Werth nous plonge dans ce chaos indescriptible qui a jeté des millions de français sur la route. Voitures, chevaux, bicyclette, vélos, personnes à pied... la panique a donné lieu à des scènes incroyables où le pire et le meilleur de la nature humaine se sont côtoyé. "Au reste, ici je ne prétends pas expliquer, je conte" nous dit Léon Werth. En témoin privilégié, il prend des notes à chaud et rédigera très vite ce témoignage incroyable. On y découvre l'incrédulité devant ce cataclysme de la défaite si rapide de la France, qui était inimaginable à l'époque. L'indigence des politiques et la désorganisation de l'armée font froid dans le dos. Léon Werth assiste aux premières scènes de collaboration avec l'ennemi, mais aussi à une grande solidarité entre de nombreux français qui ne se connaissaient pas.

Ce qui est étonnant avec ce livre, en dehors de la qualité remarquable de son écriture, c'est l'équilibre très juste entre des évènements racontés à chaud et le recul de l'auteur sur ces faits. Léon Werth était un homme mûr à l'époque et il n'était pas dupe des évènements qu'il vivait. Il a une hauteur de vue et une profondeur d'analyse sur les gens qu'il rencontre et leur psychologie, qui donne au livre une densité très riche.

Il est à noter également que les Éditions Viviane Hamy republient ce texte avec une préface inédite de Saint-Exupéry, qui s'était perdue et qui a miraculeusement été retrouvée par un éditeur américain dans une bibliothèque canadienne.



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Après avoir donné un témoignage saisissant sur la première guerre mondiale (« Clavel Soldat »), Léon Werth décrit ici l'exode de 1940 : 33 jours de pérégrinations sur les routes de France, entre Paris et Saint-Amour dans le Jura.
Manuscrit récupéré par Saint-Exupéry pendant la guerre, il ne fut redécouvert et publié de manière posthume qu'en 1992. Pour l'anecdote, il y fera référence dans « Pilote de guerre » (« Un de mes amis, Léon Werth, a entendu sur une route un mot immense, qu'il racontera dans un grand livre »).
Ce grand livre, c'est 33 jours. On se laisse prendre par ce récit épique, antimilitariste et cocasse, mais résolument engagé contre l'envahisseur. L'arrogance des vainqueurs, la faiblesse et la honte des vaincus, les petits arrangements, les grandes désillusions, Léon Werth décrit les relations humaines en cette période noire avec une précision et un sens du détail qui donnent une force extrême à ce récit. Un grand témoignage à découvrir.
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L'exode forcé de 33 jours sur les routes de France d'un auteur parisien en 1940. La débâcle. Un chaos ambulant. La perte de repères. La découverte du monde rural et de l'ennemi. L'arrogance des vainqueurs et la honte des vaincus. L'instinct de survie. Léon Werth apporte ici un témoignage simple et honnête, quant à ses propres faiblesses, sur cette période sombre de l'histoire de France.
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Ce qu'il y a de bien avec les bibliothèques municipales, c'est qu'on peut presque tout essayer, sans mettre son budget lecture en danger. On découvre un auteur, on lit, parfois à la page 50 on le rapporte, pas grave. On prend un autre livre, on lit, et on y passe la nuit, on ne peut pas le lâcher.

C'est ce qui vient de se produire avec ce récit, 33 jours, d'un auteur, Léon Werth, dont je n'avais même pas croisé le nom au fil des étagères de librairie ou des comptes-rendus de la presse en ligne ou en pages.

Ce livre m'a fait le coup des ouvrages que rencontre le lecteur dans Si par hasard un voyageur, cultissime livre oulipien d'Italo Calvino. Il s'est installé dans ma pile. A la maison, au moment de faire le choix de celui qui allait inaugurer ma semaine de lecture, il s'est imposé. Il m'a fait le coup de « moi d'abord ». Il avait raison.

C'est l'histoire d'un périple qui aurait dû durer quelques heures, une petite journée. Mais qui s'est étiré sur 33 jours, de Paris à Saint Amour, au début de l'exode le 10 juin 1940. Au fil des heures, la Bugatti de l'auteur prend sa place dans un interminable convoi de voitures, camions, charrettes, tombereaux, chevaux, vélos, marcheurs, avançant comme au hasard le long d'un itinéraire improbable et imprévu, dans un paysage « vaste, chétif et pitoyablement macabre ». Les nuits de fortune, la faim, la soif, les mitraillages, la peur, les pingres, les généreux, les déserteurs, tout est là.

C'est un livre calme. On a du mal à se l'imaginer, dans des jours si douloureux et agités. Il n'y a pas d'effet, pas de pathos, juste un récit qu'on lit comme on regarde les images d'archives de l'époque. Pas de jugement, de bien ou de mal, il faut avancer, passer la Loire, traverser un pays de fuyards pour retrouver Saint Amour, avec ou sans Bugatti. Mai avec un livre, Terre des Hommes de Saint Exupéry. Et il le raconte avec des phrases superbes de calme, tant que les allemands n'ont pas passé la Seine… tant qu'ils ne sont pas arrivés sur la Loire…

Saint Exupéry. Il en a écrit la préface. Mais ce livre écrit en 1940 n'a été publié qu'en 1992 pour la première édition, et en 2015 pour celle que j'ai dans les mains. Saint Ex' était un ami de Léon Werth. Ce dernier lui avait remis ce manuscrit avant que Saint Ex' ne parte aux Etats Unis, où il aurait dû, normalement le faire éditer. Mais Saint Ex' était plongé dans l'écriture du Petit Prince, et puis… un jour son avion s'est écrasé pour de bon. Heureusement, ce livre est là, et il est arrivé entre mes mains.

C'est un ouvrage qui rappelle souvent la magnifique simplicité de la Route des Flandres, de Claude Simon.

C'est un livre dont Saint Exupéry avait dit « Un de mes amis, Léon Werth, a entendu sur une route un mot immense, qu'il racontera dans un grand livre ».

C'est une histoire d'exode et de réfugiés, qui résonne terriblement aujourd'hui.



Mesmotspassants




Lien : http://coincescheznous.unblo..
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critiques presse (1)
Telerama
14 octobre 2015
Admirable récit de jours d'exil sur les routes de France en 1940.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
C'était après le dîner. Deux soldats sont entrés. Ils cherchent des chambres. Madame Rose leur dit que sa maison est petite et qu'elle n'a d'autre lit que le sien et celui de ses enfants. Mais un des soldats met la main sur la poignée de la porte, qui est entre la cuisine et les chambres.

«Je veux voir... (cheu feu foir...)» dit-il.

Nous savions que nous étions sous sa botte, mais nous le sentons en cette minute à l'intérieur de notre peau.
Ils ont visité de la maison et ils sont partis, sans rien dire, sans même nous regarder.
Je n'ai pas besoin d'un dictionnaire pour définir la force et l'autorité. Je ne suis plus que l'homme d'une tribu captive.
Ils sont près de nous, contre nous et autour de nous. Ils sont hors de la maison et dans la maison, où ils entrent quand il leur plaît.
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Je me sentais humilié. J'étais le vaincu, qui reçoit sa nourriture de la générosité du vainqueur. Telle est la guerre, elle impose une grossière simplification ; elle pense pauvre, elle contraint à penser pauvre, par grosses catégories, elle oppose les nations dans un excès d'unité qui n'est que démence, elle oppose le vainqueur et le vaincu, elle supprime les conflits délicats et les remplace par un pugilat. Si grand soit le pugilat, ce n'est qu'un pugilat. Mais rien ne peut faire en cette minute que ce soldat ne soit toute la victoire et moi, toute la défaite.

[NB : un soldat allemand vient de proposer une boite de conserve au narrateur et à sa famille affamée]
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Pardonnez-moi, Saint-Ex, pardonnez-moi, Tonio. Vous ne conteriez pas de si pauvres choses. Vous les annulez ou les brûlez. Vous faites du cristal. Mais je ne sais pas voler. Je touche, en ce moment, aux lieux bas. Je n'espère plus beaucoup de moi ni du monde. Je suis vieux quand vous n'êtes pas là. Où êtes-vous ? Je ne sais même pas si vous êtes vivant. Je rêve parfois que votre avions a été touché, qu'il est tombé dans une catastrophe de ferraille et de feu. Je me traîne avec mon vieux métier. Je conte les lieux bas, je conte, dans cette immensité de la guerre, des histoires d'insectes.
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Je ne savais pas, ce premier soir de Chapelon que le couplet sur le retour à la terre allait redevenir de mode ou de consigne. Il est d'ordinaire tourné par des bureaucrates ou des académiciens, qui prouvent seulement qu'ils n'avaient d'aptitudes spéciales que pour le métier de manœuvres non-spécialisés. Ce qu'ils appellent sagesse paysanne n'est qu'une image de leur paresse d'esprit ou de leurs préjugés. Ils l'opposent à la turbulence ouvrière et ils sont ainsi rassurés. Je leur dit en vérité : Abel ne les eût point satisfaits. Et pourtant il ne serait pas paysan s'il avait accepté un catéchisme révolutionnaire. Mais je ne veux pas faire d'Abel un portrait politique et je ne sais encore si j'y serai conduit. Il me suffit aujourd'hui de dire que je n'ai jamais connu esprit plus agile et s'accrochant mieux au monde.
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Je me suis endormi, puis réveillé en sursaut. Je croyais à un bruit de mitrailleuses. Ce n'était que le cri des canards. Qu'il est beau ce cri des canards ! C'est toute la paix. J'ignorais que j'aimais à ce point le cri des canards... Mais il n'y a plus de paix sur la terre. Je suis enfermé cerné, serré dans la guerre et dans cette paix qui sera la guerre plus que la précédente encore.
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Godelieve de Koninck, lectrice et fondatrice de Liratoutâge Patrice de la Brosse, lecteur-bénévole de Liratoutâge Charles-David Duchesne, lecteur et conseiller de Liratoutâge Caroline Malo, bibliothécaire responsable du développement des services aux aînés à l'animation
Intro : (00:00) Présentation de l'activité : (00:20) 1er interlude musical : (01:04) Lecture du premier texte : (01:34) 2e interlude musical : (08:41) Présentation de la lecture intergénérationnelle : (09:29) Lecture de la dédicace de St-Exupéry à Léon Werth : (12:38) Lecture à deux voix d'un extrait du Petit Prince de St-Exupéry : (13:22)
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