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EAN : 9782251454078
220 pages
Les Belles Lettres (03/03/2023)
4.43/5   15 notes
Résumé :
Au soir du 1er décembre 1934, jour de l'assassinat du chef du Parti de Léningrad, Sergueï Kirov, Staline ordonne d'élargir et d'accélérer la répression de tous les suspects de « préparation d'actes terroristes ». Le signal de la plus gigantesque répression policière du XXe siècle est donné. Pendant quatre ans, des milliers de responsables du régime soviétique vont être arrêtés, emprisonnés et souvent exécutés. La liquidation de tous les anciens opposants à Staline v... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
La classique Historiographie des trois grands Procès de Moscou, entre 1936 et 1938, conduisant à la Grande Terreur ou « Grande Purge » Stalinienne de 1937-1938 (confer notamment Robert Conquest : « La grande terreur », précédé des « Sanglantes moissons : Les purges staliniennes des années 30 »), situe son origine dans l'assassinat, le 1er décembre 1934, de Kirov, premier secrétaire du Parti de la région de Leningrad, membre du Politburo et du Comité Central du Parti Communiste d'Union Soviétique. En effet, Kirov fut abattu d'un coup de revolver dans le dos par Léonid Nikolaev, membre du Komsomol (les jeunesses Communistes d'Union Soviétique). Pourtant, Nicolas Werth, suite à l'ouverture des Archives de Moscou depuis la chute de l'U.R.S.S. en 1991, démontre qu'en réalité le meurtre de Kirov ne fut qu'un prétexte, pour Staline, lui servant à « justifier » la monstrueuse violence généralisée : la Terreur de masse ininterrompue du Totalitarisme Stalinien depuis le début des années 1930. En effet, cette effroyable décennie débuta par la Collectivisation forcée (reprise du Communisme de Guerre de Lénine), la « Dékoulakisation » ou « liquidation des Koulaks en tant que classe », c'est-à-dire la déportation de plusieurs millions de paysans et les exécutions massives, puis le Génocide Ukrainien par la famine faisant 6 millions de morts en 1932-1933, etc..
Pour Staline, cette série de Procès avait pour objectif d'éliminer physiquement la « vieille garde bolchevique » (Communiste), issue de la période Léniniste entre le 25 octobre 1917 et la mort de Lénine en janvier 1924. Pour cela, les Procès truqués de Moscou furent organisés méthodiquement dans une parodie de Justice totalement délirante, faisant en sorte que chaque accusé s'auto-accuse de crimes plus aberrants les uns que les autres, en apprenant par coeur les questions des juges ainsi que leurs propres réponses.
En revanche, il est indispensable de préciser, au préalable, que TOUS les hauts dirigeants de cette « vieille garde bolchevique » : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Toukhatchevski, etc., étaient responsables de la mise en place du système Totalitaire Communiste Soviétique et des odieux cortèges de Crimes de masse que cela engendra ; mais pas de ceux complètement extravagants, présentés lors de ces faux Procès.
Le premier des trois Procès publics de Moscou nommé « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste », débuta donc le 19 août 1936 à 12h10, dans la salle dite d' »Octobre » de la Maison des Syndicats à Moscou.
Parmi les 16 inculpés de ce premier Procès, les personnalités les plus connues, hauts responsables de l'Etat Totalitaire Communiste d'U.R.S.S., étaient : Grigory E. Zinoviev et Lev B. Kamenev.
Malgré le fait que ces inculpés n'avaient plus de poids politique depuis la fin des années 1920, Staline étant totalement paranoïaque et particulièrement rancunier, décida de s'en débarrasser (page 16) :
« Les inculpés sont accusés d'avoir constitué un « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste », en vue de « s'emparer du pouvoir à tout prix ». « L'organisation d'actes terroristes contre les chefs les plus éminents du Parti et du gouvernement, affirme l'acte d'accusation, fut choisie comme le seul moyen décisif pour atteindre ce but ». »
Ce premier Procès se termina dans une apothéose d'auto-accusations surréalistes de la part des ex-principaux dirigeants Bolcheviques : Zinoviev et Kamenev (page 21) :
« Après le réquisitoire de Vynchinski, les accusés prirent tour à tour la parole pour la dernière fois. Chacun s'accabla, se traitant de « monstre humain », d' »assassin fasciste », de « traître », de « débris contre-révolutionnaire », indigne de pitié, ne méritant que la mort. Kamenev termina son intervention par un message adressé à ses deux enfants : « Quel que soit le verdit, je le considère d'avance comme juste. Ne regardez pas en arrière. Continuez votre route. A l'instar du peuple soviétique, suivez Staline ! » Zinoviev « expliqua » longuement son glissement progressif du bolchevisme au fascisme et conclut : « Mon bolchevisme défaillant se transforma en antibolchevisme, et, par l'intermédiaire du trotskysme, j'en vins au fascisme. le trotskysme est une forme de fascisme et le zinoviévisme est aussi une forme de trotskysme ».
Le 23 août, à 23 heures, la Cour se retira. A 2 heures 30 du matin, le président lut le verdict : les accusés étaient reconnus coupables sur tous les points. Ils étaient tous, sans exception, condamnés à mort. Ils furent exécutés dans les 24 heures, avant même l'expiration du délai qui leur était accordé par la loi pour faire appel. »
Puis sept mois plus tard eut lieu le second Procès contre dix-sept nouveaux accusés du « Centre antisoviétique trotskyste », le 23 janvier 1937. Les principales figures de l' »ennemi » les plus connues de ce Procès, étaient : Piatakov, Radek et Sokolnikov.
Voici donc à nouveau, un extrait du stupide acte d'accusation (pages 24 et 25) :
« En accomplissant des actes de sabotage, en provoquant des déraillements, des explosions et des incendies de mines et d'entreprises, les accusés (…) ne dédaignaient pas les moyens de lutte les plus ignobles, se décidant sciemment et d'une façon réfléchie à des crimes aussi monstrueux que l'intoxication et la mort d'ouvriers… ».
Sans surprise, comme lors du premier Procès, les accusés firent tous de faux « aveux complets ». le verdict fut rendu le 30 janvier 1937 à trois heures du matin. Presque tous les accusés furent condamnés à mort, sauf Stroilov à huit ans de prison, Radek, Sokolnikov et Arnold à dix ans de détention. Encore une fois, les condamnés à mort furent exécutés dans les 24 heures qui suivirent le verdict.
Le troisième Procès fut nommé « Bloc des droitiers et des trotskystes » et s'ouvrit plus d'un an après le second Procès, le 2 mars 1938. Voici l'acte d'accusation relevant d'un délire colossal (page 34) :
« le bloc des droitiers avait constitué, dès la fin des années 1920, un réseau serré de foyers de conspiration formés de zinoviévistes, droitiers, mencheviks, socialistes-révolutionnaires, gardes-blancs, koulaks et nationalistes bourgeois d'une demi-douzaine de républiques soviétiques de la périphérie ».
Le verdict fut rendu dans la nuit du 12 au 13 mars 1938. Tous les accusés furent à nouveau condamnés à mort, sauf Pletnev à vingt-cinq ans de réclusion, Rakovski à vingt ans et Bessonov à quinze ans.
Dans le même temps, la France votait dans le cadre du Front Populaire et une grande partie des Français voyait dans l'U.R.S.S. Stalinienne un « symbole de progrès, un rempart contre le fascisme, un espoir de paix ». Une grossière erreur, qui plus est…, complaisante, voire même, pour certains Communistes Français, volontairement ou involontairement, une certaine complicité vis-à-vis de la politique Terroriste du régime Totalitaire Soviétique !
Pendant ce temps en U.R.S.S., en 1937 et 1938, parallèlement aux Procès de Moscou se déroulait un horrible et immense Crime contre l'Humanité de l'Etat Soviétique CONTRE SON PROPRE PEUPLE, Crime de masse sans égal au 20ème siècle en temps de paix : celui de la « Grande Terreur » ; période de quinze mois durant laquelle 700 000 à 800 000 innocents furent fusillés arbitrairement et sommairement, et des centaines de milliers d'autres furent déportés au Goulag !
Pour clôturer cette sinistre décennie de 1930, cela se termina dans l'ignoble double Pacte Germano-Soviétique entre Hitler et Staline : des 23 août et 28 septembre 1939.
Pourtant quelques rares personnalités extérieures à l'U.R.S.S. furent autorisées à pénétrer dans l'antre du régime Totalitaire Soviétique ; mais en suivant des itinéraires particulièrement bien balisés, à la façon des « Villages Potemkine ».
Parmi ces élites, la plupart n'a pourtant rien vu et les autres n'ont rien voulu voir de la tragédie Soviétique.
L'exemple le plus flagrant et totalement incompréhensible est celui d'Edouard Herriot, alors responsable du Gouvernement Français, qui se laissa berner par la mise en scène du régime ; alors que les Peuples composant l'U.R.S.S. étaient en train de subir le Génocide Ukrainien organisé par Staline, en 1933. Edouard Herriot écrivit de manière hallucinante, ceci (page 50) :
« J'ai traversé l'Ukraine. Eh bien, je vous affirme que je l'ai vue tel un jardin en plein rendement. Je n'y ai constaté que la prospérité. »
En fait, comme l'écrit fort justement Nicolas Werth, la plupart des « voyageurs au pays des Soviets » (page 50) :
» (…) sont venus bardés de certitudes – la majorité – s'en retournent satisfaits. Les autres – une minorité – gardent le sentiment désagréable d'être passés à côté de ce qu'ils auraient dû voir. En réalité, chacun repart avec son image de la Russie, celle qu'il s'était forgée avant même de partir. »
Bref, la plupart des massacres de masse en U.R.S.S. n'eurent presque aucun retentissement dans le monde, jusqu'à l'effondrement de l'U.R.S.S. en 1991.
D'ailleurs, aujourd'hui, la « Communauté Internationale » (notamment à travers le Comité de Sécurité de l'O.N.U.) est parfaitement au courant de la tragédie qui se déroule depuis plus de 60 ans en Corée du Nord. Mais elle ne se préoccupe pas plus du terrible sort de ce malheureux Peuple Nord-Coréen (entre autres !) qui vit encore en 2012, sous le joug du régime Totalitaire Communiste de la dynastie des Kim.
En 1936, il n'y eut guère qu'André Gide pour dénoncer le régime Soviétique, dans son ouvrage « Retour de l'URSS ».
Car même s'il dénonça le régime, dans un premier temps avec parcimonie (car l'année suivante en 1937, il dénonça plus ouvertement le Stalinisme dans son livre « Retouches à mon retour de l'URSS), il écrivit malgré tout cette phrase d'une incisivité redoutable (page 60) :
« Je doute qu'en aucun autre pays aujourd'hui, fût-ce dans l'Allemagne de Hitler, l'esprit soit moins libre, plus craintif, plus vassalisé ».
L'idéologie Communiste étant en pleine floraison en France à cette époque, le journal du Parti Communiste Français (P.C.F.) : l'Humanité osa publier les infâmes mensonges de la propagande Soviétique, provenant du Comité central du P.C.F., à l'issue du premier Procès (pages 70 et 71) :
« le peuple français a appris avec indignation les tentatives criminelles dont se sont rendus coupables les débris des groupes trotskystes-zinoviévistes qui ont cherché de concert avec les agents de la Gestapo à abattre les chefs aimés des travailleurs et des paysans russes et en premier lieu le camarade Staline. La vigilance des peuples de l'URSS unis autour du Parti bolchevik et de son Comité central on fait échouer ces tentatives criminelles et ce sont les accusés eux-mêmes, effondrés dans la honte, qui ont demandé que leur soit appliquée la peine de mort. Cela répond suffisamment à ceux qui, à l'occasion de ce procès, ont essayé de reprendre leurs vieilles calomnies contre la démocratie de l'Union soviétique… »
« Durant les débats que l'Humanité a largement couverts, l'organe du PCF s'est efforcé de présenter le procès comme un acte d'authentique justice populaire dans le « pays le plus démocratique du monde ». « C'est devant des milliers de délégués d'usine que se déroule un procès dont les juges sont d'anciens ouvriers choisis parmi les ouvriers. » le verdict est accueilli « avec une immense satisfaction par des millions de travailleurs qui clament leur haine pour les ignobles espions et leur amour de la paix ».
Puis, dix jours après le second Procès, le P.C.F. déclara sa « pleine approbation » pour le verdict (page 71) :
« Aucun jugement ne peut être assez sévère pour empêcher de nuire les criminels et les traîtres qui cherchent à détruire la grande oeuvre de libération humaine de l'Union soviétique. » le Comité central « remercie la justice du peuple soviétique pour avoir rendu un grand service à la France. La secte trotskyste n'a-t-elle pas essayé, en France même, de porter secours aux visées fascistes en contrecarrant la politique du Parti communiste ? ».
Parallèlement, l'Humanité se servit des Procès de Moscou pour, en France, développer la propagande provenant d'Union Soviétique.
Ce sont principalement ces trois Procès de Moscou qui sont restés dans l'Historiographie de l'Union Soviétique. Ils sont connus de nos jours, parce qu'ils concernaient les « vieux Bolcheviques » : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Radek, etc.. Encore une fois, alors que ces derniers étaient presque tous coupables de Crimes de masse durant la période Léniniste, ces Procès permirent à Staline de régler leur compte à ceux qui, pour lui, représentaient une menace toujours vivace dans le cadre de la bataille pour la conservation du Pouvoir Absolu Totalitaire Communiste.
Suite à l'assassinat de Kirov, d'autres Procès eurent lieux et de nombreux innocents furent également exécutés. En fait, ces Procès n'ont rien d'étonnants : puisque c'est dans la « génétique » paranoïaque des systèmes Totalitaires (Communiste et Nazi), que de procéder à des « Purges » régulières au sein du Parti. D'ailleurs, en U.R.S.S., ces « Purges » commencèrent sous la dictature de Lénine, dès 1919. En effet, l'objectif de l'Etat-Parti-Unique Totalitaire Communiste concernant ses dirigeants, est : d'une part, de conserver uniquement les membres les plus « purs » idéologiquement, moralement et socialement ; et d'éliminer tous les autres ; tous ceux qui ne sont pas « dignes » de porter « le nom de Communiste ». D'autre part, les dirigeants veulent éviter tous risques de déviation, d'opposition réelle ou imaginaire à « l'idéal officiellement proclamé ».
D'ailleurs, Nicolas Werth précise qu'il y eut une myriade de Procès à cette époque : environ 700, de plus « petits » Procès politiques publics entourant les trois grands Procès de Moscou.
Également, l'auteur décrit parfaitement bien les différentes approches et analyses concernant l'énigmatique raison pour laquelle les prévenus confirmaient les accusations de crimes mensongers, de faux aveux (confer, entre autres, l'émouvant et terrible témoignage de Nien Cheng : « Vie et mort à Shanghai »).
Nicolas Werth nous présente la thèse qu'Arthur Koestler développa dans son célèbre roman réaliste « le Zéro et l'Infini », dans lequel il présente son personnage principal Roubachev (largement inspiré de Boukharine), comme un vieux Révolutionnaire consentant à passer de faux aveux, se sacrifiant ainsi pour la « Cause », pour « l'intérêt suprême du Parti ».
Pour aller dans le sens de cette explication, on peut citer la célèbre phrase de Trotski : « Camarades, aucun d'entre nous ne souhaite ni ne peut s'opposer complètement à son propre Parti. En dernière analyse, le Parti a toujours raison, parce qu'il est le seul instrument historique accordé au prolétariat pour l'accomplissement de ses tâches fondamentales. »
Mais l'explication la plus satisfaisante, objective, réaliste et la plus complète semble pourtant être celle proposée par Nicolas Werth, en décortiquant le processus organisationnel préparant ces Procès. En effet, l'auteur, grâce à la description de la célèbre historienne du Communisme, Annie Kriegel, nous décrit les infâmes méthodes employées de lavage de cerveaux (pages 168 et 169) :
« La méthode la plus courante utilisée par le NKVD pour obtenir les confessions et briser la résistance des accusés était la « chaîne » – interrogatoire ininterrompu pratiqué, jour et nuit, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, par des juges d'instruction qui se relayaient et empêchaient l'inculpé de dormir. La privation de sommeil, parfois les tortures physiques, les interrogatoires inlassablement répétés, l'isolement des mois durant, les menaces sur les membres de la famille, généralement aussi arrêtés, la « rupture de solidarité avec le groupe de niveau originel – en prison, les co-inculpés se combattaient farouchement par aveux interposés » -, tout ceci désorganisait l'affectivité, obscurcissait le jugement, désarticulait le système de pensée et de références de l'inculpé, appelé à réorganiser progressivement « sa propre vision de lui-même dans la perspective de sa culpabilité ». Il s'agissait en effet non seulement d'arracher des aveux, mais de s'assurer que l'accusé ne se rétracterait pas au cours des débats publics. Des hommes brisés, physiquement et psychiquement, ainsi apparaissent les accusés, lorsqu'ils sont finalement, après plusieurs mois d'instruction, présentés au jugement public. La grande majorité des observateurs étrangers conviés au spectacle ont remarqué l' »absence », la « distraction » des accusés qui portent tous, écrit le correspondant du Matin , « un masque d'indifférence complète et de détachement presque inhumain » tel que certains ne manquèrent pas d'échafauder l'hypothèse selon laquelle les inculpés avaient été drogués. »
En conclusion :
L'obsession paranoïaque du complot, et la peur de perdre le Pouvoir Absolu sont à l'origine : des « Purges » et des faux Procès souvent publics.
Dans l'univers Totalitaire Communiste comme dans l'univers Totalitaire Nazi, l'être humain est totalement déshumanisé et les valeurs humanistes sont purement et simplement annihilées. L'irrationnel prend alors le pas sur la raison, ce qui ouvre un gouffre béant à l'arbitraire et à l'absurdité, déculpabilisant ainsi les bourreaux pour accomplir des actes de barbarie démentiels, et cela…, le plus « naturellement » du monde !
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Les éditions Les Belles Lettres viennent de publier une version revue et augmentée du livre de Nicolas Werth sur Les procès de Moscou.
Chaque ouvrage de ce spécialiste de l'histoire soviétique offre une double leçon : par ce qu'on y apprend sur le fond et par ce qu'on y comprend de la manière dont un historien travaille. Poser les faits, de manière aussi précise et claire que possible, en s'appuyant sur des sources diverses et rigoureusement utilisées, et proposer des perspectives d'explication.
Dans une première partie, intitulée sobrement « L'évènement », Nicolas Werth présente factuellement le déroulement des trois « grands procès de Moscou », impliquant des bolcheviks de la première heure et de vieux compagnons de Lénine, absurdement accusés de projets terroristes insensés contre les dirigeants de l'Union soviétique.
La seconde partie traite des réactions suscitées à l'étranger par cette gigantesque mystification, en France notamment, depuis le soutien sans faille du PCF au « pays le plus démocratique du monde » au malaise exprimé par Léon Blum face à des « faits que notre raison se refuse à admettre ».
La troisième partie (« Essai d'interprétation ») explore les mécanismes du stalinisme en réinscrivant la tenue des procès de Moscou dans la vague de terreur inédite qui s'abat sur l'Union soviétique après l'assassinat de Kirov, le premier secrétaire de la région de Léningrad en décembre 1934.
Les ressorts de la Grande Terreur sont résumés par un militant de base cité par Nicolas Werth : « Bien que nous vivions dans l'abondance, bien que la vie soit devenue meilleure et plus joyeuse, nous avons des queues partout, il n'y a pas de beurre, ni d'autres produits. Or ceux-ci existent : c'est donc que les saboteurs trotskystes se sont infiltrés dans nos magasins comme dans notre Parti » (p. 165-166). CQFD.
Si la collectivisation de l'agriculture et l'industrialisation du pays n'offrent pas les résultats escomptés, ce n'est pas la faute du régime, mais la preuve d'une vaste conspiration.
Sous l'égide du nouveau chef du NKVD, Iejov, des dizaines de milliers de responsables locaux du parti, de cadres industriels et de chefs de kolkhozes, sont dénoncés, arrêtés, jugés, exécutés ou condamnés à de lourdes peines de camps. Avec pour résultat une désorganisation aggravée de l'ensemble de la chaîne de production, une « confusion extrême » (p. 171) et une population soviétique en proie à la peur, « à l'incompréhension et au désarroi » (p. 189). L'immense majorité des personnes arrêtées, convaincues de l'existence réelle d'un complot, se croient victimes à titre personnel d'une « terrible erreur judiciaire » (p. 189).
Cette vaste purge a aussi une « fonction pédagogique » : renforcer la légitimité du pouvoir de Staline et le culte de la personnalité en livrant en pâture au peuple soviétique une foule de bureaucrates et de chefs locaux du parti désignés comme les responsables des difficultés de la vie quotidienne.
Nicolas Werth revient également sur la logique des aveux : « Pourquoi les accusés ont-ils donc confessé, avec un luxe inouï de détails, des crimes qu'ils n'avaient jamais commis ? » (p. 177). Il fait référence au célèbre roman d'Arthur Koestler "Le Zéro et l'infini", publié dès 1940, dans lequel le personnage principal, se résigne finalement à avouer « au nom de l'intérêt supérieur du Parti » et par « dévouement à la cause » (p. 180). L'origine des aveux, estime-t-il, est davantage à rechercher du côté des méthodes utilisées par le NKVD pour faire céder les accusés : interrogatoires ininterrompus, privation de sommeil, tortures physiques, menaces sur les membres de la famille… autant de techniques mises en oeuvre pour brouiller le jugement de chaque inculpé et le forcer progressivement à réorganiser « sa propre vision de lui-même dans la perspective de sa culpabilité » (Annie Kriegel). On retrouve ici l'ensemble des moyens de pression décrits par Artur London dans son livre L' Aveu sur le procès Slansky, organisé à Prague en 1952 et dont il fut l'un des seuls survivants.
L'ouvrage se referme sur la dernière lettre, sidérante, écrite par le principal accusé du troisième procès, Boukharine, à Staline lui-même en décembre 1937, après plusieurs mois de détention et d'interrogatoires. Boukharine ne remet absolument pas en question « la grande et audacieuse idée de purge générale » (p. 219). Il reconnaît qu'il doit « expier pour ces années durant lesquelles [il a] réellement mené un combat d'opposition contre la ligne du Parti » (p. 220) et demande sincèrement pardon à Staline (« Pardonne-moi Koba. J'écris et je pleure » p. 221), l'implorant seulement de ne pas le faire fusiller : « Si je dois mourir, je veux une dose de morphine. Je t'en supplie » (p. 223). « Tout au cours des dernières années, ajoute-t-il, j'ai suivi honnêtement et sincèrement la ligne du Parti et j'ai appris, avec mon esprit, à te respecter et à t'aimer » ; "Je me prépare intérieurement à quitter cette vie, et je ne ressens, envers vous tous, envers le Parti, envers notre Cause, rien d'autre qu'un sentiment d'immense amour sans bornes".
Comment à la lecture de ces lignes ne pas songer aux dernières phrases du roman 1984, publié par George Orwell dix ans après l'exécution de Boukharine : « Tout allait bien, tout était arrangé, la lutte était terminée. Il avait gagné contre lui-même. Il aimait Big Brother » ?
Sur la même étagère de ma bibliothèque, deux ouvrages publiés par les éditions Les Belles Lettres seront désormais rangés l'un à côté de l'autre : Les procès de Moscou de Nicolas Werth et Chroniques du temps de la guerre de Georges Orwell.
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La parodie de la justice

Un des symboles des dérives du régime communiste est sans conteste ces procès spectacles où les accusés se succèdent, avouant avec moult détails leur culpabilité, d'une docilité et d'une complaisance exemplaire.

Parmi les plus symptomatiques, on retrouve ceux des terribles années 1936 à 1938, période de la terreur stalinienne.

Pendant cette période, trois grands procès ont eu lieu à Moscou. Ce sont eux qui font l'objet de ce livre de Nicolas Werth, directeur de recherche CNRS, président de la branche française de l'ONG Mémorial.

J'avais déjà eu l'occasion de lire, et d'apprécier, son récit traitant de son séjour sur les traces de la Kolyma aussi me suis plongée rapidement dans ce livre.

L'auteur nous raconte brièvement chacun des trois procès, le nom des accusés et leurs métiers, les faits qu'ils leurs étaient reprochés et enfin leurs peines.

Il se concentre ensuite sur les réactions dans la presse internationale et les tentatives menées par l'opposition russe en exil pour démontrer la fausseté de ces accusations.

Enfin, Nicolas Werth analyse la portée de ces trois procès par rapport à la grande terreur mentionnée précédemment : leur articulation, la façon dont ils ont été perçus, le rôle joué par Staline dans leur organisation et le sens à leur apporter.

Sans m'étendre davantage sur les détails, je vous laisserai vous plonger dans le livre, je trouve que la grande force du propos de Werth est sa grande clarté. le texte est accessible, même aux gens novices en histoire russe.

Les concepts sont expliqués clairement et le tout est vivant et rythmé. Il est frappant de voir comment ses procès et les complots démasqués servaient de prétexte pour expliquer tous les échecs du stalinisme et comment ceci était approuvé par le peuple, qui voyait en Staline, le petit père des peuples.

Cet ouvrage permet un approfondissement bienvenu sur les mécanismes à l'oeuvre, lorsque la dictature, le totalitarisme se parent des atours de la démocratie, pour mieux la bafouer.

Un ouvrage très intéressant que je recommande.
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« La grande Terreur », « Purges staliniennes » de nombreux qualificatifs pour désigner « Les procès de Moscou » qui se sont déroulés en 1936, 1937 et 1938.
Dans l'inconscient collectif cela renvoie à des jugements arbitraires, expéditifs et synonymes d'abus d'un pouvoir totalitaire. Mais connaissons-nous vraiment les victimes de ces simulacres de procès, leurs causes et fins politiques ?

Ce sont les réponses que se chargent de donner Nicolas Werth (historien spécialiste du stalinisme), dans « Les procès de Moscou », paru aux éditions Les belles lettres. Un exposé clair où il rétablit la chronologie des événements, en utilisant les sources actualisées des historiens.

À la lecture de ce livre, on comprend que l'échec de la politique collectiviste de Staline, de la fin des années 1920 au début des années 1930 - avec comme point culminant la famine en Ukraine -, a amené les cadres du Parti à chercher un bouc émissaire. En accusant de déviationnisme et de terrorisme « Trotskiste-zinovieviste » les bolcheviques et anciens fidèles de Lénine. Et en s'assurant de créer dans l'opinion publique, une paranoïa menant à la délation des citoyens ayant exprimés des doutes, voire de l'animosité à l'égard de la politique du Parti.

Des procès politiques créés sur la seule base d'aveux extorqués sous la torture, pressions sur les familles et remises en cause de l'engagement idéologique des accusés concernant leur fidélité à l'idéal communiste.
Une purge dont on peut voir comme aboutissement final, l'assassinat de Trotsky par le NKVD, alors en exil au Mexique, en 1940.

L'historien fait aussi mention de la politique de déstalinisation entamée sous Khrouchtchev, et les tentatives de réhabilitation des accusés des purges des années 30. Dont Nikolaï Boukharine, probablement l'accusé le plus emblématique de ces procès, préféré de Lénine et désigné par ce dernier pour lui succéder. Mais écarté du pouvoir par Staline.
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💬 “Quel que soit le verdict, je le considère d'avance comme juste. Ne regardez pas en arrière. Continuez votre route. À l'instar du peuple soviétique, suivez Staline !”

📅 Ce mois-ci, j'ai lu "Les Procès de Moscou" de Nicolas Werth, publié aux éditions Les Belles Lettres. C'est un ouvrage historique très intéressant qui plonge le lecteur dans l'histoire agitée de l'Union Soviétique durant les célèbres procès de Moscou. Ces procès, qui se sont déroulés de 1936 à 1938, étaient des simulacres de justice qui ont vu passer des dizaines de personnes accusées de trahison, de terrorisme et de complot contre le gouvernement soviétique et plus particulièrement contre Staline.

📖 L'ouvrage est très bien écrit, offrant une analyse approfondie des événements et de leur contexte. Les descriptions des témoignages et des arguments présentés lors des procès permettent de mieux comprendre l'ampleur de la répression politique de l'époque. L'ouvrage est divisé en 4 grandes parties : les évènements, les réactions, un essai d'interprétation des évènements, et des interrogations sur les aveux et les procès.

La lecture est agréable et l'ouvrage se lit facilement malgré la complexité du sujet. Nicolas Werth, qui est un historien spécialiste de l'Union Soviétique, explique le sujet de manière claire et concise avec des nombreux détails précis.

🙌 Je tiens à remercier Gleeph pour l'envoi de ce livre, qui a été une très bonne découverte. Je le recommande vivement à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'Union Soviétique et à tous les passionnés d'histoire en général.
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critiques presse (1)
LeMonde
17 avril 2023
A cet égard, les procès forment comme une antichambre de la Grande Terreur, et le livre de Nicolas Werth, une lumineuse miniature des mensonges du communisme soviétique. Ou, si l’on veut, de ce communisme, défini par son mensonge même.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Les seize accusés sont rassemblés d'après le vieux principe de l'amalgame: amalgame de vieux militants du Parti et d'agents provocateurs, amalgame d'oppositionnels de tendances différentes: les zinoviévistes (Kamenev, Evdokimov, Bakaiev, Reingold, Pikel) côtoient d'ex-trotskystes (Smimov, Mratchkovski, Ter-Vaganian, Dreitzer) qui avaient d'ailleurs publiquement rompu avec Trotsky dès 1928-1929.
En fait, ces vétérans du mouvement révolutionnaire, ces « vieux bolcheviks » au passé glorieux sont, en 1936, des hommes brisés, politiquement vaincus. Aucun n'est sorti indemne de la terrible bataille politique dans laquelle ils se sont usés depuis 1917. «Aucun ne ressemble désormais à l'image d'Épinal qu'ils avaient incarnée aux yeux des militants au lendemain de la Révolution. » L'image prestigieuse des «lieutenants de Lénine », Zinoviev et Kamenev, a été depuis longtemps brisée. Leurs adversaires politiques, en particulier Staline, les ont marqués, parce qu'ils s'étaient opposés à Lénine à la veille de l'insurrection d'Octobre, du signe infamant d'« anti-léninisme ». Depuis l'échec du mouvement d'opposition à Staline qu'ils ont dirigé en 1925-1926, puis avec Trotsky en 1927, ils sont allés de reniement en reniement. Exclus du Parti peu avant le XVe Congrès, ils ont reconnu leurs erreurs, confessé leurs fautes, proclamé hautement la justesse de la « Ligne générale », inspirée par Staline. Bref, ils ont «capitulé ». Dans l'espoir d'être réintégrés au Parti, ils ont rompu publiquement avec Trotsky, dont ils ont dénoncé «l'activité scissionniste ». Trotsky, à son tour, depuis son expulsion d'Union soviétique, n'a cessé de railler les « capitulards ». Evdokimov, Bakaiev, Smimov, Mratchkovski, Dreitzer ont eux aussi «capitulé» en 1928-1929. En échange de leur « capitulation », ils ont été, en général, réintégrés au Parti à des postes techniques plus ou moins élevés. Cependant, ils n'ont pas tardé à être, de nouveau, condamnés à l'exil ou à la prison, pour avoir gardé des contacts, épisodiques, avec des opposants à Staline. Smirnov est emprisonné en janvier 1933, Mratchkovski en mai 1933. Zinoviev et Kamenev, exilés en 1932-1933, réapparaissent à la tribune du XVIIe Congrès, en 1934, pour y prononcer un panégyrique de Staline. Mais à la suite de l'assassinat de Sergueï M. Kirov, ils sont inculpés, avec Bakaiev, Evdokimov et quinze responsables de l'organisation du Parti de Leningrad, de « complicité morale » dans l'assassinat, jugés à huis-clos et condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement.
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Le groupe surréaliste est l'un des premiers (et des rares) à élever la voix contre le verdict. Le 3 septembre 1936, André Breton dénonce "le malheur effroyable qui frappe le socialisme, bafoué par la macabre mise en scène du procès" et s'en prend à Staline, "le grand instigateur, le principal ennemi de la révolution prolétarienne, le faussaire et le plus inexcusable des assassins".
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Les ultimes déclarations des accusés ne devaient cependant pas provoquer d’incident majeur : en effet, tous, sans exception, se reconnurent coupables. Et si certains, tels Iagoda, Rykov ou Boukharine nièrent leur responsabilité directe sur tel ou tel point précis, cette attitude ne pouvait, en fin de compte, que servir l’accusation, lui permettant de couper court aux rumeurs propagées par des observateurs sceptiques qui s’étonnaient déjà de la trop parfaite complaisance des accusés tout au long des débats.
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Vidéo de Nicolas Werth
L'historien Nicolas Werth est un grand spécialiste de la Russie et président de l'association Mémorial-France, attaché culturel près l'ambassade de France à Moscou durant la perestroïka avant d'intégrer le CNRS, est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages importants sur le système soviétique et les crimes staliniens. Il a de surcroît édité les carnets de guerre de son père, le journaliste britannique Alexander Werth, né en 1901 à Saint-Pétersbourg, correspondant à Moscou pour la BBC et le Sunday Times entre 1941 et 1948. Dans ce premier épisode d'une série vidéo en cinq volets, Nicolas Werth retrace l'origine sociale et la jeunesse de son père, le futur journaliste vedette du « Manchester Guardian » : Alexander Werth, né à Saint-Pétersbourg en 1901, mort à Paris en 1969.
L'épisode est à voir en intégralité ici https://www.mediapart.fr/journal/international/090822/de-saint-petersbourg-sous-le-tsar-la-france-occupee#at_medium=custom7&at_campaign=1050
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