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EAN : 9782757818640
335 pages
Points (17/02/2011)
4.05/5   22 notes
Résumé :
L'ordre du jour 00447 aurait dû rester confidentiel. Dicté par Staline, il appelle, le 30 juillet 1937, à l'élimination secrète des « éléments contre-révolutionnaires » et fixe, région par région, des quotas d'arrestations, de condamnations. «1re catégorie : à fusiller, 2e catégorie : dix ans de travaux forcés au Goulag. » Instantanément, dans un vertige d'émulation, l'administration policière réclame des dépassements de quotas. Chacun veut gagner la course au rende... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Dans ce passionnant ouvrage, l'historien du Communisme (Bolchevisme), Nicolas Werth, décortique la monstrueuse machine exterminatrice que fut l'effroyable : Grande Terreur ou « Iejovschina » (du nom de Nikolaï Iejov, Commissaire du peuple à l'Intérieur et chef de la Police Politique Soviétique : le N.K.V.D.). En effet, il s'agit du plus grand massacre perpétré par un Etat contre SON PROPRE PEUPLE, en Europe, en temps de paix, au 20ème siècle !
Depuis l'effondrement de U.R.S.S. en 1991, Nicolas Werth a pu consulter un nombre incalculable d'Archives qui viennent compléter les témoignages et éclairer le déroulement et l'analyse de la Grande Terreur. Pour appuyer son argumentation, l'auteur utilise une partie des ces exceptionnelles et fondamentales Archives.
Notamment, ces Archives permettent de démystifier le « Rapport secret » de Khrouchtchev lors du XXème Congrès du Parti Communiste, en 1956. En effet, après la mort de Staline, le 5 mars 1953, les hauts dirigeants du Parti Communiste ont odieusement voulu tenter de se dédouaner de leur totale implication dans la Grande Terreur (nous le verrons plus loin…), en rejetant toute la responsabilité sur le dos de Staline : la « Déstanilisation », en minimisant la Grande Terreur, en la réduisant à une « simple Purge » à l'intérieur du Parti. Or, les Archives démontrent parfaitement bien que la « Purge » des cadres du Parti Communiste ne représenta, en réalité, qu'une infime partie : 7 % de l'ensemble des arrestations et des exécutions de la Grande Terreur, soit 117 000 membres du Parti arrêtés par le N.K.V.D., 44 000 responsables et cadres Communistes condamnés, dont 85 % à la peine de mort. L'instruction et l'exécution de la sentence de ces « Purges » des élites Communistes s'effectuaient dans un circuit « judiciaire » différent de celui des « opérations de masse » visant les citoyens ordinaires.
De surcroît, les Archives permettent de mettre également en évidence que la Grande Terreur ne fut pas la conséquence de l'assassinat de Sergueï Kirov (contrairement à la thèse développée, entre autres, par Robert Conquest : « La Grande Terreur »), mais qu'en réalité elle fut la continuation et l'aboutissement dans cette impitoyable décennie de 1930, d'un processus d'immenses répressions dans le cadre de la politique du Totalitarisme Communiste Stalinien, dont voici en résumé, le déroulement (pages 48, 49, 50 et 51) :
En 1930-1933, près d'un million de foyers paysans furent expropriés, des centaines de milliers de personnes arrêtées, près de 2,5 millions d'hommes, femmes et enfants déportés, dans le cadre d'une vaste campagne politique lancée, fin 1929, sous le mot d'ordre de « liquidation des koulaks en tant que classe ». Cette campagne avait un double objectif : « extraire », tel était le terme employé dans les instructions confidentielles, les éléments susceptibles d'opposer une résistance à la collectivisation forcée des campagnes et « coloniser » les vastes espaces inhospitaliers de la Sibérie, du Grand Nord, de l'Oural et du Kazakhstan. le premier objectif répondait à la vision, clairement exprimée par les bolcheviks dès leur arrivée au pouvoir, selon laquelle la société paysanne, traversée d'antagonismes de classe, recélait des « éléments exploiteurs » – les « koulaks » – irrémédiablement hostiles au régime et qu'il fallait éliminer. le second objectif s'inscrivait, au moment même où était lancé le Premier Plan quinquennal, dans une vaste entreprise de mise en valeur, par une main-d'oeuvre pénale ou déportée, d'un certain nombre de régions vides d'hommes, mais riches en ressources naturelles. Ces objectifs s'appuyaient sur la conviction que le nouvel Etat, parce qu'il était fondé sur la connaissance scientifique et la maîtrise des lois du développement historique des sociétés, était en mesure de modeler celles-ci, d'en exciser les éléments hostiles, parasites ou nuisibles « polluant » la nouvelle société » socialiste en train de s'édifier. (…) Au moment du lancement de la campagne de « liquidation des koulaks en tant que classe », la plus haute instance du Parti, le Politburo, fixa des « quotas de dékoulakisation en 1re et 2e catégorie » (note n° 2 : Directive n°44-21 du 30 janvier 1930, signée de Genrikh Iagoda) – au nombre initialement programmé de 60 000, les « koulaks de 1re catégorie » définie comme des « activistes engagés dans des actions contre-révolutionnaires » devaient être arrêtés et transférés en camp, après un « passage rapide devant une troïka », juridiction d'exception de la police politique. Quant aux « koulaks de 2e catégorie » – 129 000 à 154 000 familles – définis comme les « paysans les plus riches, mais moins activement engagés dans des activités contre-révolutionnaires », ils devaient être arrêtés et déportés, avec leur famille, dans les régions éloignées du pays (note n° 3 : La commission spéciale du Politburo chargée de la « dékoulakisation », sous la présidence de Viatcheslav Molotov, définit dans le cours des évènements une 3e catégorie de « koulaks ». Qualifiés de « loyaux envers le régime », ces « koulaks » devaient être expropriés, puis réinstallés aux marges des districts ou des provinces où ils résidaient, « hors des zones collectivisées, sur des terres nécessitant une mise en valeur »). En fait, le terme de « koulak », paysan « riche », n'était guère plus qu'une étiquette, qui permettait aux « brigades » et autres « commissions de dékoulakisation » de se débarrasser de tous les éléments socialement ou politiquement suspects, ex-propriétaires fonciers, serviteurs du culte, commerçants, voire anciens membres du parti socialiste-révolutionnaire, encore nombreux dans certaines régions.
(…) Les deux premières années (1930-1931), la désorganisation la plus complète, l'absence totale de coordination entre les opérations de déportation menées par l'OGPU et l'installation des déportés, du ressort d'autorités locales débordées, transformèrent la « dékoulakisation » en une déportation-abandon sans précédent. Après des semaines de voyage dans des wagons à bestiaux, des centaines de milliers de déportés furent abandonnés à leur sort, regroupés dans des baraquements de fortune le long des voies de chemins de fer, sans ravitaillement régulier, ni travail, voire débarqués au milieu de la steppe ou de la taïga, sans que la moindre infrastructure d'accueil ait été mise en place. Épidémies et disettes décimèrent les déportés, en premier lieu les enfants et les personnes âgées. En deux ans, 500 000 personnes moururent ou parvinrent à s'enfuir des lieux où elles avaient été déportées. »
Après ces terribles déportations du début de la décennie de 1930, Staline organisa le Génocide que l'on nomme aujourd'hui : le Holodomor, c'est-à-dire la gigantesque Famine Ukrainienne de 1932-1933, faisant 6 000 000 de morts.
Pour revenir à notre sujet : la Grande Terreur, elle se déroula de concert avec les centaines de Procès politiques publics truqués qui eurent lieu à cette époque à travers toute l'U.R.S.S., et notamment, les trois grands Procès de Moscou (confer l'ouvrage de Nicolas Werth : « Les Procès de Moscou »), entre 1936 et 1938, concernant l' »ancienne garde bolchevique (communiste) » de l'époque de Lénine : Trotski, Kamenev, Zinoviev, Boukharine, etc.. Voici un récapitulatif des parodies de Justice concernant les Procès politiques publics provinciaux (page 40, note n° 3) :
Comme l'atteste un rapport envoyé, le 19 décembre 1937, par le procureur général de l'URSS, Andrei Vychinskii, à Staline, en trois mois (10 septembre-10 décembre 1937), 626 procès publics avaient été tenus : 181 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans l'élevage » et 445 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans le stockage des céréales ». Au total, 5 612 personnes avaient été condamnées, dont 1 955 à la peine capitale (…) ».
Les deux grands organisateurs de la Grande Terreur furent Staline et Iejov. Leur objectif était de « purifier » la société Soviétique, en éliminant les « gens du passé » susceptibles de nuire à la « nouvelle société en cours d'édification » et donc considérés comme : « socialement nuisibles » et « ethniquement suspects ». Malheureusement, ces deux terminologies se transformèrent concrètement (comme nous le verrons dans le déroulement de ce commentaire), en une gigantesque réalité macabre…
Le but de ce commentaire est de dérouler le processus de cette Grande Terreur conduisant à ce terrible bilan humain.
Les « éléments socialement nuisibles » étaient ciblés par l'ordre opérationnel n° 00447 nommé : « Opération koulak » ou « ligne koulak » ; et les éléments « ethniquement suspects » étaient déterminés par un ordre opérationnel nommé : « Opération nationale » ou « ligne nationale ». Puis chaque ordre opérationnel distinguait deux catégories d'ennemis à « traiter » : la première catégorie était la « 1re catégorie », les individus à fusiller ; et la seconde était la « 2e catégorie », à savoir les personnes condamnées à passer 10 ans dans les camps de concentration et de travaux forcés du Goulag. La Grande Terreur débuta donc le 2 juillet 1937 par « l'Opération koulak », et c'est Staline en personne qui déclencha cette gigantesque Opération de persécution et d'extermination de masse (page 75) :
« Au nom du Comité central, Staline adressa ce jour-là la directive secrète suivante à tous les dirigeants régionaux et républicains du Parti :
« Il est remarqué qu'une grande partie des ex-koulaks et criminels, exilés dans les régions du Nord et de la Sibérie, et rentrés par la suite, à l'issue de leur peine, chez eux, sont les principaux instigateurs des crimes antisoviétiques aussi bien dans les kolkhozes, les sovkhozes que dans les transports et certaines branches de l'industrie.
« le Comité central propose à tous les secrétaires régionaux et républicains du Parti, ainsi qu'à tous les responsables régionaux NKVD de ficher tous les koulaks et criminels retournés chez eux afin que les plus hostiles d'entre eux puissent être immédiatement arrêtés et fusillés à l'issue d'une procédure administrative simplifiée devant une troïka, les autres moins actifs, mais néanmoins hostiles, étant exilés dans des régions éloignées du pays sur ordre du NKVD.
« le Comité central vous invite, dans un délai de cinq jours, à lui proposer la composition des troïki, le nombre d'éléments à fusiller ainsi que le nombre d'éléments à exiler. »
« le Secrétaire du Comité central, J. Staline. »
Voici comment étaient classifiés les « ennemis du peuple » (page 20) :
« (…) la « ligne koulak » (…) visait à « éliminer une fois pour toutes », un large éventail d'ennemis que l'on pourrait qualifier de « traditionnels » pour le régime bolchevique : les « ex-koulaks », les « gens du passé », élites de l'Ancien Régime, membres du clergé, anciens membres de partis politiques non bolcheviques, ainsi qu'une vaste cohorte de marginaux sociaux regroupés sous le terme générique « d'éléments socialement nuisibles ». La seconde « ligne », dite « nationale », définie par une douzaine d'opérations secrètes – « opération polonaise », « opération allemande », « opération de Harbin » (note n° 1 : du nom de cette ville de Mandchourie qui avait abrité une importante colonie « d'expatriés » de nationalité soviétique, travaillant comme employés et cheminots de la Compagnies des chemins de fer de Chine orientale. jusqu'en 1935, cette compagnie était gérée par les Soviétiques. Après la vente de cette compagnie au Japon, la plupart des cheminots et employés revinrent en URSS. Pour les autorités, ils représentaient un vivier idéal « d'espions et de diversionnistes à la solde des services secrets japonais »), « opération lettone », « opération finlandaise », « opération grecque », « opération estonienne », « opération roumaine », etc. – était dirigée tout particulièrement contre les émigrés notamment politiques, mais pas exclusivement, de ces pays réfugiés en URSS, les citoyens soviétiques d'origine polonaise, allemande, lettone, finlandaise, grecque mais aussi tous les citoyens soviétiques qui avaient un lien, aussi ténu fût-il, professionnel, familial, ou tout simplement géographique (les habitants des régions frontalières étaient de ce fait particulièrement vulnérables) avec un certain nombre de pays identifiés comme hostiles, Pologne, Allemagne, pays baltes, Finlande, Japon. »
Des « conférences opérationnelles » furent organisées pour décrire le processus opérationnel de la Grande Terreur dans toute l'U.R.S.S.. Voici le discours de Mironov, particulièrement révélateur et explicite, quant aux modalités concrètes de l'application de la Terreur (pages 86, 87 et 88) :
« Dans la seconde quinzaine de juillet 1937, se tinrent, aux sièges régionaux du NKVD, des « conférences opérationnelles » rassemblant les responsables de district chargés de mettre en oeuvre « l'Opération koulak ». Voici en quels termes Mironov, le chef du NKVD de la région de Sibérie occidentale, de retour de Moscou, expliqua à ses subordonnés le sens et les modalités de l'opération :
« Jusqu'à ce qu'on ait terminé cette opération, sachez que celle-ci est absolument secrète, un secret d'État. Quand je vous présenterai le Plan attribué à notre région, les chiffres que vous entendrez, vous devrez les faire disparaître de votre tête. Ceux qui ne parviendront pas à extirper ces chiffres de leur tête, ils devront se faire violence et les chasser d'une manière ou d'une autre, car la moindre diffusion de ces chiffres, la moindre mention de ces chiffres, vous conduirait sur-le-champ devant un tribunal militaire (…)
« L'opération commencera par la 1re catégorie. Vous enverrez à la troïka le dossier déjà prêt avec la résolution et quelques extraits. Les listes des éléments arrêtés, vous ne les montrerez au Procureur qu'après la fin de l'opération et vous ne mentionnerez jamais la catégorie (1re ou 2e) attribuée. Vous vous bornerez à indiquer : koulak, criminel, autre, article du Code pénal, date de l'arrestation. C'est tout ce que vous enverrez au procureur. Les délais de garde à vue dans les cellules d'incarcération provisoire n'ont plus de limite. Vous pouvez garder les individus arrêtés dans les cellules d'incarcération provisoire deux mois si vous le souhaitez. Inutile de préparer de nombreux comptes rendus d'interrogatoire. Au grand maximum, deux-trois par individu. Si l'individu arrêté a avoué, un seul compte rendu suffit. Inutile d'organiser des confrontations, convoquez deux-trois témoins, inutile de les confronter avec l'accusé. Dans les affaires de groupe, vous pouvez exceptionnellement organiser des confrontations si certains ne se décident pas à avouer, et seulement dans ce cas. Les dossiers seront ficelés de manière accélérée. Mais sachez qu'après l'opération, il risque d'y avoir un contrôle d'en haut, un contrôle sérieux, aussi fait-il être très exigeant du point de vue de l'attribution de la catégorie, première ou seconde. Pourquoi faut-il être exigeant ? Nous avons deux mois et demi de travail devant nous, or, dans un mois, on peut découvrir de nouvelles affaires, de nouveaux groupes, et qu'est-ce qui risque d'arriver ? Que nous aurons tout simplement éclusé notre quota, dans un mois on risque de n'avoir plus de quota. Il est indéniable au jour d'aujourd'hui qu'avec le fichage assez superficiel que nous avons, un certain nombre d'individus fort intéressants de notre point de vue ont été classés en deuxième catégorie, alors qu'ils méritent assurément la première. Donc, en rentrant chez vous, vérifiez bien ceux que vous avez en 1re catégorie, faites des transferts qui s'imposent de la 1re à la seconde, vérifiez ceux que vous avez mis en seconde, peut-être y trouverez-vous des individus qu'on peut sans hésiter mettre en 1re.
« Notre quota en 1re catégorie est de 11 000, cela veut dire qu'au 28 juillet, vous devez avoir 11 000 individus déjà arrêtés, prêts, sous la main. Vous pouvez bien sûr en avoir 12 000, 13 000 et même 15 000, je ne vous limiterai pas. Vous pouvez même aller jusqu'à 20 000 en 1re. Ainsi, vous aurez la possibilité de faire ensuite un choix, voir ceux qui conviennent pour la 1re catégorie et ceux qu'on peut transférer en 2e. Je répète que vous pouvez avoir 20 000 arrêtés, mais il faudra alors soigneusement choisir les éléments les plus intéressants pour le 1re. D'ici dix-quinze jours, la vie, le cours des choses et des évènements apporteront des correctifs certains. Tout ce qui peut ressembler à une organisation clandestine, vous devrez vous appliquez à le déraciner, à l'extirper, à l'anéantir.
« Vous devrez exhumer les réseaux clandestins organisés, votre tâche, ce n'est pas de finir des affaires, de les classer, mais au contraire de les faire apparaître, de les dérouler jusqu'au bout, de mener l'ultime combat avec la contre-révolution organisée.
« Maintenant, quelques aspects techniques. Prenons, par exemple, le secteur de Tomsk, ou d'autres secteurs. Pour chacun d'entre eux, en moyenne, il faudra exécuter 1 000 individus et, dans certains, jusqu'à 2 000.
« Que devra faire le responsable opérationnel du secteur quand il viendra sur place ? Trouver un lieu pour les exécutions et un lieu pour les inhumations. Si l'on enterre les cadavres dans un bois, par exemple, il faut au préalable découper la mousse, puis en recouvrir la terre fraîchement retournée pour masquer le lieu, afin qu'il ne devienne pas un jour un endroit où pourrait se donner libre cours le fanatisme contre-révolutionnaire de la cléricaille. Notre appareil même ne doit absolument pas savoir où les individus ont été exécutés, personne ne doit rien savoir, car c'est de notre propre appareil qu'un jour ces informations pourraient bien sortir. »
C'est donc le 30 juillet 1937 que Nikolaï Iejov signa l' »Ordre opérationnel du commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l'U.R.S.S. n° 00447 sur l'opération de répression des ex-koulaks, criminels et autres éléments antisoviétiques », ou plus simplement nommé : « Opération koulak ». Cet Ordre n° 00447 conduisit à partir du 5 août 1937 à la rafle et l'arrestation d'environ 800 000 personnes, dont la moitié (la 1re catégorie) fut exécutée et l'autre moitié (la 2e catégorie), condamnée à une peine de 10 ans au Goulag.

P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
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Difficile de noter L'ivrogne et la marchande de fleurs car c'est un témoignage nécessaire et bien documenté, mais c'est un peu fastidieux à lire. Tout le monde, sauf les analphabètes et les communistes de mauvaise foi, sait que des purges ont eu lieu en URSS dans les années 1937-38, qu'elles ont été violentes, mais peu de gens savent pourquoi et comment elles se sont déroulées. Nicolas Werth nous donne tous les détails de cet épisode douloureux de l'histoire et sur lequel la lumière n'a jamais été vraiment faite. La "déstalinisation" n'était qu'une farce destinée a charger tous les crimes du système sur le dos du dictateur décédé pour occulter les responsabilités des autres.

L'ampleur des purges de 1937 a dépassé les prévisions initiales, comme si elles étaient victimes de leur succès. La 1ère phase a consisté à éliminer les cadres du parti parce qu'ils étaient dangereux. En effet, les communistes purs et durs avaient un idéal auquel ils étaient dévoués corps et âme. Staline ne comptait pas s'en tenir à ça et cherchait des cadres qui lui étaient dévoués à lui, pas au parti, et comme il ne connaissait qu'une méthode, il fallait les éliminer définitivement. Sur les 139 membre du Comité Central de 1934, 98 ont été fusillés lors de cette période. Quant aux cadres locaux, leur procès répondaient à une fonction pédagogique, car ils devaient "illustrer la sollicitude de Staline et des plus hauts dirigeants envers le « petit peuple » brimé par les « mauvais bureaucrates » qui s'étaient mués en « ennemis du peuple »."

Ce qui est extraordinaire, c'est qu'on s'attendrait à ce que le fait de tuer des cadres du parti ait une influence néfaste sur les autres. Et c'est exactement le contraire qui s'est produit ! D'abord à cause de la peur, puisque plus personne n'est protégé par sa fonction : il faut donc faire du zèle pour rester en place. Et aussi parce que lorsqu'on supprime des chefs, les possibilités de promotion deviennent bien plus nombreuses, et tous les ambitieux se démènent pour récupérer les postes prestigieux qui se libèrent. Ils deviennent de parfaits exécutants pour le pouvoir stalinien, prêts à tout pour se faire valoir, sans imaginer qu'ils seront les victimes de la prochaine purge.

La 2ème phase était la chasse aux koulaks, à la fois les "paysans riches" et les opposants à la collectivisation des terres. Ceux-là sont un obstacle à la bonne marche des kolkhoses, des cibles faciles à blâmer pour la faillite de l'agriculture collectiviste. le kolkhose ne fonctionne pas bien, on les accuse de sabotage, on les fusille ou on les déporte et le tour est joué.

Enfin la 3ème phase est l'élimination des "nuisibles". Cette catégorie fourre-tout comprend les Russes d'origine étrangère, susceptibles d'être retournés par l'ennemi en cas de conflit, ainsi que ceux qui sont en contact avec les étrangers : "Toute personne ayant eu un contact avec un représentant consulaire ou commercial polonais" par exemple, critère qui a été particulièrement utilisé dans les zones frontalières de l'URSS. Tous ceux-ci seront arrêtés pour espionnage. Enfin sont inclus dans cette catégorie les accusés de "propagande anti-soviétique" et les "ennemis du régime", arguments assez libres qui "ouvraient un formidable espace d'inventivité et de liberté aux agents du NKVD" comme dit l'auteur.

Staline a d'abord fixé des quotas de personnes pour chaque région. Ceux de 1ère catégorie seront fusillés, ceux de 2ème catégorie seront condamnés à 10 ans de gulag. Iejov, en charge de la bonne exécution du plan, ajoute que "ceux qui réaliseraient les quotas les premiers seraient considérés comme les meilleurs et les plus vigilants". Les chiffres étaient censés être un maximum, mais les tchékistes étaient si zélés (et tellement dépourvus d'humanité), qu'ils ont vite atteint l'objectif et réclamé des augmentations de quotas, si bien qu'il y a eu beaucoup plus de victimes que prévu au départ.

On parle souvent de la cruauté nécessaire aux participants au système concentrationnaire nazi, mais en URSS des fonctionnaires arrêtaient et torturaient leurs propres concitoyens pour leur faire avouer des crimes inventés, et en plus ils outrepassaient les nombres exigés par le parti ! Souvent les policiers rédigeaient le document contenant les "aveux" de l'accusé, puis le torturaient jusqu'à temps qu'il le signe.

1.500.000 personnes ont été arrêtées durant les purges staliniennes, dont la moitié ont été fusillés et les autres envoyés au gulag dont beaucoup ne sont pas revenus. L'URSS fusillait 50.000 personnes par jour !!! Voilà la réalité que nous fait découvrir Nicolas Werth dans cet ouvrage.

Le livre est bourré de statistiques, de nombres de victimes par région, par nationalité, beaucoup de chiffres qui témoignent de la solidité du travail de recherche mais rendent la lecture un peu indigeste. Beaucoup d'exemples également, dont deux ont donné le titre du livre. Enfin beaucoup de textes officiels soviétiques, tous aussi cruels et ch.... à lire. Tout ce matériel prouve le sérieux du livre mais rendent la lecture très austère. Dommage car les crimes dénoncés dans cet ouvrage méritent d'être connus de tous.
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750000 soviétiques tués par les dirigeants de leur propre pays , des chiffres et une organisation qui paraissent irréels et pourtant tout est vrai !

En un peu plus d'une année, pendant les grands procès des dirigeants et intellectuels que l'on connaît, Staline a ravagé son pays une fois de plus, en tapant sur les petites gens . Accusés de sabotages, d'espionnage, de trahison etc.., les polices ont traqué l'ouvrier, le prêtre, le paysan, le prisonnier des camps du Goulag, pour répondre à des consignes précises et remplir les quotas attendus et même souvent dépasser ces quotas!

Opération secrète, tout a été caché à la population qui a vu les siens "partir" sans savoir où, alors que bien souvent les leurs étaient enterrés dans des fosses communes à proximité.

Quand on sait que cette Grande Terreur fait suite à la Grande Famine et précède d'autres massacres on comprend pourquoi Staline est second dans la liste des dirigeants les plus sanguinaires!

Un livre assez technique, qui rapporte des faits des chiffres et fournit des copies de documents , très sérieux et érudit, il manque un peu liant pour donner corps à tous ces hommes et toutes ces femmes torturés, exécutés mais on est là dans un ouvrage d'histoire et non dans un roman
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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Lorsqu'on parle des procès de Moscou, des purges, du Goulag viennent souvent à l'esprit l'idée et/ou l'image d'une machine répressive qui s'est abattue sur certaines catégories de la population soviétique. En premier lieu les intellectuels, médecins et autres militaires gradés. Dans son ouvrage, Nicolas Werth analyse cette machine répressive et l'ordre 00447 dans le détail et rétablit une vérité historique plus large : Staline a réprimé dans les exécutions et la déportation au Goulag TOUTE sa population, TOUT le peuple soviétique. Il s'est arrangé pour élimer les révolutionnaires de la 1ère heure, compagnons de route de Lénine pour certains, il a décimé l'Etat major de l'armée rouge car trop lié à Trotski, il a martyrisé les paysans, il a éliminé les bourreaux de ses purges pour pouvoir réécrire à l'infini SON histoire de l'URSS etc...etc Et il s'en est aussi pris aux braves bougres, aux mères de familles, aux pères, aux enfants, à l'ivrogne, à la marchande...à Monsieur et Madame Tout le Monde. Pourquoi ? D'aucuns avanceront une paranoïa aiguë, ce qui n'est pas faux, d'autres parleront d'asseoir son pouvoir en terrorisant, ce qui n'est pas faux non plus. Nicolas Werth nous montre aussi des calculs politiques, sociaux très bien réfléchis par Staline. Une forme de mépris aussi pour les Autres, de l'amusement à faire peur et à terroriser jusqu'à la mort . Un moyen très maîtrisé par Staline pour étendre son pouvoir et sa domination. On pourrait en citer d'autres. Et le pire c'est que Staline a réussi. Personne pour lui résister au point de trouver normal voire de faire une course à la performance dans le meurtre de masse pour plaire, pour être du cercle. A travers une étude des archives, une recherche fine et détaillée, Nicolas Werth nous raconte des parcours fatals, dramatiques de petites gens, littéralement trucidés par la volonté d'un homme et la peur et une forme de jouissance d'une poignée d'autres.
Alors ce n'est pas un roman mais bien un livre d'histoire donc pas d'effets de style ni d'effets scénaristiques dramatiques. Des archives, une analyse, une contextualisation, donc le livre peut paraître froid et assez ardu. Mais un livre sur la répression stalinienne tout à fait abordable.
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"L'ivrogne et la marchande de fleurs" dresse le terrible bilan des purges staliniennes ( 4 millions de personnes condamnées, 800 000 exécutées, les autres emprisonnées ou envoyées au goulag ou le taux de mortalité était de 20% par an ), puis rappelle la terrible chape de plombs que maintint le régime Soviétique jusqu'à Mikaël Gorbatchev qui fit enfin la lumière sur l'une des plus grande tragédie de l'histoire de l'humanité et réhabilita l'honneur des victimes innocentes.

Aujourd'hui plusieurs associations dont Mémorial militent pour que les victimes de la Grande Terreur ne soient pas oubliées.

Plusieurs monuments commémoratifs ont fleuri sur les sites des martyrs.

Curieusement alors que nous sommes complètement abreuvés de documentaires et de films sur le génocide perpétré par l'Allemagne nazi, ces meurtres de masses et camps d'éliminations soviétiques restent assez peu souvent mis en lumière.

Peut être parce que ce drame se déroula en interne d'un pays gigantesque et opaque, peut être aussi parce que Staline fut l'un des vainqueurs de la IIIivéme guerre mondiale et que pendant longtemps on traita avec complaisance l'un des pires criminels de l'histoire de l'Humanité.

Bien qu'un peu austère un livre intéressant sur un thème difficile, terrifiant et parfois insupportable mais qui en dit long sur le fait de pousser au maximum la folie bureaucratique et la froide efficacité du culte aveugle du résultat quel que soient les moyens employés.

Ce système d' obéissance aveugle à une hiérarchie jugée toute puissante existe toujours chez l'être humain même de nos jours mis à part la fait que dans les entreprises les quota de condamnés à mort ont été remplacés par des quota de futurs licenciés !
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Le 30 octobre 2007, à l'occasion du Jour du souvenir des victimes des répressions politiques et du 70e anniversaire de la Grande Terreur, l'association Mémorial a dressé un constat alarmant sur le silence qui, dans la Russie d'aujourd'hui, tend à effacer, une fois encore, le souvenir de ce massacre de masse. La « face sombre » du stalinisme s'efface de plus en plus pour laisser place à une vision « positive » de la période stalinienne, au cours de laquelle, conduit par un « manager efficace », l'URSS est devenu un grand pays industriel et une puissance militaire de premier plan. Aujourd'hui comme hier la victoire de 1945 efface le crime de masse de 1937-1938.
Il est indispensable, affirme Mémorial dans son manifeste 1937 et le Présent, « de lever toutes les restrictions d'accès aux documents d'archives traitant de la Grande Terreur ; d'éclairer largement ce crime de masse dans les manuels scolaires ; de rechercher activement les lieux de massacres et d'y ériger des mémoriaux à la mémoire des victimes ; d'ouvrir un musée national consacré à la violence de l’État Totalitaire ; d'édifier enfin, à l'initiative et sous la responsabilité de l’État, un grand monument national à toutes victimes des répressions de masse. (…) La Grande Terreur n'est pas seulement un événement majeur de l'histoire soviétique, c'est un événement majeur de l'histoire mondiale. Le Goulag, la Kolyma, 1937 sont, comme Auschwitz et Hiroshima, des symboles universels du XXe siècle. »
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Avant de clore ce rappel des politiques répressives mises en œuvre dans les années précédant la Grande Terreur contre un certain nombre de catégories d'individus stigmatisés, qui constitueront précisément les principaux groupes cibles des « opérations de masse » de 1937-1938, il me paraît opportun de revenir sur la question de la relation entre la Grande Famine de 1932-1933 et la Grande Terreur de 1937-1938. La relation entre ces deux plus grands crimes de masse soviétiques est complexe, indirecte, mais indéniable. Les famines, résultats des politiques d'inspiration idéologique mises en œuvre depuis fin 1929, collectivisation forcée, dékoulakisation, imposition du système kolkhozien, prélèvements démesurés sur les récoltes et le cheptel, intentionnellement aggravées, instrumentalisées et amplifiées dans le cas ukrainien pour briser la résistance nationale-paysanne ukrainienne, ont été un facteur majeur et déterminant de la brutalisation des rapports entre l’État stalinien et la société. L'arme de la faim fut une redoutable arme de guerre utilisée par le régime pour briser la résistance d'une partie de la société paysanne, ressentie comme ennemie et traitée comme telle. Expression extrême de violence et de régression, ces « man-made famines » (Cf James Mace) sans précédent dans l'histoire ont repoussé les limites du « possible », brisé des tabous – il suffit de penser à l'extension du cannibalisme et de la nécrophagie dans les campagnes affamées -, assuré une sorte de « sélection naturelle » d'un personnel politique et policier qui sera l'agent de la radicalisation paroxystique de la Grande Terreur. Totalement niée par le régime, la famine a aussi été un jalon majeur sur la voie de la fictionnalisation du discours politique.
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" Je voudrais vous nommer toutes par votre nom,
Mais ils ont pris la liste. À qui poser les questions ? "

Anna Akhmatova, "Requiem".
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(extrait d'un entretien avec Molotov)

"1937 était indispensable. Depuis la Révolution nous n'avons cessé de combattre et de se battre, grâce à quoi on avait vaincu. Néanmoins les restes défaits de nos ennemis n'étaient pas morts et, encouragés par la menace de l'agression fasciste, ils pouvaient encore rassembler leurs forces. Grâce à 1937 nous n'avons pas eu de 5e colonne pendant la guerre.
Je ne pense pas qu'il fallait réhabiliter tous ces militaires réprimés en 1937. Sans doute ces gens n'étaient pas tous des espions, mais ils avaient assurément des contacts avec les services de renseignement étrangers, et – c'est là le principal -en cas de danger on ne pouvait compter sur eux.
Iejov avait bien commencé à travailler, à couper selon le plan, et puis il a commencé à en faire trop, on ne pouvait plus l'arrêter ! Staline avait parfaitement raison : coupe quelques têtes en trop, mais au moins il n'y aurait pas de flottement pendant la guerre, ni après !"
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Lors de son "Rapport secret" prononcé dans la nuit du 24 au 25 février 1956 devant les délégués du XXe Congrès, Khrouchtchev n'évoque que les "purges" des dirigeants et des cadres politiques, économiques et militaires de la nomenklatura communiste, passant totalement sous silence les "opérations de masse", auxquelles, nous avons vu, il avait pris, comme tous les hauts responsables du Parti et du NKVD, une part active. En circonscrivant le champ des répressions aux seuls dirigeants communistes, victime de la dictature personnelle de Staline, le "Rapport secret" éludait la question cruciale : celle de la responsabilité du Parti, dans son ensemble, dans la mise en œuvre du plus grand massacre d’État jamais mis en œuvre en temps de paix.
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Vidéo de Nicolas Werth
L'historien Nicolas Werth est un grand spécialiste de la Russie et président de l'association Mémorial-France, attaché culturel près l'ambassade de France à Moscou durant la perestroïka avant d'intégrer le CNRS, est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages importants sur le système soviétique et les crimes staliniens. Il a de surcroît édité les carnets de guerre de son père, le journaliste britannique Alexander Werth, né en 1901 à Saint-Pétersbourg, correspondant à Moscou pour la BBC et le Sunday Times entre 1941 et 1948. Dans ce premier épisode d'une série vidéo en cinq volets, Nicolas Werth retrace l'origine sociale et la jeunesse de son père, le futur journaliste vedette du « Manchester Guardian » : Alexander Werth, né à Saint-Pétersbourg en 1901, mort à Paris en 1969.
L'épisode est à voir en intégralité ici https://www.mediapart.fr/journal/international/090822/de-saint-petersbourg-sous-le-tsar-la-france-occupee#at_medium=custom7&at_campaign=1050
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