Oui, nous sommes un peuple de la route. Condamnés à transhumer éternellement dans un monde où les pâturages eux-mêmes se déplacent. Troupeau maigre et frénétique, broutant le goudron. Errants qui s'ignorent. Des damnés de l'asphalte.
Tentez le diable et il viendra.
- Attention, ça va brûler.
Elle a prévenu son patient, comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle au monde. Une seconde plus tard, elle verse une longue rasade d'alcool sur la blessure ouverte. Il rugit, mais parvient à garder une relative immobilité.
Selon les instructions de la jeune femme, j'éponge le sang tandis qu'elle recoud la plaie.
Il est dix heures et demi, elle ne le sait pas encore, mais elle vient d'entrer dans la famille.
Au fond, il est comme moi ce gosse. La route l'appelle. Cette idée éclaire soudain une région insoupçonnée de mon esprit.
Oui, nous sommes un peuple de la route. Condamnés à transhumer éternellement dans un monde où les pâturages eux-mêmes se déplacent. Troupeau maigre et frénétique, broutant le goudron. Errants qui s'ignorent.
Des damnés de l'asphalte.
Pas question de nous embarquer encore dans une nouvelle croisade. Si on les pousse trop, les miracles ont une fâcheuse tendance à se montrer capricieux...
La plupart des hommes naissent moutons et certains finissent porcs.
La maréchale Canicule a décidé d'écraser les troupes de la reine des pluies. Le ciel est d'un blanc de fournaise.
Du menton, Toni pointe vers le poste de la milice. Les quatre types sont agenouillés, les mains jointes.
Grand bien leur fasse. Comment peut-on encore croire qu'une entité supérieure veille sur nous ? Rien dans ce monde n'est beau. Seuls les sentiments témoignent encore parfois d'une bribe d'humanité. Le temps des excuses est révolu. Il faut assumer. L'homme est seul et unique responsable de sa propre merde.
Étonnant que la seule vue de ces guignols m'inspire cette haine. On dirait bien que je commence à virer hors-murs, moi !
Au passage, les hommes en bure escamotent quantité d'objets ou de nourriture. Le zèle des soldats est proprement répugnant. Comment peut-on tomber dans une telle veulerie ?
La réponse me frappe alors que nous abordons la rue de Khalil : la religion. Cette immonde perversion de la nature humaine. Cette exploitation des sentiments et des peurs. Cette industrie de l'hypocrisie.
La contrée change. Les molles collines font peu à peu place à un paysage beaucoup plus tourmenté. Notre convoi sinue désormais entre des massifs parfois abrupts, qui nous ralentissent cruellement. Jamais je n’ai été aussi pressé de rejoindre une ville.
De temps à autre, nous mettons toute la voilure pour affronter une pente plus raide. Je voudrais que nous volions sur le bitume, et au diable les risques. Mon ami est en train de mourir. Plus rien d’autre ne compte. Je hais les montées.